Ils ont fait l'actu. Le journaliste Maxime Brandstaetter revient sur la mort en Ukraine de son cameraman Frédéric Leclerc-Imhoff
Retour avec Sandrine Etoa-Andegue sur les événements marquants de l'année. Et ce sont ceux qui les ont vécus qui les racontent. Maxime Brandstaetter revient sur la mort du cameraman Frédéric Leclerc-Imhoff, tué lors d'un bombardement en Ukraine.
30 mai 2022, Frédéric Leclerc-Imhoff, journaliste reporter d’images pour BFMTV, est tué en Ukraine. Il se trouvait avec le reporter Maxime Brandstaetter, qui est blessé à la jambe et leur fixeuse Oksana Leuta, qui s’en est sortie indemne. Ils étaient sur la route de Lyssytchansk dans le Donbass, pour un reportage dans un camion humanitaire blindé destiné à aider la population encerclée par les Russes.
Maxime Brandstaetter dit se souvenir du moindre détail de cette journée du 30 mai où il a frôlé la mort et perdu son collègue. Trois mois après, il ressent toujours le besoin d’en parler, de raconter l’explosion, de la fixeuse qui l’attrape par le col et le tire vers le sol, les premières minutes de sidération quand il se rend compte que Frédéric Leclerc-Imhoff ne se relèvera pas. Il s’agissait de la seconde mission en Ukraine pour le cameraman, la troisième pour le jeune reporter de 28 ans.
"Côté gauche du camion, je passe devant la cabine, je vois tous les policiers qui descendent et je vois pas Fred. Instinctivement, je me rapproche de la cabine, mais les policiers me retiennent."
"J'aperçois juste ses jambes qui sont allongées, je vois son pantalon, je vois les chaussures qu'il avait et Oxana me traduit : 'les policiers te disent qu'il va pas bien, mais qu'il faut aller se mettre à l'abri'."
Maxime Brandstaetterà franceinfo
"On arrive au milieu de la rue vers un bâtiment de réfugiés. Je me retourne vers le camion et j'entends encore des obus. Je vois des gens qui courent, il y a le pilote qui saigne et je me mets à crier à répétition : 'Fred, Fred', je hurle : 'Fred' en direction du camion car j'ai l'impression que si je crie, il va finir par sortir", raconte Maxime Brandstaetter.
Le reporter lui n’a été que légèrement blessé lors de l’impact : "J’ai eu un petit éclat, un tout petit gravillon dans la jambe qui a transpercé le véhicule et qui est rentré dans ma jambe." Cette blessure, même infime, se rappelle à lui de temps en temps, quand il reparle de ce jour-là notamment. "En fait, quand elle me fait mal, ça me fait mal dans tout le nerf de l'arrière du mollet. Je ne sais pas trop pourquoi. C'est sûrement psychosomatique. Mais sinon, ça va très bien", dit Maxime Brandstaetter.
"Vivre le mieux possible avec ça"
Les deux survivants sont rentrés du Donbass ensemble et il l’a l'ai convaincue de de venir en France avec lui, "parce que je pensais que c'était important qu'on rencontre les parents de Frédéric, qu'elle témoigne aussi ici. Et après ça, elle est rentrée en Ukraine car avant d'être fixeuse, son métier c’est actrice. Je l’ai régulièrement au téléphone et elle surmonte ça en étant hyper active et en s'occupant tout le temps", raconte Maxime Brandstaetter.
Si physiquement, Maxime Brandstaetter n’a quasiment aucune séquelle, sur le plan psychologique, c’est différent. Il dit aujourd’hui "accepter" ce que ce traumatisme va modifier dans sa vie. "Je pense que j'essaie tout simplement d'apprendre à vivre avec. Je vois la vie différemment, je vais plus à l'essentiel. J'accepte que c'est toujours là, que je vais y penser toute ma vie, que toute ma vie quand il y aura un bruit fort, je vais sursauter, que toute ma vie quand un avion passera au-dessus de moi, j'aurai un petit réflexe de terreur. Mais voilà, j'essaie de comprendre comment vivre le mieux possible avec ça", avoue Maxime Brandstaetter.
Il confesse aussi avoir envie d’autre chose, de changer de vie, de perspective. Mais ce drame n’a en rien modifié son envie de continuer à exercer son métier de reporter avec les risques que cela implique : aller là où l’actualité se passe, y compris en zone de guerre. "J'ai voulu reprendre le travail très vite, les psychologues m'en ont empêché au début parce que j'étais en état de stress. Donc j'ai repris le travail mi-juillet parce que je le voulais déjà, parce que ça me donne un cadre. Ça me fait me lever le matin, ça me donne un but, ça me fait faire quelque chose. Mon amour pour ce métier, l’intérêt que j’y porte, n'a pas changé. Quand je regarde ce qui s'est passé là bas, oui, c'est lourd. Ça m'arrive de pleurer en pensant à ça, etc, mais à aucun moment, même juste après,j'ai regretté d'y être allé, j'ai regretté d'avoir fait ce qu'on a fait là-bas", confie Maxime Brandstaetter.
"On pensait que c'était important de montrer au monde ce que faisait la guerre. Je sais que Fred était exactement sur la même longueur d'ondes que moi. C'est pour ça qu'on y allait. Et je sais très bien que là, aujourd'hui, à ma place, il dirait encore une fois que c'est important et qu'il ne regrette pas."
Maxime Brandstaetterà franceinfo
Une enquête en cours
De l'enquête du parquet antiterroriste pour crime de guerre en France, il ne sait pas grand-chose. La fixeuse et lui ont longuement été interrogés par les autorités compétentes en Ukraine et en France sur les circonstances de l’attaque de ce véhicule humanitaire. "Tout ce que j'espère de cette enquête, c'est qu'ils arriveront à déterminer des responsabilités. Je sais que les enquêtes internationales, encore plus pour crime de guerre, c'est très long. Ça peut prendre du temps sans garantie d'aboutir. Moi, je sais que si au moins on arrive à déterminer une responsabilité, si au moins on arrive à démontrer que les Russes ont tiré sur un camion humanitaire qui était siglé humanitaire consciemment, ça me soulagera énormément", conclut Maxime Brandstaetter.
Entre-temps, Maxime Brandstaetter, qui est journaliste spécialisé en police-justice, est reparti sur le terrain en France. Cet été, il a couvert les agressions de policiers à Lyon, les incendies volontaires en Gironde. Il sait qu’il repartira en Ukraine, c’est juste une question de temps.
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