Assemblée générale de Tesla : "L'enjeu pour Elon Musk, c'est la reconquête de son capital et de son image médiatique", analyse un journaliste
"L'enjeu pour Elon Musk, c'est la reconquête de son capital, mais aussi de son image médiatique", analyse, Boris Manenti, rédacteur en chef du service économie du Nouvel Obs et auteur du livre Elon Musk, le bonimenteur, aux éditions du Rocher, alors que l'assemblée générale de Tesla, le constructeur de voitures électriques, doit se tenir jeudi 13 juin de l'autre côté de l'Atlantique. Son fondateur Elon Musk veut y faire approuver un plan de rémunération colossal, estimé à 56 milliards de dollars, rien que pour lui, ce qui représente 10% du capital.
Si les résultats n'ont pas été officiellement annoncés à ce stade, le milliardaire Elon Musk, patron de Tesla, a affirmé que les actionnaires du constructeur automobile avaient validé sa méga-rémunération "à une large majorité", dans un message publié dans la nuit de mercredi à jeudi sur son réseau social X.
Franceinfo : Qu'est-ce qui motive en premier lieu Elon Musk ?
Boris Manenti : Clairement, le gain financier et c'est très net. C'est pour ça qu'il avait fait approuver ce plan par le passé pour avoir une rémunération en actions. D'abord, on ne sait pas exactement le montant qu'il touchera, mais c'est quand même plusieurs dizaines de milliards de dollars. Là, on est peut-être, en fonction du cours de la Bourse, autour de 46 milliards de dollars, mais ça évolue toujours. Une cinquantaine de milliards, ça reste une somme colossale, difficile à appréhender. Et son intérêt pour lui, c'est vraiment de l'empocher.
Dans votre livre, l'argent n'est pas le moteur principal d'Elon Musk.
Ce n'est pas son moteur principal, mais sur cette AG particulièrement, il a un côté un peu revanche. Elon Musk a déplacé Tesla de la Californie vers le Delaware pour installer le siège au Texas, mais fiscalement en tout cas, elle est au Delaware. Et c'est un juge du Delaware qui a estimé que ce plan n'était pas valide. Il avait trompé un petit peu les actionnaires et il a été vexé comme un pou. Donc c'est pour ça qu'il organise ce vote pour voter oui ou non sur sa rémunération pour, dans le futur appel de la décision en justice, faire valoir que les actionnaires le suivent.
"Il y a toute une bataille, un grand plan de com de la part de Tesla qui s'est mis au service de son patron pour faire valider cette énorme rémunération, en particulier du côté des plus petits porteurs."
Boris Manentisur franceinfo
Il a mis en place un site internet où il fait intervenir un robot qui explique aux petits porteurs qu'il faut qu'ils valident ce plan de rémunération. C'est la résolution numéro quatre. Pourquoi est-ce si important de faire adhérer les petits porteurs ?
Les petits porteurs ont beaucoup d'actions Tesla, ils représentent beaucoup. Je crois que c'est autour de 40% de l'entreprise et ce sont vraiment eux qui vont être le point de pivot. Les gros fonds actionnaires de Tesla ont leurs positions depuis longtemps et qui, potentiellement, sur ce sujet-là, se sont déjà prononcés par le passé. Certains sont clairement opposés. Les petits porteurs peuvent être un peu plus malléables. C'est tout l'enjeu d'Elon Musk et de la direction de Tesla, c'est de les convaincre d'à nouveau resservir ce discours qu'Elon Musk est l'homme providentiel pour l'entreprise et, par extension, pour la planète, et que ce serait lui qui aurait toutes les idées, qui serait génial et qui mérite cette énorme rémunération.
Il y a le fonds souverain norvégien notamment, qui s'est prononcé contre. Vous avez parlé de l'enjeu financier. Il y a également un enjeu de pouvoir d'Elon Musk à reconquérir une partie de son capital.
Exactement, il y a la reconquête de son capital, mais aussi de son image médiatique. Il est de plus en plus contesté. Tesla est malmené en Bourse depuis le début de l'année. Son image s'étiole petit à petit. Depuis qu'il a racheté Twitter, devenu X, on commence à mieux appréhender un peu la face sombre de ce personnage, son côté assez tyrannique, son côté un peu papillon en termes de décisions.
Il y a eu beaucoup, beaucoup de polémiques sur ses prises de position sur l'antisémitisme, sur le sexisme, sur l'homophobie, j'en passe."
Boris Manentisur franceinfo
Ça nuit évidemment à ses affaires.
Donc, il y a un enjeu important autour de cette AG.
Il y a un vrai enjeu de reconquête d'image, de se sentir soutenu par les actionnaires de Tesla et par extension, de ses prises de position actuelles. Est-ce qu'elles sont valables et validées par sa communauté ?
Comment pensez-vous que vont voter les actionnaires de Tesla, même si vous n'avez pas de boule de cristal ?
Évidemment, je n'ai pas de boule de cristal. Les premiers éléments que lui-même a diffusés, c'est difficile de savoir s'ils sont fiables ou pas, iraient en faveur d'un vote pour ce plan de rémunération.
Sachant que le montage financier a été adopté une première fois à 73%, ça montre aussi que dans la galaxie d'Elon Musk il y a maintenant X, il y a SpaceX et évidemment Tesla reste un peu le pivot, l'entreprise la plus importante.
C'est l'entreprise la plus valorisée. Donc c'est vraiment ça qui constitue sa fortune, combinée avec le fait que toutes ces entreprises sont très liées à ce patron et sont très imbriquées les unes entre les autres. Il y a des montages financiers où certains prêts à des entreprises sont garantis par des actions de l'autre entreprise, etc. Donc s'il y avait une carte du château qui tombait, potentiellement, elle entraînerait toutes les autres. D'où l'intérêt d'Elon Musk de garantir la survie et le succès de toutes ces entreprises en même temps. C'est pour ça qu'il y a eu des mouvements un peu particuliers, parfois faits par Elon Musk. Je repense par exemple au rachat de SolarCity, qui était entreprise de panneaux solaires, par Tesla. Même si ça ne faisait pas sens du tout, mais parce que si SolarCity faisait faillite, ça entraînait Space X et Tesla dans sa chute.
Quelles sont les motivations à long terme d'Elon Musk ? On a parlé de motivation de pouvoir, de motivation financière. Mais dans votre livre, vous vous posez la question de savoir si c'est un prophète en mission.
En tout cas, il se positionne de plus en plus comme ça et il y a un enjeu de pouvoir politique. Il se mobilise de plus en plus sur les questions politiques. On le voit très nettement avec Twitter, devenu X, où il a multiplié les prises de position anti-immigration, reprenant tout le vocabulaire du parti Républicain.
Il s'est positionné en faveur de Donald, de nouveau accepté sur Twitter.
Il s'est positionné en faveur de Donald Trump.
"Le Wall Street Journal nous apprend qu'il y a un accord secret entre les deux et que si Donald Trump est élu, il aura un poste de conseiller à la Maison Blanche."
Boris Manentisur franceinfo
Et là, clairement, il roule pour Donald Trump.
Son pouvoir, sa puissance, il les mettra au profit...
Pour l'instant, il les met au service du candidat Républicain et conservateur et, plus largement, de toutes les idées conservatrices dans le monde contre le progressisme.
On en vient au titre de votre livre, vous l'avez intitulé Elon Musk, le bonimenteur, pourquoi ?
Tout simplement parce qu'Elon Musk, c'est ce que je disais au début, il aime réécrire régulièrement son histoire, il aime resservir ce grand récit qu'il serait le héros qui nous sauvera tous dans tous les domaines. Et c'est là où je pense qu'il faut remettre un peu de contexte. Toutes les idées ne viennent pas de lui, évidemment, mais même, il y en a beaucoup qu'il copie-colle régulièrement.
Ce n'est pas le premier.
Ce n'est évidemment pas le premier. Et peut-être que ce n'est qu'un emblème de tout ça. Sauf qu'aujourd'hui, il est dans les personnes les plus riches du monde. Il est devenu un emblème de la réussite façon Silicon Valley. Sauf qu'il porte un projet politique derrière, on revient sur les idées très conservatrices qu'il promeut systématiquement. Et il a des relents comme ça, de sa culture sud-africaine et du mouvement afrikaner dans lequel il a grandi.
Donc un danger, dans le cadre des prochaines élections aux États-Unis, selon vous ?
En tout cas, une vraie question de démocratie, surtout quand il est à la tête d'un réseau social aussi puissant que X, où du jour au lendemain, il peut décider de bloquer des comptes, notamment de journalistes.
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