"On a la chance d'être au plus près d'eux" : dans les coulisses du Vendée Globe, le PC course suit les skippers au quotidien
Même à des milliers de kilomètres de distance, l'organisation du Vendée Globe est en lien permanent avec les concurrents, pour échanger sur leurs conditions de navigation, leurs émotions ou leurs problèmes de santé.
En face du célèbre ponton des Sables d'Olonne (Vendée), d'où sont partis il y a un mois les 33 monocoques du Vendée Globe, le quai est désert. Mais quand on pousse la porte grise d'un immense préfabriqué, on se retrouve soudainement en plein de cœur de la course. C'est le PC course, les coulisses de cette course en solitaire sans escale. Là où on veille nuit et jour sur les marins.
Autour de la table, une dizaine de personnes participent chaque matin à 8 heures à la réunion "bilan de la nuit et météo du jour", devant les mêmes écrans que ceux des skippers dans leur cockpit. Celui qui préside, c'est Jacques Caraës, le directeur de course, il vient de terminer son quart 22h-6h. Il a encore les yeux collés, les traces de draps sur les joues, après une toute petite sieste sur le canapé : "Ce week-end, j'ai dû faire 38 heures d'affilée au bureau."
Émotion et confession
Une veille permanente et des contacts dès l'aube, à 5 heures du matin. Antoine Grenapin appelle trois skippers différents : "Jean, la France entière se demande ce qu'il y avait dans le sac que tu as pris hier, est-ce que tu as commencé à entamer ton beurre ?", demande-t-il à Jean Le Cam. "Oui, j'ai eu du beurre demi-sel, du pâté, un peu de pain, donc c'est sympa", répond le marin. "Ils n'ont pas dormi beaucoup, donc ça leur fait du bien d'humaniser un peu ce qu'ils vivent, explique Antoine, au PC course. C'est toujours un bon moment, très fort. C'est le truc le plus beau qu'on fait, c'est qu'on a la chance d'être au plus près d'eux. Chacun à leur manière, il y en a qui ont plus d'émotion que d'autres, il y en a qui se confient plus que d'autres."
Le mythe du marin qui ne dit pas tout, c'est une vérité, mais l'émotion est toujours à fleur de tout ce qu'ils nous disent.
Antoine Grenapin, au PC courseà franceinfo
Son téléphone scotché à la main, Jacques Caraës, lui-aussi, participe à ce confessionnal, à 12 000 kilomètres de distance. Mais avec certaines limites : "Entre eux, ils se cachent des choses, on ne peut pas tout dire. Dans notre jargon, on dit qu'on 'reste dans les filières', comme les filières d'un bateau. Une avarie d'un concurrent peut apporter un regard différent en compétition entre eux. Une perte de voile, par exemple, si le skipper nous dit que ça reste confidentiel, ça ne sort pas de la direction de course. Et ça, il faut le préserver. Si on est des mouchards, ils ne nous diront plus rien."
Un suivi en direct crucial dans les moments de crise
Car le Vendée Globe reste une compétition, une course, avec ses rebondissements et ses crises. Dans ces cas-là, c'est la ligne rouge qui sonne parmi les quatre téléphones branchés dans le bureau de la direction de course. Comme fin novembre, au moment du naufrage de Kévin Escoffier. Aujourd'hui, ces crises-là, Jacques Caraës peut les vivre en direct, depuis son bureau : "Pour le sauvetage par exemple, j'étais en direct avec Jean Le Cam par skype. Sa caméra, qui était à l'intérieur du bateau sur sa table à carte, était tournée en permanence. Jean était les deux tiers du temps sur le pont, et il venait de temps en temps me donner une situation. C'est assez stressant quand même, oui."
La crise peut-être aussi sanitaire et dans ce cas, celui qui prend le relai, c'est Jean-Yves Chauve, le médecin de la course. "Marin-médecin" ou "médecin-marin", c'est comme ça qu'il se définit. Il est là depuis la première édition, en 1989. Lui est à Pornichet et il s'interdit de faire de la route pendant tout le Vendée Globe. Il reste chez lui, toujours au cas où.
Quand survient un drame, il est prêt à tout pour aider les skippers : "Bertrand De Broc, quand il s'est recousu la langue, en 1992, c'est vrai que j'ai simulé le geste pour savoir si, déjà, moi j'étais capable de le faire. Et si lui, évidemment, sans être médecin, sans l'avoir jamais fait, était capable de le faire. Je n'ai pas été jusqu'à la recoudre, mais je me suis piqué la langue pour voir ce que ça pouvait faire."
Il faut se transposer sur le bateau. J'ai un double de la pharmacie chez moi, j'ai sorti la trousse, j'ai sorti l'aiguille et je me suis piqué la langue.
Jean-Yves Chauve, médecin de la courseà franceinfo
Quelques ecchymoses et côtes fêlées : pour l'instant, Jean-Yves Chauve n'a pas fait face à de gros drames. Mais jusqu'à ce que le dernier concurrent rentre aux Sables d'Olonne, il gardera branché à son téléphone son amplificateur de sonnerie, qui lui garantit d'être réveillé, même dans un sommeil très profond.
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