Témoignages Contre les dérives sectaires dans le milieu de la santé, des médecins racontent leur méthode pour aider leurs patients

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
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Naturopathie, reïki, kinésiologie, biomagnétisme... La Miviludes s'inquiète de l'essor de certaines pratiques qui peuvent conduire à des dérives sectaires. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Les signalements pour dérives sectaires ont augmenté de 86% entre 2015 et 2021, selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Un quart d'entre eux concernaient le domaine de la santé.

Reïki, kinésiologie, décodage biologique... Ces différentes "méthodes de soins" partent d'un même postulat : les traumatismes psychologiques ont des répercussions sur la santé physique et pour y remédier, il faut adopter une hygiène de vie saine et se faire accompagner par un thérapeute formé à ces techniques. Mais derrière ces promesses, se cachent parfois des personnes mal intentionnées, au point qu'elles peuvent mener à des dérives sectaires. Le reïki, la kinésiologie et le décodage biologiques font ainsi partie de la liste établie par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Depuis la crise sanitaire, cet organisme se dit particulièrement inquiet, car les signalements pour des cas de dérives sectaires ont augmenté de 86% entre 2015 et 2021. Parmi elles, un quart concernait "des pratiques non conventionnelles de santé et du bien-être". Même constat du côté du Conseil national de l'ordre des médecins, où "en 2019, on enregistrait 124 dossiers sur cette problématique, 262 en 2021 et presque 200 à la mi-novembre, alors que l'année 2023 n'est pas terminée", s'inquiète Claire Siret, présidente de la section santé publique de l'ordre.

C'est dans ce contexte qu'un projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires est étudié, mardi 19 décembre, par le Sénat. Le texte vise entre autres à créer un délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins. "On s'aperçoit qu'il y a une volonté de s'attaquer à des gens vulnérables, comme des parents d'enfants handicapés, les personnes atteintes de maladies chroniques ou celles à qui on diagnostique une récidive de cancer, considérée comme un moment très de grande vulnérabilité pour les patients, avec un risque de rupture de soins", constate Donatien Le Vaillant, à la tête de la Miviludes.

Par ailleurs, la pénurie de soignants, les déserts médicaux ou encore le manque de temps accordé aux patients font que le système de soins ne parvient pas ou plus à répondre aux attentes des malades, qui se détournent de la médecine conventionnelle. "La plupart des usagers désirent pallier les carences de prise en charge globale (physique, psychologique, voire spirituelle) et le manque de temps d'écoute des soignants", pointe le Conseil national de l'ordre des médecins dans un rapport (PDF) publié en juin 2023. Comment les médecins vivent cette situation ? Que font-ils pour y remédier ? Franceinfo a posé ces questions à cinq praticiens.

Luc Duquesnel, généraliste en Mayenne : "Nous devons nous interroger"

"Je suis médecin généraliste et tous les jours, je suis confronté à la souffrance de mes patients. Avec la hausse de la précarité et l'anxiété généralisée, je constate qu'ils se tournent vers de nouvelles personnes pour les soigner, même s'ils ne me disent pas de qui il s'agit. En tant que médecins, nous devons nous interroger sur la montée de ces dérives.

"Certes, c'est plus rapide de rédiger une ordonnance et de proposer un médicament que de prendre en charge les patients dans leur globalité, mais cela éloigne les patients de la médecine."

Luc Duquesnel, généraliste

à franceinfo

Tout cela nécessite d'avoir un temps d'écoute, sans pression ou une salle d'attente bondée, avec des personnes qui s'impatientent. Je le vois au quotidien, cette dégradation de notre système de soins, le manque de médecins... Quand vous êtes en souffrance, vous êtes tenté d'aller voir n'importe qui, pourvu qu'il vous écoute. 

Toutefois, il ne faut pas mettre toutes ces pratiques dans le même panier. Je suis fils d'agriculteur et dans mon secteur, il y a beaucoup de personnes qui pratiquent des soins traditionnels, que l'on appelait autrefois ces rebouteux ou les calmeurs de feu. Je l'avoue, il m'est déjà arrivé d'envoyer les patients avec un zona vers elles, car j'ai vu que ça calmait leurs douleurs. Quand ces patients me demandent si c'est l'effet placebo, je leur réponds honnêtement que je n'en sais rien, que la science n'a pas de réponse à cette question. Au bout de trente-cinq ans d'exercice, j'ai aussi constaté qu'elles ne leur faisaient pas forcément de mal et ne les entraînaient pas dans des dérives sectaires. Ce qui m'importe, c'est que mes patients n'aient plus mal."

Emanuel Loeb, psychiatre à Paris : "La prévention est contre-productive"

"Dans mon secteur, la psychiatrie, il est difficile pour les patients d'y voir clair entre les différents praticiens. Psychiatre, psychologue, psychanalyste, thérapeutes en tous genres... Il est souvent très compliqué pour les patients de savoir qui fait quoi, avec quelle formation. Avec une difficulté supplémentaire : il n'y a pas de biomarqueurs, c'est-à-dire qu'on ne peut pas diagnostiquer une maladie psychiatrique à partir d'une prise de sang ou d'une imagerie médicale.

En ce moment, il y a beaucoup de discussions sur le rôle des médecins dans la prévention. Je ne suis pas sûr que nous soyons le corps professionnel le plus adapté. C'est même contre-productif. Cela ne fait que renforcer l'impression de concurrence entre la médecine conventionnelle, pratiquée par les médecins, et les thérapies alternatives.

"En nous dressant contre ce type de médecine, nous donnons l'impression d'avoir peur de perdre notre part de marché et de n'être intéressé que par l'argent."

Emanuel Loeb, psychiatre

à franceinfo

De la même manière que pour le complotisme, plus on se défend contre ces théories, plus on les alimente. Pour moi, c'est à l'école de donner les clés de lecture à la population en inculquant une culture scientifique dès le plus jeune âge, ainsi que des cours d'esprit critique. C'est aussi le rôle des travailleurs sociaux, qui doivent pouvoir guider les personnes les plus vulnérables, qu'ils suivent au quotidien."

Bruno Falissard, psychiatre à Paris : "Nous n'avons pas le temps d'expliquer nos décisions"

"Dans le système de soins actuel, le patient est devenu un usager et les soignants des prestataires de service. Dans ce contexte, ils se retrouvent comme dans une usine, comme s'ils construisaient des voitures. C'est d'ailleurs ce que disent les patients : 'La prise en charge n'est plus humaine, on ne s'intéresse pas à nous en tant que sujet.' On les prend comme un ensemble d'organes, on établit des diagnostics, avec des examens médicaux et des traitements. Mais cela induit une perte de sens, à la fois pour les soignants et les malades.

"Par ailleurs, il y a des questions auxquelles la médecine n'a pas de réponse."

Bruno Falissard, pyschiatre

à franceinfo

Par exemple : pourquoi suis-je malade ? Le médecin va répondre : 'Parce que vous avez contracté tel virus'. Mais à la question 'Pourquoi moi ?', il n'aura pas la réponse. Idem pour ce qui est du traitement. La grande question pour un praticien est de savoir lequel sera le plus efficace.

Or, pour juger de l'efficacité d'un traitement, il se base sur des résultats statistiques. Ce sont des chiffres. S'instaure alors un décalage entre le discours du médecin, qui va affirmer : 'Je vous prescris un traitement dont on a fait la preuve de l'efficacité', ce qui est vrai dans la majorité des cas, mais qui peut ne pas fonctionner sur vous. Mais nous n'avons pas le temps de l'expliquer. 

Plus les maladies sont graves, plus les gens sont désespérés et proches de la mort, plus ils sont prêts à écouter les gens qui leur donnent de l'espoir. Et ce, même si ce qu'ils disent est faux. D'ailleurs, ces patients savent au fond d'eux que ce qu'on leur dit n'est pas vrai. Mais il y a de l'espoir. C'est pourquoi il y a tant de dérives sectaires dans le domaine du cancer."

Florence Lapica, généraliste à Lyon : "J'entame la discussion en disant que je n'ai pas d'a priori"

"J'ai un rapport de médecin de famille avec mes patients. Nous pouvons discuter librement de beaucoup de sujets. Dans ce cadre, je m'aperçois que beaucoup cherchent des réponses sur internet avant de me demander mon avis. Par exemple, dans le cadre d'un suivi psychologique ou de suivi en nutrition... Ce qui m'inquiète, c'est de voir que beaucoup tombent sur de fausses informations ou dépensent des fortunes dans des produits très chers, sans aucune preuve scientifique de leur efficacité.

"C'est toute l'importance d'avoir des patients qui nous font confiance. Ainsi, ils peuvent solliciter notre avis sans avoir peur d'être jugés."

Florence Lapica, généraliste

à franceinfo

Pour moi, il est très important de pouvoir échanger avec eux, de donner mon avis sans les juger. J'entame la discussion en disant que je n'ai pas d'a priori, que je ne suis contre aucune méthode. Une fois que les patients me demandent mon avis, je ne vais pas les accuser de mal faire. Je pense qu'il est souvent difficile pour eux de faire la part des choses.

A mes yeux, c'est à la société, voire à l'Etat, de réguler ces pratiques. A notre niveau, en tant que médecin, nous devons aussi signaler au Conseil de l'ordre les pratiques qui sont présentées comme de la médecine alors qu'elles n'en sont pas."

Pierre de Bremond d'Ars, généraliste en région parisienne : "L'idée est de ne pas rompre le lien"

"Mon engagement contre les dérives thérapeutiques et sectaires a débuté en 2015 alors que j'étais encore interne. J'ai vu une jeune fille épileptique finir à l'hôpital parce que ses parents avaient décidé d'arrêter son traitement pour de l'homéopathie. J'étais à la fois en colère et dans l'incompréhension. Puis, en 2018, j'ai signé la pétition visant au déremboursement de l'homéopathie par l'Assurance maladie. C'est désormais le cas depuis le 1er janvier 2021.

Je suis l'actuel président du collectif No Fakemed, qui lutte contre les fausses informations dans le domaine de la santé. L'idée est d'accompagner les professionnels, afin qu'ils puissent répondre aux questions de leurs patients, sans rompre le lien ni les soins.

"Il faut que le médecin reste à l'écoute et oublie toute notion de hiérarchie. L'enjeu n'est pas d'avoir raison mais d'entamer une discussion."

Pierre de Bremond d'Ars, généraliste

à franceinfo

Si le patient a pu en parler avec le professionnel de santé et qu'un échange est établi, une partie du travail est déjà accomplie. Il faut bien avoir en tête tous les drapeaux rouges qui font penser que le patient est pris dans une dérive thérapeutique ou sectaire : tout ce qui implique des manipulations (physiques et psychologiques) d'ordres sexuel et financier ou un arrêt de traitement. L'entrée dans une dérive sectaire peut être extrêmement rapide. Il faut avoir en tête ces signes qui peuvent mener à ces dérives, afin de devenir, une fois que le patient doute, un fil auquel il peut s'accrocher pour en sortir."

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