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Jean-Luc Mélenchon, le candidat qui s'envisageait ministre

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
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Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. (FRANCEINFO)

Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France insoumise à l’élection présidentielle 2022, intervenait mardi 16 novembre dans un environnement inattendu, puisqu’il était interrogé pendant près de deux heures par les étudiants de l’Essec, une grande école de commerce qu'il considère donc comme l'un des temples du capitalisme. Le député des Bouches-du-Rhône a su utiliser cette opportunité d’une manière inattendue. 

Au cours de cette soirée, il a apporté une réponse étonnante à l’une des questions qui lui étaient posées. "Préféreriez-vous être le ministre de Yannick Jadot ou Anne Hidalgo ?", l'a ainsi interrogé un étudiant. Ce type de questions est un piège très classique pour un candidat à une élection. En effet, il existe une règle générale, en rhétorique : accepter de répondre à une question, c’est admettre que la question se pose. Autrement dit, répondre franchement à la question "de qui pourriez-vous être ministre ?", c’est déjà accepter de considérer que l’on pourrait ne pas être le mieux placé au sein de son camp pour remporter l’élection.

Il y a donc une réponse type pour se sortir d'un tel mauvais pas. N’importe quel responsable politique répondrait en utilisant le même type de formule stéréotypée : "Vous savez, moi, je ne me place pas dans cette perspective. Je pense que je vais gagner l’élection présidentielle. Je vous encourage donc, plutôt, à leur demander si, eux, envisageraient d’être mes ministres !" On est vraiment dans le cadre d’un jeu d’échec, où l’un des joueurs tenterait une tactique éculée : il suffit que l’adversaire la connaisse, et sache quel pion déplacer, pour la neutraliser.

Pourtant, ce n’est pas ce qu’a fait Jean-Luc Mélenchon ! "J'ai envie de vous dire que ça dépend pour quoi faire mais ce sont des personnes respectables. Il me semble que Mme Hidalgo n'a pas les idées très claires sur ce qu'il faut faire. Je préfèrerais donc être le ministre de quelqu'un qui a au moins dit qu'il avait rallié la plannification écologique. Je pourrais m'occuper de cela dans son gouvernement, pourquoi pas", a-t-il répondu. C'est donc incroyable mais vrai : Jean-Luc Mélenchon répond à la question posée. Il accepte de s’envisager lui-même en ministre d’un hypothétique président Jadot !

Attaquer ses concurrents et paraître sincère

Attention cependant, il y a un certain calcul derrière cela. La réponse de Jean-Luc Mélenchon n’a en effet rien d’anodin. D’une part, elle est l’occasion pour lui d’adresser une attaque à chacun de ses deux principaux concurrents. Anne Hidalgo n’aurait "pas les idées très claires", remarque qu'elle appréciera. Quant à Yannick Jadot, il aurait "rallié la planification écologique", ce qui est une manière d’affirmer que La France Insoumise serait désormais en pointe sur le combat écologique.

Surtout, le problème de la réponse clichée est... précisément qu'il s'agit d'un cliché ! Aujourd’hui, tout le monde la repère, si bien qu’en prétendant esquiver, elle a surtout pour conséquence d’agacer. Au contraire, en répondant directement, Jean-Luc Mélenchon s’offre le luxe d’émettre de l’image : il semble soudain franc et sincère, deux qualités que les responsables politiques cherchent à tout prix à renvoyer d’eux-mêmes.

Une rhétorique transparente donc efficace

Cependant, tous les politiques ne répondent pas comme cela à ce type de questions. Il y a trois raisons pour l'expliquer. La première est contextuelle : nous ne sommes pas à la télévision. Jean-Luc Mélenchon sait qu’il ne risque pas de voir sa phrase reprise immédiatement sur le bandeau d'un écran de télévision. La deuxième est personnelle : voilà des mois que Jean-Luc Mélenchon répète, sur tous les tons, qu’il se présentera quoi qu’il arrive. Il peut donc se permettre ce petit instant de franchise : il sait que personne ne doute de ses ambitions.

La troisième est rhétorique. Le fait est que, pour de nombreux responsables politiques - parmi lesquels parfois Jean-Luc Mélenchon lui-même - les réponses toutes faites deviennent une sorte de réflexes, un procédé figé qu’ils utilisent pour se protéger sans se demander si cela reste justifié. La première victime, c’est bien sûr le débat public, qui s’en trouve considérablement obscurci. Il arrive pourtant que la rhétorique la plus efficace soit aussi la plus transparente.

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