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Marine Le Pen, plus écolo que Yannick Jadot ? Leur face-à-face décrypté

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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Clément Viktorovitch sur franceinfo, le 17 mars 2022. (CAPTURE ECRAN / FRANCEINFO)

Mercredi 16 mars au soir, sur C8, un duel a opposé deux candidats à la présidentielle : Marine Le Pen et Yannick Jadot. On sait que les débats en face à face sont toujours des moments forts dans une campagne. Pour les candidats, ils sont l’occasion de confronter leurs positions et leurs arguments. Mais ce type de débat peut aussi avoir des effets pervers. Ce sont pourtant des moments que tout le monde attend. Deux candidats qui se regardent les yeux dans les yeux, confrontent leurs positions, soulèvent leurs objections : quoi de plus enthousiasmant, pour le débat démocratique.

Ces séquences n’ont rien d’anecdotique. Elles permettent ce que l’on appelle, en science politique, une opposition pro et contra, c’est-à-dire, tout simplement, l’affrontement pied à pied entre arguments et contre-arguments. C’est lui qui doit nous permettre de nous forger un jugement éclairé sur les enjeux politiques. Et c'est ce qu'il s'est produit hier, sur un sujet en particulier : la politique énergétique de la France, qui a occupé l’essentiel des débats entre Yannick Jadot et Marine Le Pen, mais avec une structure étonnante.

Deux argumentaires opposés

Voici d’abord la position de Yannick Jadot"Pourquoi est-ce qu'on paye l'électricité très très cher ? C'est parce qu'on a treize réacteurs nucléaires en France qui sont à l'arrêt. Si on veut remplacer rapidement le gaz, ce n'est pas en construisant des centrales nucléaires, il va nous falloir vingt ans pour le faire !" Yannick Jadot poursuit : "Est-ce que vous continuez à investir dans des EPR qui coûtent 20 milliards ? Il n'est pas fini, dix ans de retard, 20 milliards... C'est ça votre projet moderne industriel ? Vous voulez faire du nucléaire, vous voulez couper les éoliennes ? La réalité, c'est que votre projet mis en place, c'est la panne électrique dans notre pays." La position de Yannick Jadot est claire : la dépendance française au gaz russe serait due, notamment, à un nucléaire défaillant. Il serait donc urgent de développer, pour y pallier, les énergies renouvelables 

Marine Le Pen affiche une position opposée. Elle est même totalement en désaccord. Pour elle, c’est au contraire la sortie du nucléaire, notamment en Allemagne, qui a créé une dépendance européenne au gaz russe. "On va pouvoir parler de qui a créé la dépendance de la France avec la Russie. En défendant la fin du nucléaire, en défendant l'éolien, le modèle que vous proposez crée une dépendance aux centrales à gaz et aux centrales à charbon." Elle rajoute : "Nonobstant la laideur de ce que vous proposez, puisque je crois que vous avez proposé 2 500 éoliennes qui font 200 mètres de haut ! Soit la Tour Montparnasse, partout." Vous l’entendez : non seulement la sortie du nucléaire serait synonyme de centrales à gaz et à charbon, mais, de surcroît, les éoliennes de Yannick Jadot défigureraient le territoire. Nous sommes bien face à une opposition radicale, pro et contra.

Les limites d'un duel "pro et contra"

Et c’est là que les choses deviennent intéressantes. Pour le comprendre, il faut se pencher sur la structure des deux argumentations. Marine Le Pen et Yannick Jadot s’accordent sur l’objectif à atteindre : sortir de la dépendance aux énergies fossiles, tant pour préserver l’environnement que pour assurer notre indépendance par rapport à la Russie. Ils divergent sur le moyen permettant d’atteindre cet objectif : énergie nucléaire pour l’une, énergies renouvelables pour l’autre.

Or, ce que cette opposition ne montre pas, c’est qu’il existe une troisième voie. On peut tout à fait considérer que, confronté à un défi aussi immense que la sortie des hydrocarbures, nous ne pourrons faire l’économie d’aucune source d’énergie décarbonée, le nucléaire comme l’éolien – c’est d’ailleurs la position d’une partie des candidats à la présidentielle. Chacun se fera son opinion, ou plutôt, chacun aurait pu se faire son opinion si les trois positions avaient été représentées mercredi soir. Ce que nous voyons apparaître ici, c’est un effet pervers du duel pro et contra : il présente une structure dichotomique. C’est-à-dire qu’il nous donne l’impression que si l’un a tort, l’autre a raison, et inversement, en renvoyant dans l’ombre toutes les autres options.

Tant que notre vie politique s’organisait autour de deux pôles, la gauche et la droite, cela pouvait encore apparaître acceptable. Mais aujourd’hui, avec un espace politique beaucoup plus fragmenté, ces confrontations binaires font courir un risque à notre débat public : celui d’être orienté, voire biaisé, par la programmation des émissions politiques. Il me semble que c’est une chose à laquelle nous devrions être attentif !  

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