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Des députés se plaignent de la transparence... mais ce n'est rien à côté de nos voisins

Plusieurs députés ont critiqué la publication des déclarations d'intérêts des parlementaires. Pourtant, les élus français doivent divulguer bien moins d'informations que leurs homologues d'autres nations occidentales.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le député UMP Henri Guaino assiste à une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 3 juin 2014. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Il n'a "rien à cacher", mais tout de même, il est pudique. Henri Guaino n'était visiblement pas très conquis à la perspective de se mettre à nu devant ses électeurs, à l'occasion de la parution, jeudi 24 juillet, des déclarations d'intérêts des députés et sénateurs.

>> Consultez la déclaration d'intérêts de votre député ou sénateur

"Il est dégradant d'aller se déshabiller en place publique", a jugé l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Devenu député UMP, il "désapprouve moralement et fondamentalement cette règle", actée dans la foulée de l'affaire Cahuzac afin d'instiller davantage de transparence dans la vie publique.

Et il n'est pas le seul. "Voyeurisme", "système de délation via internet"... Interrogé par francetv info sur ses activités d'avocat, le député UMP Pierre Lellouche n'avait pas de mot assez dur pour qualifier le dispositif. Pourtant, les parlementaires sont loin de se retrouver en slip sur la place publique. Patrimoines, cadeaux, voyages... La transparence est bien plus importante dans d'autres pays.

En Italie, des déclarations de patrimoine sur internet

En effet, par rapport à d'autres grandes nations occidentales, la France est à la traîne. Le rapporteur du texte sur la transparence de la vie publique à l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, notait en juin 2013 que "plus de 80 pays dans le monde" avaient adopté des lois sur le sujet. Dans l'Hexagone, le socialiste convenait que le contrôle du patrimoine des élus était "sinon formel, du moins trop limité" et que la prévention des conflits d'intérêts était un "chantier sans cesse remis à plus tard".

Si les Français peuvent désormais avoir accès aux déclarations d'intérêts de leurs parlementaires, de l'autre côté des Alpes, c'est une déclaration de patrimoine complète que peuvent consulter les Italiens. Ils peuvent ainsi en savoir plus sur les appartements et villas de Silvio Berlusconi, ses voitures, ses bateaux, ses participations dans des sociétés et même lire son avis d'imposition. Tous les sénateurs et députés sont soumis au même régime.

Un extrait de l'avis d'imposition de Silvio Berlusconi, publié par le Senat italien dans le cadre de sa déclaration de patrimoine. (SENATO DELLA REPUBLICA)

Impossible en France ? Les députés et les sénateurs ont bien obligation de remplir une déclaration de patrimoine, avec pour objectif "d'éviter qu'un parlementaire ne profite de ses fonctions électives pour s'enrichir abusivement". Mais contrairement aux ministres, et contrairement à l'Italie, ces déclarations ne seront à la disposition des électeurs qu'en préfecture. Et leur divulgation est passible de 45 000 euros d'amende. Dissuasif.

Aux Etats-Unis et au Pays-Bas, voyages et cadeaux surveillés

De l'autre côté de l'Atlantique, les élus au Congrès américain remplissent également des déclarations de patrimoine. La Chambre des représentants, l'équivalent de notre Assemblée nationale, publie sur son site ces documents sous la forme de documents PDF, certes pas toujours beaucoup plus lisibles que les gribouillis de certains élus français. Mais les informations sont plus nombreuses : actions, revenus, transactions, dons, crédits... S'y ajoutent des renseignements sur leurs voyages.

Un extrait de la déclaration de patrimoine de Michael Dennis Rogers, élu au Congrès des Etats-Unis. (US HOUSE OF REPRESENTATIVES)

Plus près de nous, les Pays-Bas ont eu aussi une politique stricte en matière de transparence. Le Parlement met à la disposition des citoyens un document récapitulant les activités annexes des élus, accompagnées de leur rémunération, leurs voyages mais aussi les cadeaux dont la valeur est supérieure à 50 euros. Un président de groupe a ainsi dû déclarer avoir reçu des billets de la Fédération néerlandaise de football ou une invitation à un festival de la part de la marque Heineken.

Un extrait du registre des cadeaux reçus par Halbe Zijlstra, élu à l'Assemblée nationale néerlandaise. (TWEEDE KAMER)

Impossible en France ? Certes, l'Assemblée nationale s'est dotée en 2011 d'un déontologue, chargé notamment de prévenir les conflits d'intérêts et de "conseiller les députés sur toute situation délicate". Les élus sont tenus de lui déclarer les invitations à des voyages ou les cadeaux de plus de 150 euros. Mais en 2013, une douzaine de cadeaux seulement ont été déclarés, dont un robot-mixeur culinaire et une cravate de luxe. Sans que l'on sache ni d'où il provenait, ni à qui ils étaient destinés.

En Europe du Nord, pas de pitié pour les fraudeurs

Dans plusieurs pays du Nord de l'Europe, pas question de plaisanter avec la transparence. Le JDD cite le cas de la Bulgarie et de la Lituanie, où patrimoines et activités des responsables politiques sont très contrôlés. Début 2013, le Premier ministre letton et son principal rival avaient été contraints à la démission, raconte le journal, après que la Commission de lutte contre la corruption a annoncé des irrégularités dans leurs actifs et comptes en banque.

En Scandinavie, région où les citoyens sont très à cheval sur la probité de leurs élus, le culte de la transparence peut parfois briser purement et simplement une carrière politique. En octobre 2006, la ministre de la Culture suédoise avait annoncé sa démission, reconnaissant n'avoir pas payé sa redevance audiovisuelle pendant seize ans et ne pas avoir déclaré au fisc les nourrices de ses enfants.

Impossible en France ? En théorie, mentir sur sa déclaration n'est pas sans conséquence. Le fait d'omettre "une partie substantielle" de son patrimoine ou d'en fournir "une évaluation mensongère" est passible d'une peine de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende. Chargée du contrôle, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique peut transmettre une déclaration au parquet si elle la juge mensongère. Une enquête préliminaire a, par exemple, été ouverte en début d'année après des soupçons sur celle de l'ex-ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui.

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