Dérives sectaires : on vous explique le délit de "provocation à l'abstention de soins", voté par l'Assemblée nationale

L'article du projet de loi, qui vise les nouveaux types de charlatans dans le domaine de la santé, a été adopté après des débats houleux. Les opposants à la mesure dénoncent un risque pour les libertés publiques.
Article rédigé par franceinfo
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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, à Paris, le 13 février 2024. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

Le rejet de la mesure dans la nuit du mardi 13 février avait provoqué un tollé dans les rangs macronistes à l'Assemblée. Après de longs débats, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi contre les dérives sectaires mercredi 14 février, dans lequel ils ont réintégré le controversé article 4, qui crée un nouveau délit de "provocation à l'abstention de soins" médicaux. Franceinfo vous explique ce qu'il faut savoir sur le sujet.

Il vise à lutter contre les "gourous 2.0"

L'article en question a pour but de lutter contre les "charlatans" et les "gourous 2.0", qui promeuvent sur internet des méthodes présentées comme des "solutions miracles" pour guérir de maladies graves comme les cancers. Souvent sans formation scientifique et au mépris de la science, elles peuvent dériver vers des comportements d'emprise sectaire.

Parmi ces méthodes, le crudivorisme, une forme de naturopathie qui prétend soigner le cancer en mangeant des légumes crus, ou encore le jeûne thérapeutique ou total. Plusieurs des promoteurs de telles pratiques sont poursuivis par des familles de malades décédés après avoir rejeté les traitements conventionnels au profit de ces méthodes.

La secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, a souligné à l'ouverture des débats que le nombre de signalements à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a doublé depuis 2010, notamment à cause de l'épidémie de Covid-19 et de l'utilisation des réseaux sociaux. En punissant ces comportements, le délit de "provocation à l'abstention de soins" servirait donc à "combler une véritable lacune de notre arsenal en nous dotant de moyens efficaces de lutte contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire", a défendu la rapporteuse du texte, Brigitte Liso, en commission des lois.

Jusqu'à trois ans de prison pour ces "provocations"

Comme on peut le lire dans sa première version sur le site de l'Assemblée nationale, l'article 4 du chapitre III, propose de modifier le Code pénal pour punir "la provocation" sur une personne malade à "abandonner ou à s'abstenir de suivre un traitement médical", si cet abandon est présenté comme bénéfique alors qu'il pourrait entraîner des conséquences dangereuses.

La "provocation" à adopter des pratiques présentées comme bénéfiques, alors qu'elles exposent à "un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente" est également concernée. Ces délits seraient punis d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, ou trois ans et 45 000 euros d'amende quand cette provocation "a été suivie d'effets".

Le Conseil d'Etat doute du bien-fondé de la mesure

Les sénateurs avaient retiré la première version de cet article du projet de loi en première lecture en décembre, mettant en avant sa fragilité juridique. Dans un avis rendu au gouvernement en novembre, le Conseil d'Etat a estimé que le droit actuel permettait déjà de réprimer la plupart de ces pratiques, en condamnant l'exercice illégal de la médecine, les pratiques commerciales trompeuses ou la mise en danger de la vie d'autrui.

La juridiction a estimé aussi que ce délit, dans sa rédaction initiale, risquait de constituer une atteinte non "nécessaire, adaptée et proportionnée" à la liberté d'expression, à "la liberté des débats scientifiques et [au] rôle des lanceurs d'alerte", protégés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces arguments ont été repris par de nombreux députés qui ont voté contre l'article. A gauche, l'insoumis Jean-François Coulomme a dénoncé un délit "trop vague" qui risquerait d'empêcher de "critiquer les dérives pharmaceutiques". Des parlementaires des différents bancs de l'hémicycle ont insisté sur le rôle du doute dans le débat scientifique et évoqué la lanceuse d'alerte Irène Frachon, dont le rôle a été décisif dans l'affaire du Mediator, médicament contre le diabète utilisé comme coupe-faim et responsable de graves pathologies.

Un article rejeté, modifié et... adopté

Ces critiques ont dans un premier temps eu raison de l'article 4. Une majorité de députés présents dans l'hémicycle ont ainsi voté pour supprimer ce nouveau délit, à 116 voix (RN, LFI, LR, quelques voix communistes) contre 108 voix (Renaissance, MoDem, socialistes, quelques voix chez Horizons et les écologistes). La rapporteuse du texte, Brigitte Liso, a dénoncé un vote "scandaleux" et une "déception pour les victimes".

Pour éviter le rejet d'une des mesures phares du texte, le député Renaissance Sacha Houlié a demandé mercredi une nouvelle délibération, au nom de la commission des lois dont il est le président. Un second vote qui a provoqué l'indignation des opposants, avec rappels au règlement et suspensions de séance.

L'article 4 a été modifié avant son réexamen. Les personnes visées pourront échapper aux nouveaux délits si leurs incitations sont accompagnées d'une "information claire et complète" sur leurs conséquences possibles pour la santé, et si les personnes consentent à les suivre de manière "libre et éclairée". Celles et ceux légalement considérés comme lanceurs d'alerte ne sont pas non plus concernés.

Ce nouveau vote s'est soldé par l'adoption de l'article 4, par 182 voix contre 137. Le projet de loi doit encore être adopté dans des termes identiques par le Sénat. Il doit repasser devant la chambre haute, à une date pour l'instant inconnue.

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