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Emmanuel Macron : la philosophie comme arme politique

Dans cet entre-deux tours, le président sortant multiplie les déplacements et les interviews en montrant aussi que la philosophie pouvait être une arme politique. 

Article rédigé par franceinfo
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Clément Viktorovitch dans Entre les lignes, sur franceinfo, le 18 avril 2022. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

C’est le grand retour du Président philosophe ! Souvenez-vous : durant la précédente campagne, et au début de son mandat, Emmanuel Macron avait amplement mis en avant l’étendue de sa culture philosophique, rappelant, ici, son travail auprès de Paul Ricœur, confiant, là, sa fascination pour Jürgen Habermas et dissertant, ailleurs, sur la part de transcendance liée à la fonction de chef de l’État.

Convaincre en s'adaptant à son auditoire

Depuis, cet aspect de sa biographie avait été largement renvoyé dans l’ombre, sans doute pour tenter de façonner une image de plus grande proximité avec le public. Mais à Rome, fait comme les romains et, de toute évidence, sur France Culture, fait comme les philosophes. Ce lundi 18 avril au matin, dans l’entretien enregistré avec Guillaume Erner, sur France Culture donc, il fallait parfois s’accrocher. "On se détourne de la question citoyenne dans sa complétude qu'est le rapport au vote, aux partis politiques, mêmes aux syndicats - analyse Emmanuel Macron - qui sont des façons d'intermédier le rapport avec la vie de la cité dans tout ce qu'elle a de complet, pour aller vers des causes et des engagements". Le président conclut : "Et ça, ça crée une forme de diffraction de la question politique, qui rend extrêmement difficile la maïeutique immanquable qu'il y a dans une démocratie comme la nôtre."

En l'espace de quelques phrases, il parle de : "La question citoyenne dans sa complétude, l’intermédiation de la vie de la cité, la diffraction de la question politique, la maïeutique immanquable de la démocratie ", diantre ! Nous pensions écouter l’interview d’un candidat à la présidentielle, on se retrouve en plein colloque de philosophie politique. Il s'agit incontestablement d'une stratégie, qui n'a d'ailleurs rien de très original. Emmanuel Macron applique simplement le premier principe de la rhétorique : pour convaincre, il faut s’adapter à son auditoire. Il part manifestement du principe que, aux yeux des auditeurs de France Culture, une telle complexité dans l’expression sera accueillie comme une preuve d’autorité, à tort ou à raison.

Un faux compromis

Emmanuel Macron se contente dans ce passage de déplorer que les citoyens tendent à se détourner des modes traditionnels de participation en politique - les élections, les partis, les syndicats - pour s’engager plutôt dans des causes ou des mouvements beaucoup plus intransigeants. Bref, beaucoup de mots très compliqués pour énoncer finalement une idée relativement simple. Mais justement, cette complexité apparente possède un intérêt. Pendant que nous sommes occupés à décrypter les mots, nous sommes moins disponibles pour interroger les raisonnements. Or, il faut voir ici à quelle conclusion parvient justement Emmanuel Macron : "Qui que ce soit, qui était à la tête de la république française, a à faire vivre 67 millions de citoyens et citoyennes ensemble. Et ça ne peut pas être la radicalité, ça suppose des compromis", dit le président. Alors, pour celles et ceux qui en doutent, il été très clair auparavant dans l’interview. Pour lui, la radicalité, ce sont avant tout Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

Un raisonnement qui peut être contesté et pose problème à deux titres. Premièrement, Emmanuel Macron part du présupposé qu’il incarne, effectivement, le compromis nécessaire à tout gouvernement. Or si l’on reprend les grandes tensions qui ont émaillées le quinquennat, qu’il s’agisse de la réforme de la SNCF, de la réforme des retraites ou de celle de l’assurance chômage, il n'est pas sûr que l’exécutif s’y soit illustré par son ouverture et ses concessions. D’autre part, et plus fondamentalement, tout ce raisonnement repose sur la prémisse qu’entre deux idées radicales, ce serait toujours la voie médiane qui serait la plus raisonnable. Pourtant cela ne va pas de soi !  Au contraire même, on pourrait prétendre exactement l’inverse : face à des menaces radicales, il faut des solutions radicales.

Ce que nous avons ici, c’est en réalité un authentique procédé fallacieux : on appelle ça le sophisme du juste milieu. Mais ici, il est masqué par la complexité artificielle du discours d’Emmanuel Macron, si bien qu’il en devient d’autant plus difficile à repérer. Comme quoi, la philosophie n’est pas seulement un instrument noble au service d’une quête de savoir. Elle peut également être une arme redoutable dans la conquête du pouvoir.

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