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"On est déjà des virus pour les gens" : les sans-abri, grands oubliés de la crise sanitaire du Covid-19

L'épidémie isole encore un peu plus les personnes qui vivent à la rue. Les services de santé et administratifs ne sont quasiment plus accessibles et le reste de la population tient plus que jamais les SDF à distance.

Article rédigé par Valentin Dunate
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des bénévoles de l’association "les maraudeuses" discutent avec une personne sans abri lors de leur maraude hebdomadaire à Périgueux (Dordogne), le 5 décembre 2020. (EMMANUEL CLAVERIE / FRANCE-BLEU PÉRIGORD)

Ils sont 300 000 en France selon la fondation Abbé Pierre : les sans-abri font partie des grands oubliés de la crise sanitaire du Covid-19. Première conséquence de l’épidémie, beaucoup de lieux, essentiels pour les SDF, sont toujours fermés. Des lieux qui permettent de se réchauffer ou de se laver, une priorité quand il fait froid.

>>"On arrive à 10 ou 12 admissions par jour" : des centres d'accueil permettent une prise en charge des sans-abri testés positifs au Covid.

À la soupe populaire de la Mie de pain dans le 13e arrondissement de Paris, une sans-abri explique qu’avec le "Covid, partout, tout est désert". "Il aurait pu par exemple y avoir un bistrot, un restaurant, un endroit où essayer de s’asseoir pour au moins se reposer même deux heures, explique cette femme de 62 ans qui dort dans la rue depuis un an. "Là tout est fermé, et vous êtes livré à vous-même. Vous pouvez marcher, marcher, marcher, insiste-t-elle. Et quand il gèle, vous ne pouvez plus marcher. Vous devez impérativement trouver un endroit où vous stopper et la nuit tout est fermé, c’est très très difficile."

"Personne ne viendra te voir"

L’épidémie isole encore un peu plus les personnes en grande précarité. C'est ce que nous dit de manière cynique, Daniel, 54 ans, qui est actuellement hébergé dans le centre de la Mie de pain : "De toute façon tu n’as pas besoin de gestes barrières, personne ne viendra te voir. Les gens font les gestes barrières vis-à-vis de nous, on est déjà des virus pour eux."

Cet isolement physique et social touche d’autres domaines : la santé ou l’administratif. "Il faut savoir que la préfecture a fermé pas mal ses portes", explique Mathilde Dufour, assistante sociale.

Avant on pouvait se présenter un peu spontanément pour faire une première demande de titre de séjour, maintenant ce n’est plus possible, il faut prendre des rendez-vous en ligne et le site ne marche pas.

Mathilde Dufour, assistante sociale

à franceinfo

"Au niveau de la santé, il y a eu beaucoup d’annulations ou de reports de rendez-vous, poursuit Mathilde Dufour. On a bien vu après l’été qu’il y a eu pas mal de dégradation au niveau de la santé chez des hébergés." Selon le président du conseil scientifique, les sans-abri de Paris paient même un très lourd tribut au coronavirus. Au début du mois d’octobre, ils étaient 40% à avoir été infectés.

Un système d'hébergement d'urgence repensé

La crise sanitaire a aggravé les inégalités. Face à cette situation, tout le système a été repensé depuis le premier confinement. D’habitude, quand on est dans la rue, on appelle le 115 et on trouve (ou non) un hébergement pour la nuit. Avec l’épidémie de Covid-19, la méthode a changé. Pour éviter les contaminations, toutes les personnes qui sont hébergés en ce moment ont un toit pour l’hiver si elles le souhaitent.

"Ça c’est mon château à moi, je suis tranquille. C’est pas beau !", lance Amel, logée dans un autre centre de la région parisienne, celui du Samu Social à Montrouge. Amel est ce qu’on appelle une travailleuse pauvre. Avant la crise, elle travaillait. Puis, elle s’est retrouvée à la rue et a décidé de dormir devant le centre :"Je suis restée quatre semaines dehors et de là, j’ai eu de la chance. Il y a eu le problème du coronavirus et on m’a hébergée parce qu’avant ce n’était pas possible !" Avoir un logement "c'est whaou !, lâche-t-elle. Vous ne savez pas la charge qui a été ôtée de mon dos."

En temps normal, toutes ces personnes, comme Amel, n’auraient pas pu être hébergées aussi longtemps. Le problème, comme l’explique Jean-Marie Hugues, le directeur de l’association la Mie de pain, c’est pour tous les autres, ceux qui n’ont pas de place en ce moment : "Pour ceux qui sont à la porte, et qui normalement auraient pu bénéficier de ce turn-over très rapide, la vision est totalement opposée. Ils trouvent que les places ne se libèrent pas, qu’il n'y a pas de turn-over et ils aimeraient bien bénéficier de ces chambres."

Déjà "anticiper la fin de l'hiver"

Pour faire face à cette situation, le gouvernement a tout de même augmenté le nombre de places d'hébergement. À Paris par exemple, 1 500 places de plus ont été créées par rapport à l’an dernier et 500 devraient ouvrir en décembre. Les hôtels, qui n’accueillent plus de touristes, parfois même des trois ou des quatre étoiles ont en effet de nombreuses chambres disponibles.Les centres, eux, sont déjà saturés. "Ce qui est un peu inquiétant, c’est que ces hôtels vont reprendre une activité touristique, et il nous faut dès à présent réfléchir pour anticiper la fin de l’hiver", explique Sabrina Boulefrade, directrice du SIAO de Paris, une structure qui gère tous les appels au 115 et qui s’occupe ensuite de l’insertion.

On a un enjeu majeur : ne pas les remettre à la rue.

Sabrina Boulefrade, directrice du SIAO de Paris

à franceinfo

D’autant que parmi ces personnes qui vont se retrouver à la rue, il n’y pas que des sans-abri. Dans les distributions de nourriture, la soupe populaire, les SDF sont désormais rejoints par des "travailleurs pauvres", comme Amel, ou des étudiants qui n’ont plus de petits boulots pour manger et payer leur loyer.

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