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Reportage
Déminage, villes désertées, changement de noms... Le Haut-Karabakh désormais sous souveraineté azerbaïdjanaise
Alors que l'Azerbaïdjan a mené une attaque dans le Haut-Karabakh fin septembre, l'envoyée spéciale de franceinfo a pu rentrer dans cette enclave vendredi 6 octobre. Elle est actuellement dans la ville de Choucha, controlée par l’Azerbaïdjan depuis la guerre de 2020. Cette ville fonctionne à peu près normalement. Elle est à moins de 15 km de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh. Les Arméniens l'appellent Stepanakert tandis les Azerbaïdjanais la nomment Khankendi.
Pour rejoindre et se déplacer dans cette région du Haut-Karabakh, tout se déroule sous haute surveillance. Le Haut-Karabakh reste fermé depuis sa reconquête par l'Azerbaïdjan il y a un peu plus de deux semaines. Il est impossible en tout cas de s'y rendre seul. Le gouvernement azerbaïdjanais organise des tours, en convoi, pour la presse internationale et locale. Il n'est pas possible de choisir quand on part, où l’on va, où l’on s’arrête. Notre envoyée spéciale a donc pris un bus vendredi 6 octobre depuis Bakou, la capitale, avec plusieurs journalistes internationaux et azerbaïdjanais, pour traverser le Haut-Karabakh au pas de course.
Le long de la route, il est possible de voir de nouvelles conduites pour le gaz et l’eau, des équipes de démineurs parce qu'il y a énormément de champs de mines. Le gouvernement s’emploie à réhabiliter la région. Il y a les montagnes au loin, les champs de grenadiers et tout autour, des maisons en ruines. Le bus s'est d'abord arrêté dans le village d’Agdam, ou plus exactement dans la campagne autour de ce village.
Le but de cet arrêt est très précis. Le représentant du ministère de l'Intérieur, le lieutenant Aykhan Mustafayev emmène les journalistes devant un champ de cannabis de dix hectares. "C'est bien la preuve que nous avions raison quand nous accusions les séparatistes arméniens de se livrer au trafic de drogue", assure-t-il. Le champ a l'air d'être abandonné depuis plusieurs années mais cela n'empêche pas les journalistes azerbaïdjanais de filmer chaque plant de cannabis. Les officiels dénoncent devant les caméras les trafiquants arméniens. Direction ensuite Khocaeli, là encore pour voir un champ de cannabis. Le trafic de drogue est en effet le thème de cette visite.
Ce n'est pourtant pas ce qui intéresse de nombreux journalistes qui aimeraient s'arrêter dans les villages reconquis, pour voir s’il y a des traces de destructions, de violences, si des Arméniens sont restés ou des Azerbaïdjanais revenus mais il est interdit de parler à quiconque. Pour rejoindre Khocaeli, le convoi a traversé Askeran, une petite ville arménienne. Elle est silencieuse aujourd’hui, il y a des écriteaux en arménien aux façades des commerces vides, quelques chiens qui errent dans la rue, des signes aussi d’un départ précipité comme une poussette renversée et des sacs. Il n'y a que des convois de l’armée et des check-points tenus soit par des soldats azerbaïdjanais, soit par des Russes et leurs blindés.
Le bus arrive alors à Khocaeli, un lieu traumatique pour les Azerbaïdjanais. C’est là que plus de 600 civils ont été massacrés par les Arméniens le 26 février 1992 lors de la première guerre. Une jeune journaliste de la télévision azerbaïdjanaise ARB s’en émeut : "Il y a eu beaucoup de morts ici, le sang a coulé sur cette terre. Et cette terre, ils en ont fait un champ de cannabis". Après avoir quitté Khocaeli, le convoi de journalistes insiste pour aller à Stepanakert ou plutôt, Khankendi dont il est à à peine quelques kilomètres mais cela est formellement interdit.
L'électricité a été rétablie à Khankendi, ex-Stepanakert
Le bus va malgré tout traverser la ville, de nuit, à grande vitesse, pour rejoindre Choucha. Les journalistes tentent d'apercevoir quelques bribes, comme ce panneau d’entrée flambant neuf "Khankendi". C’est sans doute, avec les drapeaux, le premier signe que les Azerbaïdjanais ont changé quand ils ont investi la ville. Celle-ci est aujourd'hui silencieuse, elle semble intacte mais déserte. Il y a un caddy abandonné, quelques voitures renversées, des chiens. Curieusement, les lumières sont allumées dans les maisons et les immeubles vides. Le gouvernement azerbaïdjanais a rétabli l’électricité.
"Nous sommes à Khankendi, c’est Khankendi. Dieu soit béni. C’était mon plus grand souhait, c’est tellement beau. Avant, Khankendi nous appartenait. Après, les autres sont venus et maintenant, c’est de nouveau à nous", explique Zafer, le chauffeur du convoi. C’est la première fois qu’il y revient depuis plus de 30 ans. L’Azerbaïdjan a certes retrouvé la souveraineté sur le Haut-Karabakh mais il n’est pas encore prêt à laisser civils ou journalistes y circuler librement.
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