"Il y a une distance, une fermeture" : en Ardèche, une commune se déchire autour du chantier d'une immense église
A Saint-Pierre-de-Colombier, commune ardéchoise de 400 habitants, la Famille missionnaire de Notre-Dame est installée depuis plus de 75 ans. On le constate en grimpant sur les hauteurs près d'une statue de la Vierge. "Il y a l'église et les deux bâtiments plutôt récents derrière", décrit Clémence Delahaye, agricultrice, "c'est là où la communauté est installée". 30 à 40 religieux vivent ici à l'année, près d'une église jugée trop petite par la communauté qui compte 155 membres au total dans toute la France. Depuis des années, ils réclament la construction d'une immense chapelle de 3 500 places.
L'Etat a rejeté les recours des opposants, les travaux ont donc déjà commencé, offrant un paysage très bétonné. "Et encore, au niveau du cours d'eau, quand on est une truite ou une loutre, on voit encore plus de béton", se désole Pierrot Pantel, ingénieur écologue, pour qui le projet n'est pas sans conséquences écologiques. "Plusieurs hectares d'habitats d'espèces protégées ont été détruits, puisqu'ils ont rasé des bois, des bosquets, qui sont des lieux de vie de ces espèces et qui aujourd'hui ne sont plus là".
Cette dégradation de l’environnement est la principale raison d’être du collectif d’opposants qui manifeste ce samedi 8 avril. Une plainte pénale vient d'être déposée à ce sujet.
Au-delà des opposants, la Famille missionnaire de Notre-Dame est également dans le viseur de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), qui l'a épinglée notamment dans son rapport 2018-2020, à la suite de témoignages évoquant parmi ses membres des jeunes trop peu matures, malléables, mal soignés, éloignés de leurs familles ou dont la correspondance serait censurée.
"C'est complètement diffamatoire", se défend le supérieur de la communauté, père Bernard, "je n'ai jamais ouvert la lettre d'un membre de la communauté, je n'ai jamais empêché un membre de la communauté d'aller voir un médecin. Il y a toute liberté par rapport aux familles, tout ce qui est dit là-dedans est faux". L’an dernier encore, la Miviludes a reçu cinq saisines à ce sujet et une enquête pénale a été ouverte par le parquet de Privas.
Les membres de la communauté ne se définissent pourtant pas comme des catholiques traditionnalistes. Ils respectent les réformes du concile Vatican II, il y a bien une messe en latin mais une fois par semaine seulement. Sur le lieu de vie de la communauté autour de l'église historique du village, l'ambiance est assez détendue. Chacun s'affaire, une sœur passe le balai, un frère part cuisiner, un autre étudie… Peu acceptent de discuter, mais beaucoup regrettent que la manifestation des opposants ait lieu en ce samedi de Pâques.
Depuis des années, les relations sont assez froides entre les habitants et les membres de la communauté : "Certaines personnes de manière récurrente ne nous disent pas bonjour ou détournent le regard quand nous leur disons bonjour ou faisons un bon signe de tête", déplorent les sœurs Léonie et Charlotte, "en tout cas, il y a toujours eu une distance, une fermeture."
De leur côté, certains habitants s’agacent de voir les religieux prendre de plus en plus de place, avec le rachat de plusieurs maisons du village par des proches de la communauté. C'est ce qu'a fait Gérard Renard, dont deux enfants sont depuis 20 ans, au sein de la Famille missionnaire, et pour qui "on est catholique, le gros souci il est là. Il y a eu des marques sur le mur qui ont été effacées ici ! Si elles y étaient encore, on verrait que ce n'est pas l'écologie ni la laïcité qui étaient défendues, c'est l'anticatholique."
"On sent que les chrétiens sont persécutés dans le monde, on comprend pourquoi parce qu'ils sont même persécutés ici."
Gérard Renardà franceinfo
L’an dernier, Eric Zemmour est arrivé ici en tête, au premier tour de la présidentielle, juste devant Jean-Luc Mélenchon. Les opposants au chantier de l’église y voient la marque des religieux, des membres de la communauté venus de toute la France étant inscrits, légalement, sur les listes électorales du village.
Le soutien du maire au chantier
Il n'y a que deux commerces à Saint-Pierre-de-Colombier. La coiffeuse assure que le projet de basilique est très peu évoqué par les clients. L'épicière, Laure Hodgin, explique en riant qu'elle aurait "préféré un Center Parc !" avant de poursuivre : "On a vu les plans, c'est vrai que c'est un peu grand, mais ce sera un plus pour nous, au niveau du commerce." C'est aussi l'argument du maire, élu depuis 22 ans, qui soutient le chantier, mais ne s'étale pas en commentaires.
Le projet d'église n'a jamais été mis à l'ordre du jour au conseil municipal. "Ça me pose un problème", explique la première adjointe Sophie Nahas, "parce qu'en tant que commune on n'a peut-être pas une action sur un chantier privé de cet ordre-là, mais on doit s'inquiéter de la sécurité des ponts, des routes, des nuisances que le chantier va directement provoquer chez les riverains."
Pourtant, rappelle Pierrot Pantel, d'une certaine façon c'est toute la société qui finance le chantier : "C'est vous, c'est moi, c'est un peu tout le monde, le contribuable à travers ses impôts, parce que c'est payé avec des dons. Et les dons sont défiscalisés à hauteur de 66%".
Au total, le montant estimé de cette construction s'élève à 18 millions d’euros. Le diocèse et le Vatican sont opposés au chantier, Rome a d'ailleurs envoyé sur place, ces derniers mois, un assistant apostolique, pour observer de plus près les "problèmes de gouvernance" au sein de la Famille missionnaire de Notre-Dame.
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