Roms : police et justice "obligées de ruser" face à la délinquance
La question rom reste un point de crispation à l'approche des municipales. Francetv info a rencontré policiers et magistrats pour mieux comprendre les enjeux de la lutte contre la délinquance itinérante.
Un petit matin sur le réseau de transports en commun de Lille (Nord). Une poignée de Roms d'une dizaine d'années bidouillent devant les distributeurs de tickets. Rodés, ils visent plutôt les femmes. Lorsqu'elles insèrent leur monnaie, celles-ci sont immédiatement distraites par deux gamins tandis qu'un troisième annule la commande, se saisit des quelques pièces retombées de la machine et disparaît. "Ça, ça nous pourrit la vie en ce moment", soupire André Lourdelle, vice-procureur au parquet des mineurs de Lille.
Des méfaits "toujours à la marge d'une infraction pénale"
Code civil à la main, il précise : "Il faut que je trouve une infraction pénale, un élément matériel, qui corresponde aux faits qui vous choquent, vous citoyens, pour pouvoir poursuivre un individu." Et André Lourdelle d'énumérer, sur ce cas précis qui se produit tous les jours dans les transports lillois : "Un vol ? Si personne ne porte plainte, on ne peut rien et les gens pressés qui se font piquer 2 euros avant d'aller au boulot ne viennent jamais au commissariat. Une escroquerie ? Il faut que la victime remette quelque chose à une autre personne en ayant été abusée. Abus de confiance ?" Le vice-procureur poursuit sa démonstration...
Confronté à des méfaits "toujours à la marge d'une infraction pénale", le parquet est "obligé de ruser". Et ce n'est pas la seule contrainte dont il doit tenir compte. "Quand on arrête un mineur rom, il faut déjà réussir à obtenir un nom. Et même si on a un nom, il faut pouvoir trouver les parents, qui ne parlent souvent pas français", explique le magistrat. En outre, la loi ne permet pas le maintien des mineurs de moins de 12 ans en détention et impose un maximum de 4 heures de garde à vue pour les plus de 15 ans.
Pour pouvoir agir malgré tout, les autorités lilloises ont mis en place un dispositif pour lutter contre la mendicité aux feux rouges, pratiquée par des femmes, mais aussi des enfants, au milieu de la circulation. "La police a opéré une surveillance durant plusieurs semaines, avec photos à l'appui, pour repérer qui était là de façon récurrente et où", raconte André Lourdelle.
Finalement cinq jeunes de 7 à 15 ans sont interpellés et conduits dans les centres sociaux du conseil général grâce à des ordonnances de placement provisoire, prévues pour protéger les mineurs. "Deux familles se sont présentées et on les a placées en garde à vue sur le fondement de 'soustraction aux obligations parentales', poursuit le vice-procureur. On nous a accusés de rafler des gamins, mais le phénomène a été éradiqué."
Peu de renseignements et "pas de fichier centralisé"
La stratégie a également changé au niveau de l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI). Créée en 2004, cette cellule progresse doucement dans l'organisation de la réponse policière face à une délinquance dont il découvre les contours. Selon le colonel Patrice Bayard, qui dirige l'OCLDI, la délinquance itinérante la plus répandue est notamment le fait d'individus qui viennent s'accoler à un camp existant pour y recruter des mineurs ou qui s'en servent de camp de base provisoire.
"Nos services d'investigations constatent que des camionnettes partent des camps le matin. Des gamines sont lâchées dans une rue, où elles volent de la monnaie et des bijoux, avant d'être emmenées ailleurs", confirme un commissaire. Mais difficile de piquer les réseaux sur le fait : "il faudrait des effectifs à foison pour surveiller toutes les entrées et les sorties des camps", soupire le cadre policier. Et de préciser : "La BAC sait à peu près qui fout la merde dans quel quartier. Mais les Roms, on ne les connaît presque pas : ils vivent à l'écart et on n'a pas de fichier centralisé."
Mi-septembre, trois frères et sœurs sont interpellés sur un cambriolage en Alsace. Les enquêteurs équipent les téléphones portables de traceurs puis relâchent les suspects. Ils sont ensuite repérés dans l'Aude, le 16, et dans les Bouches-du-Rhône, le 17. Ils dorment dans les camps roms des environs et peuvent compter sur quelques adultes pour venir les chercher en cas de problème. Mais ils ne rendent de comptes qu'à leurs parents, domiciliés en Ile-de-France.
Le rapprochement entre leur géolocalisation et les cambriolages signalés parle d'elle-même. Mais il n'existe aucune preuve. Le seul moyen pour les autorités de "traiter les choses" selon Patrice Bayard, c'est d'utiliser "le volet de la traite des êtres humains", motif pour lequel le tribunal de Nancy a condamné, fin septembre, 27 Roms d'un réseau similaire utilisant leurs enfants pour des cambriolages.
Peu de chance qu'ils se présentent devant la justice
"Il y a une sous-estimation de ces problèmes-là. On traite ça comme une délinquance de proximité. Or c'est souvent plus compliqué", résume le patron de l'OCLDI. "Pour l'instant, chacun mène sa guerre dans son coin", ajoute-t-il. D'après lui, seule 30 à 40% de la réalité est d'ailleurs connue. Petite lueur d'espoir pour Patrice Bayard, la mobilisation actuelle au niveau européen : "Les suspects sont souvent connus dans d'autres pays pour des faits identiques. Donc son profil change : ce n'est plus un primo délinquant qui fait ça pour sa survie, ce qui permet de changer le regard du magistrat sur la question."
Reste à savoir si les mis en cause répondront présents à leur convocation judiciaires. Un juge pour enfants qui souhaite garder l'anonymat confirme : 90% des procédures se retrouvent sans accusés. "Au mieux, ils sont là pour leur mise en examen. Sinon, je fais un mandat d'amener à la dernière adresse connue mais les policiers font chou blanc", regrette le magistrat.
A Lille, même pour des petits délits, le parquet déclenche régulièrement des comparutions immédiates. "On nous accuse de faire comparaître des voleurs de poules mais c'est notre seule chance qu'ils passent devant la justice", s'excuse André Lourdelle. Et le juge, qui "voit passer des noms plusieurs fois par an sans n'avoir jamais vu de visage", de nuancer : "Les gens issus de la communauté rom installée en France qui veulent s'intégrer se présentent au tribunal. Ce sont ceux issus des pays des Balkans qui ne viennent jamais."
De toute façon, soupire le magistrat, "mon plus gros problème est de trouver de quoi scolariser ou intégrer" les mineurs incriminés et "vulnérables". "On trouve systématiquement porte close. Les associations elles-mêmes reconnaissent qu'il faut un an pour arriver à quelque chose."
Le "ping-pong" de l'évacuation des camps
"Et pendant ce temps-là, la police est au milieu, prisonnière du politique et de ses atermoiements", glisse un commissaire de police désemparé, qui a "l'impression de vider l'océan avec une petite cuillère". La gestion des camps illégaux, qui se développent car près de la moitié des communes françaises ne respectent pas l’obligation qui leur est faite depuis 2000 de prévoir un terrain d’accueil pour les gens du voyage, est la dernière épine dans le pied des autorités.
"On ne peut pas nier l'ensemble des phénomènes qui entourent ces populations", explique prudemment Céline Berthon, secrétaire générale adjointe du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) qui dénonce régulièrement le temps "perdu" à ces opérations. Entre Lille, Tourcoing, Roubaix, et les petites villes alentours, "c'est un véritable ping-pong", explique un commissaire du Nord.
Pour les personnes faisant l'objet d'obligation de quitter le territoire français (OQTF), "on les raccompagne à la frontière, c'est-à-dire en Belgique, à une poignée de kilomètres", grince-t-il. Kilomètres aussitôt parcourus dans l'autre sens. Quant aux autres, elles sont escortées soit jusqu'à un camp légal, généralement saturé, soit "on les met litteralement sur la route, dans la direction du département voisin".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.