Reportage
Cuisine, chant, marche à pied et bienveillance : les recettes d'un Ehpad de l'Yonne pour assurer le bien-vieillir et l'autonomie de ses résidents
Comment bien vieillir à domicile ou en Ehpad alors que le secteur du grand âge manque de moyens et de personnel et que, dans le même temps, le nombre de plus de 60 ans ne fait qu'augmenter ? Ce sont des questions auxquelles la loi "Bien vieillir" va tenter de répondre. Le texte est examiné à partir d'aujourd'hui par les députés. Après le scandale Orpea révélé en 2022 par le livre-enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet, les maisons de retraite ont mauvaise réputation. Pourtant, il existe bien des établissements où il fait bon vivre et vieillir.
Exemple à Brienon-sur-Armançon dans l'Yonne. Ce qui frappe quand on entre au Hameau la Loupière, c'est que cela ne ressemble pas à un Ehpad classique. Ici, le personnel ne porte pas de blouses blanches, les résidents ne sont pas dans des fauteuils roulants, il y a des couleurs, de la vie. Sous les verrières de la salle d'animation, une dizaine de résidents épluchent des pommes de terre et des carottes. Renée, 90 ans, est enchantée. "Nous coupons des légumes pour la soupe de ce soir, explique-t-elle. Nous la dégusterons autour d'une table, tous ensemble. C'est merveilleux, la vie est belle !"
La méthode de "l'humanitude"
Ici, l’ambition est de redonner de l'autonomie aux 75 résidents, grâce à une méthode appelée "l'humanitude". Les personnes âgées sont ici chez elles, entourées de leurs bibelots et de leurs photos. Elles vivent à leur rythme et quand on entre dans leur chambre, il faut frapper. C'est ce que fait
Anne-Sophie, assistante de soins en gérontologie, avant d'entrer dans la chambre de Paulette. "Bonjour, la sieste était bonne ?, demande-t-elle à la résidente. Je venais pour vous proposer un atelier chant." Anne-Sophie a été formée pour regarder les habitants de l'Ehpad dans les yeux en se mettant à leur hauteur, elle a appris à leur parler et à les manipuler avec douceur. Ici les résidents marchent au moins vingt minutes par jour.
Bien sûr, cela demande beaucoup d'efforts mais cela redonne du sens au travail de cette aide-soignante, qui confie : "C'est beau de voir un résident qui marche, qui a le sourire ... Le fait qu'on le regarde, qu'on le touche, c'est magnifique." Même les résidents les plus dépendants participent aux animations. Dans l’unité Alzheimer, ils poussent la chansonnette. "Vous donnez le départ, Mado ? Comme c'est vous qui avez choisi la chanson ...", propose une aide soignante. La résidente entonne les premières mesures de Mon amant de Saint-Jean, bientôt suivie par les autres membres de la chorale.
Un gain visible en autonomie pour les résidents
Les dirigeants de l'établissement ont choisi de former leur personnel en piochant dans leur budget, et cela fonctionne tellement bien que les résidents gagnent en autonomie. Le directeur de l'association Pierre Kucharski regrette de ne pas être plus soutenu. "Le travail d'amélioration de l'autonomie que nous accomplissons n'est absolument pas valorisé, déplore-t-il. Nous n'en ferons pas des gens qui vont s'inscrire aux Jeux olympiques, c'est certain. Mais nous allons en faire des personnes qui ont plus d'autonomie, qui peuvent marcher. Globalement, le taux de grabatisation diminue, nous avons des statistiques qui le prouvent."
"C'est important pour tout le monde, autant pour la dignité du résident, son bien-être, que pour celui des salariés. Tout le monde est gagnant dans cette histoire."
Pierre Kucharskià franceinfo
Dans cet Ephpad, il n'y a pas plus de personnel qu'ailleurs parce que quand les résidents gagnent en autonomie, les aides-soignantes gagnent du temps.
Pour bien vieillir, il faut aussi être en bonne santé. Or aujourd'hui, les années qu'on gagne en espérance de vie ne sont pas des années en bonne santé. Le secret, c'est la prévention. Ainsi, au gérontopole de Toulouse, le professeur Yves Rolland a mis en place un programme proposé par l'OMS : ICOPE, pour Integrated Care for Older People (soins intégrés pour personnes âgées). Ce programme permet de repérer les problèmes avant qu'ils ne s'aggravent à l'aide d'une simple application qui questionne les personnes âgées sur leur état général. "Par exemple, s'il existe une difficulté de mobilité, cette anomalie est repérée par un test de lever de chaise, détaille Yves Rolland. À ce moment-là, cette alerte est renvoyée à une infirmière qui peut appeler le patient, prendre contact avec le médecin traitant, voir les raisons possibles de cette diminution de la mobilité, et intervenir précocement. Les solutions peuvent être d'engager la personne âgée dans des groupes d'activités physiques ou de faire des modifications thérapeutiques."
"Les différentes actions possibles ne sont souvent pas menées actuellement, parce qu'on attend que les personnes âgées soient dépendantes pour qu'il y ait une véritable alerte. Il faut vraiment qu'on agisse en amont."
Professeur Yves Rolland, gériatrefranceinfo
Ce gériatre de l'IHU HealthAge de Toulouse estime qu'à grande échelle, ce programme permettrait de diminuer la dépendance de 150 000 personnes en France, simplement grâce à la prévention. Les professionnels du secteur réclament donc un plan plus ambitieux que cette loi "Bien vieillir", pour répondre aux enjeux d'une société qui prend de l'âge en mauvaise santé.
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