L'Angle éco. Salarié cherche logement à durée indéterminée
"L'Angle éco" du lundi 9 novembre se penche sur "cet immobilier qui nous ruine". Depuis le début de l'année, les prix de l'immobilier sont repartis à la hausse. Devançant largement ses voisins européens, la France est l’un des pays où se loger coûte le plus cher par rapport au revenu moyen. Qui sont les gagnants et les perdants de cette folie française ? "L'Angle éco" est allé à la rencontre de salariés mal logés.
Le 9 novembre, "L'Angle éco" fait le point sur l'immobilier, son prix, sa démesure et... sa crise. C'est une crise “sans précédent”, selon la Fondation Abbé-Pierre, confrontée à de plus en plus de personnes précaires, pour qui le logement est devenu un problème crucial. La fondation reçoit des personnes sans abri, qui vivent en centre d’hébergement ou dans un logement surpeuplé, et qui pourtant sont toutes salariés en CDI. Certains attendent un logement social depuis dix ans. D’autres, payés au Smic, ne peuvent plus accéder au parc privé. "L'Angle éco" a brossé le portrait de salariés sans logement fixe.
Un SDF en CDI. C’était la grande campagne lancée il y a un an par la Fondation Abbé-Pierre. On y voyait un homme dormant chaque nuit dans sa voiture, emmitouflé dans un sac de couchage. A peine quelques heures de sommeil avant de retourner au travail le lendemain matin. Car cet homme, sans domicile fixe, était aussi salarié en CDI. Le message de la vidéo était clair : aujourd’hui, en France, un travail stable ne garantit plus un logement.
Les chiffres sont éloquents : 25% des personnes sans abri travaillent, selon une étude de l’Insee et 40% d’entre eux disposent même d’un contrat à durée indéterminée. En région parisienne, le mal-logement des salariés est encore plus répandu. Un sans-domicile sur trois a un emploi, selon l’Insee et l’Atelier parisien d’urbanisme, et 37% sont en CDI.
Nous sommes allés à la rencontre de quatre d’entre eux. Des salariés en CDI, pourtant sans abri ou mal logés.
Ibrahim Aly, en CDI depuis huit mois, à la rue depuis un an
Quand la nuit tombe, Ibrahim Aly ne dort pas. Le peintre en bâtiment est serré contre ses affaires sur un matelas très fin, recouvert d’une fine couette. Il y a le bruit, mais aussi la pluie qui, souvent, menace d’inonder la tente.
Ibrahim Aly est en CDI depuis huit mois. Il est aussi l’un des quelque 80 sans-abri qui dorment sous une grande tente de l’association Droit au logement (DAL), place de la République, à Paris. A 43 ans, le peintre en bâtiment gagne 1 486 euros bruts par mois. Il vit à la rue depuis un an, et dans cet abri depuis trois mois. Le salarié raconte son histoire à la sortie de la tente. L’histoire de dix ans d’hébergement chez des tiers. Il y a trois ans, Ibrahim Aly vivait chez un collègue. Ils étaient deux dans une chambre de 8 mètres carrés. L’endroit est vite devenu trop petit, le peintre en bâtiment s’est retrouvé dehors. Son employeur savait. "Il m’a même donné les clés pour dormir au bureau”, raconte-t-il, le visage fatigué. Mais l’entreprise était trop loin des chantiers sur lesquels Ibrahim Aly travaillait. Impossible de partir dormir à 40 kilomètres quand on travaille en horaires décalés.
Aujourd’hui, Ibrahim Aly est dans l’attente d’un logement social. Il tente aussi de faire valoir un Droit au logement opposable (DALO). Mais les procédures sont longues, incertaines, et le parc privé bien trop cher. Ce soir, le peintre en bâtiment dormira de nouveau dans ce petit coin de tente. Il aura du mal à fermer les yeux.
Abdoulaye NDiaye, en CDI depuis un an, vit en centre d’hébergement
Abdoulaye NDiaye s’estime chanceux. "J’ai quelque chose où poser ma tête", confie-t-il, souriant et posé. Fini, les chambres à partager, l’hébergement chez des collègues ou la rue. Depuis huit mois, cet équipier en hôtellerie a sa propre chambre. Elle lui coûte 300 euros chaque mois. A 33 ans, Abdoulaye NDiaye vit dans 9 mètres carrés, au rez-de-chaussée du Palais du peuple, un centre d’hébergement de l’Armée du salut dans le 13e arrondissement de Paris. En chemise et veste, Abdoulaye NDiaye salue des salariés et résidents du centre avant de nous faire visiter sa chambre. Un lit d’une place, un réfrigérateur, une télévision, quelques produits de toilette, et deux grands sacs sur lesquels sont posés des vêtements. L’équipier a peu d’affaires. Mauritanien, Abdoulaye NDiaye est réfugié politique. Cela fait quatre ans qu’il vit en France, trois ans qu’il travaille et qu’il cherche un logement stable.
“Au début, je passais la nuit dans le métro”, raconte-t-il avec beaucoup de calme. Quelques nuits qui se sont transformées en quelques mois à la rue. Le jeune Mauritanien a cumulé les CDD quand il a commencé à travailler dans l’hôtellerie. Un collègue l’a hébergé un temps. Puis en août 2012, Abdoulaye NDiaye a enfin obtenu un toit, et une place au Palais du peuple.
Avec un CDI payé au Smic, l’équipier est aujourd’hui dans l’impasse. Lui aussi attend un logement social. Il aimerait un F3 pour accueillir sa femme et son enfant, encore en Afrique. Mais le regroupement familial est pour l’instant bloqué : sans domicile, Abdoulaye NDiaye n’a pas la preuve qu’il pourra loger sa famille. Et sans preuve de regroupement familial, impossible d’accéder à un appartement assez grand.
Fatiha Sana, en CDI et en résidence sociale depuis dix-huit mois
Grand sourire, Fatiha Sana nous attend à la porte de son petit deux-pièces. Son appartement donne sur une cour dans laquelle jouent des enfants de la résidence. Son fils est à la bibliothèque. Chez elle, le calme règne. Les affaires sont parfaitement rangées. Quelques photos de famille sont affichées sur l’étagère et le réfrigérateur. “Je suis chez moi ici !” sourit Fatiha, assise sur son lit simple donnant sur la cuisine. La femme de ménage et son fils ont un toit pour dix-huit mois. Fatiha Sana est en CDI depuis plus d’un an. Elle travaille 30 heures par semaine et gagne 880 euros par mois. Les deux tiers de son salaire partent dans la location dans cet appartement. “Ça va”, dit-elle, soulagée. Après dix ans passés dans cinq hôtels de la région, Fatiha Sana est heureuse de vivre ici. Il n’y a pas si longtemps, elle habitait près de là, dans une chambre de l’hôtel de la gare de Choisy-le-Roi. La femme de ménage et son fils y sont restés quatre ans, hébergés par le 115. Tous les jours, puis tous les mois, il fallait appeler pour confirmer sa place à l’hôtel. Avec l’incertitude constante d’un hébergement le mois suivant.
Fatiha Sana a du mal à trouver les mots pour décrire cette période. “Inoubliable”, confie-t-elle après un moment d’hésitation. “J’avais peur. Je ne savais jamais si j’allais être dehors avec mon fils le lendemain.” Résultat, elle se souvient parfaitement de son arrivée dans la résidence sociale. C’était le 19 mai 2014, au moment même où elle obtenait un CDI.
Salah Chérif, en CDI depuis six ans, vit à trois dans un studio de 30 mètres carrés
Ce studio, c’était d’abord une solution de dépannage pour Salah et Imène Chérif. Un logement provisoire, le temps de trouver plus grand. Le couple s’est installé dans ce 30 mètres carrés il y a quatre ans. Ils étaient alors jeunes mariés. Un an plus tard, un enfant est arrivé. Ils ont continué à chercher plus grand, sans succès. Salah, Imène et leur fils Abderraouf vivent dans une seule et même pièce aux Lilas, en Seine-Saint-Denis. Pourtant, Salah Chérif est en CDI depuis six ans. Il est pâtissier dans une boulangerie parisienne et gagne 2 000 euros nets par mois. Mais avec 2 000 euros pour trois personnes, Salah Chérif sait qu’il ne trouvera pas plus grand. Il paye déjà 750 euros par mois pour ce studio.
Assis autour d’un thé et de pâtisseries orientales, Salah Chérif raconte qu’il attend un logement social depuis dix ans. Le couple patiente mais le temps presse : la propriétaire du studio aimerait récupérer son bien pour le revendre prochainement. “Avoir un logement devient un rêve”, raconte le pâtissier, entouré de son fils et de sa femme. L’idée de trouver un F2 ou un F3 s’éloigne. “Ce n’est pas une vie”, répond Imène d’une voix très calme. “Je veux juste une chambre pour mon fils, une chambre pour nous.” En attendant, le couple s’adapte tant bien que mal. Salah Chérif ne prend jamais de petit-déjeuner, de peur de réveiller sa femme et son fils quand il part au travail. Leur petite cuisine donne sur les lits.
L’histoire de ces salariés en CDI est celle d’une impasse. D’un blocage, entre l’attente sans fin d’un logement social et les portes fermées du parc privé, devenu un luxe. Certains se demandent même à quoi bon travailler autant. Comment peut-on avoir un emploi stable, gagner sa vie et être privé d’un logement stable ? Ils ne comprennent toujours pas.
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