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Institutions : faut-il tirer au sort les sénateurs ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 19 février : la réforme des institutions.
Article rédigé par franceinfo, Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'hémicycle du Sénat, au Palais du Luxembourg à Paris, le 9 novembre 2022 (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Emmanuel Macron consulte en ce moment sur cette question. Il a notamment reçu, au début du mois de février, son prédécesseur François Hollande. Une idée à suggérer au chef de l'État : désigner les sénateurs par tirage au sort !

L’idée peut paraître curieuse. Il faut commencer par rappeler que, si le Sénat reste une institution méconnue, elle n’en est pas moins essentielle. C’est la deuxième chambre du Parlement. Elle participe pleinement à l’élaboration de la loi. Et même si c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot, le Sénat possède une véritable influence, et peut même bloquer l’adoption de certains textes. Les pistes qui circulent pour la réforme des institutions semblent ne pas vouloir y toucher. Or, je le dis : nous avons, aujourd’hui, un problème avec le Sénat.

>> Réforme des institutions : Emmanuel Macron promet "un nouveau chapitre de la décentralisation"

Sur-représentation de la droite

Il suffit de faire le calcul. Les Français ont choisi à quatre reprises, sous la Ve République, d’être dirigés par des majorités de gauche : 1981, 1988, 1997 et 2012 – je laisse volontairement de côté la question du macronisme, qui complexifie tout. Cela représente 20 ans au pouvoir. Dans le même temps, à l’exception de trois petites années entre 2011 et 2014, le Sénat n’a connu que des majorités de droite. Il y a donc une divergence incontestable entre la volonté du peuple, telle qu’elle s’exprime dans les élections nationales, et le Sénat, où la droite est sur-représentée.

L'explication est simple : c’est le mode de scrutin. Les sénateurs sont élus par nos élus – c’est une élection au suffrage indirect. Et le collège électoral sur-représente la France rurale, qui vote traditionnellement plutôt à droite. Rendez-vous compte : Il aura fallu que la gauche détienne la quasi-totalité des régions, la plupart des départements et des grandes villes, pour que le Sénat change, fugacement, de majorité. Cette distorsion entre le vote des Français et la composition d’une des deux assemblées n’est tout simplement pas acceptable.

Et pourtant le Sénat est une magnifique chambre, avec une culture très différente de l’Assemblée nationale. L’Assemblée, c’est le cœur du conflit, de l’affrontement politique. Et c’est bien, c’est même nécessaire dans une démocratie. Le Sénat, c’est le lieu de la délibération. Les débats y sont à la fois moins observés, et plus policés. Cela permet de discuter les textes plus en profondeur, d’améliorer la rédaction de la loi, et même, parfois, de trouver des consensus transpartisans. C’est un apport formidablement précieux pour notre République !

Tirer au sort pour mieux représenter la société 

Adapter le mode de scrutin serait la moindre des choses. Mais nous pourrions aller plus loin. Un Sénat tiré au sort, parmi les citoyens volontaires, avec les mêmes pouvoirs qu’aujourd’hui : voilà ce que je propose. L’intérêt du tirage au sort, c’est qu’il permet une bien meilleure représentation de la société française. Nous verrions soudain des étudiants, des ouvriers, des livreurs devenir sénateurs. Leurs expériences, leurs points de vue viendraient enrichir la délibération parlementaire. Leurs débats seraient libérés de l’appartenance partisane : pas d’étiquette, donc pas de consigne, moins de postures et davantage de débat. Nous verrions émerger des propositions issues directement du corps social français, qui viendraient ensuite irriguer les débats à l’Assemblée nationale, comme le font déjà les amendements votés au Sénat.

La question de la compétence se pose. Mais en quoi est-ce différent aujourd’hui ? Regardez ce qui s’est passé en 2017 : l’essentiel des députés macronistes n’avaient jamais été élus. C’était des chefs d’entreprise, des directeurs des ressources humaines, des médecins sans aucune expérience politique. Personne ne s’en est inquiété. Pourquoi en irait-il différemment avec des agriculteurs ou des plombiers ? Au contraire même : on pourrait très bien imaginer que le tirage au sort ait lieu un an avant le début du mandat, ce qui permettrait d’offrir, aux futurs sénateurs et sénatrices, une formation accélérée. Dans ce cas, la compétence aurait même plutôt tendance à monter !

D’ailleurs, regardez ce qui s’est passé avec la Convention citoyenne pour le climat. Nous étions sur un format très proche de celui que je propose. En quelques mois, les citoyens tirés au sort ont acquis des compétences précises sur les enjeux climatiques. Ils ont trouvé des consensus, sur des propositions fortes, dont tous les experts ont souligné l’audace et la qualité. Je ne propose rien d’autre que de pérenniser cette solution, sous la forme d’une véritable Chambre des Citoyens.

Quelle légitimité de citoyens non élus à décider de la loi ?

Ils auraient une légitimité politique complémentaire. Il faut conserver bien sûr, à l’Assemblée nationale, le principe de l’élection. L’élection, c’est ce qui garantit à chaque citoyen un pouvoir égal dans le choix des gouvernants. C’est fondamental : c’est ce qui forge la légitimité. Mais le tirage au sort, c’est ce qui assure à chaque citoyens une chance égale d’exercer le pouvoir. Sans ces deux principes, il est impossible de parler d’une authentique démocratie. Emmanuel Macron a annoncé vouloir donner plus de place à la souveraineté populaire. Si ce ne sont pas des paroles en l’air, il pourrait trouver, ici, matière à réflexion.

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