"Aujourd'hui, nos enquêtes sont prises au sérieux" : comment l'association L214 est devenue incontournable dans la lutte contre la maltraitance animale

Fondée en 2008, L214 s'est fait connaître en publiant des vidéos chocs de maltraitance animale. L'affaire de l’abattoir d’Alès en 2015 lui permettra d'être prise au sérieux par les services de l'État et la justice. Depuis, elle est un acteur clé dans le monde de l'élevage.
Article rédigé par franceinfo
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Un militant de l'association L214 lors d'un rassemblement de l'association le 11 juin 2021. Photo d'illustration. (MARTIN NODA / HANS LUCAS / VIA AFP)

Une nouvelle affaire de maltraitance animale devant la justice. Le procès d'un élevage de cochon s'est tenu jeudi 21 mars devant le tribunal judiciaire d'Auxerre. Le jugement a été mis en délibéré. Une nouvelle fois, c'est à la suite des révélations de L214 que l'enquête avait été ouverte.
 En quelques années, cette association de défense des animaux d'élevage s'est fait connaître du grand public grâce à ses vidéos chocs tournées en caméra cachées dans des abattoirs ou des élevages.

Cette stratégie du choc est utilisée pour faire changer les mentalités et les pratiques. Par exemple, en 2016 dans le Gard, l'association publie des vidéos de maltraitance animale dans l'abattoir du Vigan. Stéphane Thiry est éleveur. À l'époque, il collaborait avec cet abattoir, sans se douter de l'envers du décor : "On a été assez choqué parce qu'on était fier de notre petit abattoir de campagne, comme on l'appelait. Et puis, on s'imaginait que tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes. On s'est aperçu que finalement, même dans notre abattoir, il pouvait y avoir des dérives."

Un abattoir menacé de fermeture aujourd'hui devenu un modèle 

Sur place, la vidéo de L214 fait l'effet d'une bombe. L'abattoir est menacé de fermeture, alors les éleveurs décident de prendre les choses en main. Ils créent une coopérative. Désormais, ce seront eux, les éleveurs qui s'occuperont de l'abattage. Stéphane Thirry prend la tête de cette nouvelle structure en 2018.

"Cet abattoir est devenu progressivement l'extension de nos exploitations, explique-t-il, c'est-à-dire qu'on manipule et on considère les animaux dans l'abattoir comme on les prend en considération sur nos élevages. Donc au niveau des cadences aussi, c'est sûr, ce n’est pas du tout les mêmes cadences que dans un abattoir, on va dire de grande taille. Et puis on organise régulièrement des visites, on reçoit des gens et on a voulu justement que cet abattoir soit assez transparent." L'abattoir est devenu un modèle aujourd'hui, cité en exemple par L214.

Le point de bascule en 2015

L'affaire de l'abattoir du Vigan remonte à 2016, à cette époque L214 devient un acteur incontournable de la cause animale. L'association a été fondée en 2008 et reste dans l'ombre plusieurs années. Jusqu’au point de bascule de 2015 avec l’abattoir d’Alès. L214 publie les images de chevaux, de cochons et de veau agonisants. L'affaire est reprise massivement par les médias. C'est à ce moment que L214 gagne en notoriété et surtout en légitimité. "Quelque part, cela a été une reconnaissance à plusieurs titres du travail de l'association, selon sa cofondatrice Brigitte Gothière. Les politiques prennent les images au sérieux. À l'époque, la justice n'était pas encore saisie de ces questions. Quand on déposait une plainte, plusieurs procureurs classaient plutôt sans suite. Mais on le voit aujourd'hui, les enquêtes sont prises avec plus de sérieux. D'abord au niveau des abattoirs, ensuite au niveau des élevages."

"La réputation de L214 permet aujourd'hui d'attirer l'attention et d'obtenir celle des magistrats et des services de l'État. C'est des choses qu'on n'avait pas forcément au tout début. On montrait des images et les services vétérinaires ne nous répondaient des fois même pas."

Brigitte Gothière, cofondatrice de L214

à franceinfo


Depuis 2015, L214 accumule les victoires : des dizaines de fermetures partielles, et parfois même totales, d'élevage ou d'abattoir visés, des demandes de mises en conformité, des condamnations judiciaires également. Et puis surtout, l'association a été à l'origine de transformations profondes chez plusieurs géants de l'industrie agroalimentaire. L'entreprise Hénaff, par exemple, qui produit des pâtés, s'est engagée à la suite d'une enquête de L214 à changer drastiquement les conditions d'élevage de ses cochons. Sur les œufs de poules élevées en cage, 150 entreprises se sont résolues à ne plus en commercialiser. Là encore, après le travail de l’association.

Une association militante et critiquée

Mais malgré toutes ces avancées, L214 est encore loin de son objectif premier, à savoir l'arrêt total de la consommation de viande. Sur cette question les résultats se font attendre, malgré le poids de l'association - 50 000 membres, une centaine de salariés - et malgré ses relais médiatiques et politiques. La consommation de viande en France a même augmenté de 3% sur les dix dernières années. Voilà pourquoi L214 s'est fixé un nouvel objectif, plus raisonnable : une diminution de moitié de la production de viande d'ici 2030.

L214, ce sont donc des convictions politiques d'un côté, et de l'autre des enquêtes qui se veulent impartiales. Un mélange des genres pointé du doigt par l'avocat Antoine Tugas. Il a défendu trois salariés de l'abattoir de Mauléon dans les Pyrénées-Atlantiques. Dans cette affaire, selon lui, L214 a publié des vidéos pour choquer et non pour informer. "Le dossier aurait pu être traité d'une manière bien différente si quelques précautions élémentaires avaient été prises. On peut rappeler, c'est anecdotique, que, au moment où ces images sont prises, on était à la période de Pâques. Les cadences par rapport à l'abattage des ovins sont très importantes, avec un sous-effectif chronique dans cet abattoir avec des machines qui fonctionnent mal, c'est acquis aujourd'hui", assure-t-il.

"Donc, la première précaution eut été de considérer que ces images méritaient à tout le moins analyse et recul. Ça, c'est de l'investigation, du journalisme ou du lanceur d'alerte. On fait des effets d'annonce en expliquant qu'il y a des actes de cruauté dans l'abattoir de Mauléon et on balance des images en disant : 'Regardez-nous, on s'en lave les mains maintenant, on a fait notre boulot.' Et là, effectivement, on n'a pas cette prise de responsabilité nécessaire par rapport au côté vertueux qu'on affiche." Dans cette affaire, les trois salariés ont finalement été condamnés à de simples amendes. Le tribunal a estimé que la faute était surtout imputable à l’employeur.

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