Colère des agriculteurs européens : "Nous n'acceptons pas que des produits normés européens avec l'étiquetage Maroc soient bloqués", s'agace le principal syndicat patronal agricole marocain

Alors que des agriculteurs français et espagnols bloquent plusieurs points de passage le long de la frontière franco-espagnole ce lundi, Youssef Alaoui, le secrétaire général de la Confédération marocaine de l'agriculture, répond aux accusations de concurrence déloyale.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Youssef Alaoui le 3 juin 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"Nous, en tant qu'agriculteurs, n'acceptons pas que des produits normés européens avec l'étiquetage Maroc soient bloqués", réagit lundi 3 juin Youssef Alaoui, le secrétaire général de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER), le principal syndicat patronal agricole marocain, alors que les agriculteurs français et espagnols ont organisé des barrages des deux cotés de Pyrénées. Ces agriculteurs français et espagnols demandent, à quelques jours des élections européennes, une politique agricole totalement harmonisée. Ils dénoncent également la concurrence déloyale, selon eux, des fruits et légumes provenant notamment de l'autre côté de la Méditerranée, comme le Maroc.

Ces agriculteurs français et espagnols mentionnent notamment le coût du travail au Maroc, qui est moins élevé qu'en France. "À ma connaissance, il y a un salaire minimum en France, mais je ne pense pas qu'il soit commun sur l'ensemble de l'Europe. Et on ne demande pas à l'agriculteur italien ou roumain ou polonais de s'aligner. Je ne voudrais pas revenir à un faux débat comme celui du plombier polonais", réplique Youssef Alaoui. Il ajoute que les agriculteurs marocains respectent "totalement les normes sanitaires", précisant que l'étiquetage mentionne bien "origine Maroc".

Franceinfo : À votre connaissance, certaines de vos cargaisons ont-elles été prises pour cible aujourd'hui ?

Non. À la différence du 15 mai où des marchandises avaient été saccagées, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

À Perpignan, le 15 mai, la cargaison de tomates-cerises d'un des poids lourds en provenance du Maroc a été en partie déchargée sur la chaussée.

Oui, exactement. Et là, je voudrais rétablir certaines choses, parce que lorsqu'on parle de concurrence déloyale et qu'on sous-entend que la tomate marocaine et la tomate cerise ne respectent pas les normes sanitaires, environnementales : c'est faux, nous respectons totalement les normes sanitaires. Sinon vous ne trouverez pas la tomate sur les étals français. Ça ne serait pas possible. Il y a des organes de contrôle, il y a la répression des fraudes et j'en reviens aussi à l'étiquetage d'origine, c'est effectivement bien mentionné origine Maroc.

En 2023, on a retrouvé des barquettes de tomates cerises à moins d'un euro dans des hypermarchés Leclerc, ça avait fait l'objet d'une manifestation d'agriculteurs qui étaient venus coller des étiquettes origine Maroc sur les barquettes. Ça vous met en colère ?

Ça me met en colère tout simplement parce que l'origine marocaine est mentionnée. C'est une norme obligatoire et l'origine Maroc est clairement mentionnée, je n'ai pas compris l'intérêt de cette démarche.

C'était pour montrer que les barquettes marocaines sont beaucoup moins chères, un euro la barquette pour les tomates cerises marocaines contre trois euros à peu près pour les tomates cerises françaises.

Nous avons du soleil toute l'année, nous produisons toute l'année.

"Durant l'hiver, s'il fallait produire la tomate cerise en France, il faudrait le faire sous des serres chauffées avec une empreinte carbone importante, c'est très énergivore."

Youssef Alaoui

sur franceinfo

Qu'est-ce que veut le consommateur ? Il veut des tomates aux normes européennes toute l'année.

Ces tomates viennent d'abord par bateau, puis par camion, vous avez un coût de transport. Vous dites que vous respectez toutes les normes en vigueur en Europe. Comment faites-vous pour avoir des tomates trois fois moins chères que les tomates françaises ?

Nous avons un ensoleillement permanent qui fait vraiment toute une différence. Nous avons effectivement, par exemple sur la région de Sousse, la région d'Agadir qui est fortement productrice depuis quelques années, une station de dessalement qui nous permet d'avoir de l'eau à l'année. Et donc ces problèmes récurrents de stress hydrique, nous ne les avons pas sur le principe pour la tomate. Et je crois que là-dessus, c'est comme sur d'autres produits, on est, en termes de productivité, meilleurs que la France, surtout durant la période d'hiver, ce qui fait que nous sommes moins chers. Sur certains produits, par exemple le blé français qui arrive au Maroc, nous sommes importateurs de plus de deux millions de tonnes, 2 200 000 tonnes exactement. Le blé français effectivement, puisqu'il répond aux normes, rentre et il est beaucoup plus compétitif que le blé marocain.

Que répondez-vous aux agriculteurs que vous avez entendus sur les barrages qui parlent de concurrence déloyale ? Ils mentionnent notamment le coût du travail au Maroc, qui est moins élevé qu'en France.

Il y a un salaire minimum horaire au Maroc. Il y a une couverture sociale au Maroc. Et ce salaire minimum est en rapport avec le niveau de vie. À ma connaissance, il y a un salaire minimum en France, mais je ne pense pas qu'il soit commun sur l'ensemble de l'Europe. Et on ne demande pas à l'agriculteur italien ou roumain ou polonais de s'aligner. Je ne voudrais pas revenir à un faux débat comme celui du plombier polonais.

Avez-vous peur que les Français ne consomment plus de tomates cerises ? Est-ce un gros marché pour vous la France ?

Je suis venu aujourd'hui parce qu'il y avait cette manifestation prévue, pour répéter qu'effectivement ce qui a été fait le 16 mai est inadmissible. Nous, en tant qu'agriculteurs, n'acceptons pas que des produits normés européens avec l'étiquetage Maroc soient bloqués.

"Le Maroc exporte 50 000 tonnes de tomates cerises sur les 500 000 tonnes consommées en France."

Youssef Alaoui

sur franceinfo

En Espagne, vous avez porté l'affaire en justice. Avez-vous l'intention de faire la même chose en France ?

C'est porté aussi en France, en justice.

Les personnes qui ont saccagé les camions marocains à Perpignan le 15 mai ont-elles été arrêtées ?

Non, mais nous avons pris un avocat en France et en Espagne, et effectivement, la justice suit son cours. C'est suivi au Maroc et c'est mal vécu. Vous savez, la balance commerciale joue en faveur de la France.

La France a une balance commerciale excédentaire.

Excédentaire avec les produits que vous savez faire. Vous savez faire du blé, vous savez faire du fromage et là-dessus, il n'y a pas de souci. Chacun fait ce qu'il peut faire. La France est un pays à vocation agricole, exportatrice, il ne faut pas l'oublier. Donc vouloir se fermer entièrement sur un produit...

"J'ai l'impression que la tomate cerise, c'est pour cacher un peu tous les problèmes de l'agriculture française."

Youssef Alaoui

sur franceinfo

Je crois qu'il y a d'autres soucis, d'autres débats actuels qui font que je ne voudrais pas que la tomate cerise soit le cache-misère de beaucoup d'autres choses qui ne nous concernent pas, qui concernent l'agriculture française.

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