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Rassembler la gauche : de la proposition aux incantations

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. (FRANCEINFO/ RADIO FRANCE)

L’idée formulée par Anne Hidalgo jeudi 8 décembre d'organiser une primaire ouverte à toute la gauche pour la présidentielle semble avoir peu de chances d’aboutir, mais a ouvert la voie à une véritable entreprise de disqualification. Proposition, disqualification et incantation : c’est en effet le triptyque auquel la gauche s’est livrée en à peine quelques heures. Jeudi donc, Anne Hidalgo crée la surprise, sur le plateau du 20h de TF1 : "Organisons une primaire de la gauche, explique la maire socialiste de Paris. Que viennent participer à cette primaire, les candidats et candidates qui veulent gouverner ensemble. Les Françaises et les Français qui partciperont arbitreront, mais redonnons cet espoir."

Une fin de non-recevoir 

Une proposition forte de la part de la candidate socialiste, et qui intervient, notons-le, alors que sa campagne n’en finit plus de ne pas démarrer. Mais, pour qu’une primaire fonctionne, encore faut-il qu’elle comporte des candidats ! Et c’est ici que les choses se corsent. Depuis jeudi, à l’exception d’Arnaud Montebourg, tous ses concurrents ont opposé une fin de non-recevoir. Et c’est même pire que ça : ils en ont immédiatement profité pour passer à l’agression.

"J'ai écouté comme tout le monde Anne Hidalgo, déclare Yannick Jadot candidat écologiste sur Europe 1. Elle prend acte de l'impasse de sa candidature. Il y a un constat d'échec de la candidature socialiste." Éric Coquerel, député "La France insoumise" de Seine-Saint-Denis, sur RTL n'est pas beaucoup moins tendre : "Ce que je demande à madame Hidalgo, dont je comprends les problèmes, les préoccupations, qui n'arrive pas à décoler, c'est de ne pas essayer de mettre des boulets à ceux qui progressent et qui peuvent aller au deuxième tour." Enfin Fabien Roussel, candidat communiste, lance même sur franceinfo : "À Anne Hidalgo comme à Arnaud Montebourg, je leur dis, si vous ne savez pas quoi faire, si vous doutez de votre candidature, comme j'en ai le sentiment. Venez-nous rejoindre." La proposition d’Anne Hidalgo a surtout suscité les critiques et, même, les moqueries de ses adversaires.

Ça s’appelle "tirer sur l’ambulance" ! Le problème, ici, tient davantage de la négociation que de l’argumentation : Anne Hidalgo est tout simplement dans un rapport de force très défavorable. À la peine dans les sondages, sa proposition apparaît comme un signe de faiblesse plutôt que comme une main tendue. Dès lors, pourquoi ses concurrents iraient-ils s’empêtrer dans une primaire. Quand ils peuvent se saisir de cette occasion pour disqualifier une adversaire ?

Incarner le rassemblement

Est-ce la fin du rassemblement de la  gauche ? Non, au contraire ! Les électrices et les électeurs devraient manifestement finir par être rassemblés. Le seul problème, c’est que ce sera en au moins trois endroits différents ! "Moi j'appelle les électeurs socialistes, ceux de Montebourg à ce qu'on se retrouve et qu'on travaille ensemble autour de mon pacte pour la France" reprend Fabien Roussel. "Je crois que la meilleure manière de faire de l'union, c'est ce que nous avons fait le week-end dernier, c'est à dire un meeting ou Jean-Luc Mélenchon a rappelé notre programme", note pour sa part Éric Coquerel. "Le choix des écologistes, c'est justement de rassembler très largement", affirme Yannick Jadot. C’est donc le retour d’un schéma rhétorique que nous avons déjà rencontré. Puisque les formations politiques ne sont pas parvenues à se rassembler derrière une candidature unique, chacun des candidats prétend désormais opérer le rassemblement du peuple derrière lui.  

Bien sûr, il ne s’agit ni plus, ni moins que d’une incantation. Les candidats présentent la réalité non pas tel qu’elle est, mais telle qu’ils voudraient qu’elle soit. Du reste, c’est un procédé assez classique : souvenez-vous, il y a quelques semaines, chacun des candidats au congrès des Républicains estimait être le ou la seule à même de battre Emmanuel Macron au second tour. C'est de bonne guerre car après tout, le principe même de l’incantation, c’est de créer les conditions d’une prophétie autoréalisatrice. À force de présenter le rassemblement derrière soi comme inévitable, les électeurs peuvent finir par s’en laisser convaincre. Menant, précisément, au rassemblement annoncé. Le risque, bien sûr, c’est de contredire la réalité manifeste à tel point que la prophétie en devient incongrue et, donc, contreproductive. Considérant le niveau des candidats de gauche dans les sondages, actuellement, on peut se demander si ça n’est pas le cas. 

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