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Histoires d'info. La torture est-elle justifiée, un si long débat français

Donald Trump ne serait pas opposé à permettre à nouveau la torture pour lutter contre le terrorisme. Et l'on repense à un débat ouvert en France il y a 60 ans.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Première page de "Libération" du 17 janvier 1957. (PHOTO 12 / UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL)

Mars 1958, la IVe République agonisante ne sait plus comment faire en Algérie. Débordée par le FLN, notamment à Alger, le gouvernement a donné quasiment les pleins pouvoirs à l’armée, l’année précédente. De janvier à octobre 1957, sous le commandement du général Massu, les militaires ont pour mission de vaincre le FLN, quels que soient les moyens employés. Et parmi ces moyens, la torture.

Une torture dénoncée dans Témoignage Chrétien, dès février 1957. Mais la charge la plus forte, notamment parce qu’elle raconte des faits précis et cite des noms, c’est un livre qui sort en février 1958 et qui inquiète immédiatement les autorités politiques. Les interventions d’André Malraux, de François Mauriac ou de Jean-Paul Sartre auprès du président de la République René Coty n’avaient pu empêcher la saisie du livre d’Henri Alleg, La Question, qui sera tout de même réédité quelques jours plus tard en Suisse et connaîtra une très grande diffusion clandestine en France.

La torture d'État lors de la bataille d'Alger

Les années 1960 marquent un coup d’arrêt dans le débat sur la torture par l’armée française, avec les décrets de 1962 et la grande loi d'amnistie de 1968. On en parle cependant régulièrement à la faveur d’un film ou d’un livre, comme celui de l’historien Pierre Vidal-Naquet qui publie, en 1972, son grand livre La Torture dans la République.

C’est à cette période que le général Massu reconnaît la torture dans l’armée française sous son commandement, durant la bataille d’Alger même s’il la minore : "Ça laissait beaucoup moins de traces sur les individus qu'une balle dans le corps, ou même ce que faisaient nos adversaires du FLN vis à vis de leurs propres frères qui avaient tué ou qui n'avaient pas respecté leurs interdits, comme couper le nez ou autre chose... Je n'ai jamais coupé de nez et aucun de mes gars non plus."

Mais c’est surtout au milieu des années 1980 que le grand public est à nouveau saisi de cette question, lorsque Libération publie, en février 1985, le témoignage de cinq Algériens qui affirment avoir été torturés par Le Pen. Jean-Marie Le Pen qui répond quelques heures plus tard : "Ce n'est pas à moi de prouver que je n'ai jamais torturé. Ce sont ces gens, d'ailleurs au mépris de la loi, qui devraient le prouver, car nous ne sommes pas encore, Dieu merci, en système soviétique. Je vous rappelle que c'est le gouvernement socialiste qui dirigeait la France à cette époque. Alors, demandez des confidences à M. François Mitterrand, qui était ministre de l'Intérieur et ministre de la Justice."

Les remords de Massu, l'aplomb d'Aussaresses 

En 2000, à nouveau, cette question ressurgit. Le Monde publie en juin un témoignage d’une femme torturée et publie les remords du général Massu qui explique que "La torture n'est pas indispensable en temps de guerre" et que l'on pourrait "très bien s'en passer". En octobre, dans L’Humanité, 12 grands témoins appellent l’Etat à tout dire.

Quelques jours plus tard, le général Aussaresses reconnaît les exécutions sommaires et la torture, mais aucun remord. Il est ici dans le JT de 20 heures de France 2 avec Claude Sérillon :"Nous n'avions pas le choix. Il y avait dans la bataille d'Alger, un grand nombre d'actes terroristes, qui amenaient la mort d'innocents, de femmes et d'enfants."

La torture d’Etat pratiquée pendant la guerre d’Algérie, justifiée par le terrorisme, a bouleversé les consciences françaises pendant plus de quarante ans. Manifestement les Américains n’en sont pas là.

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