"Il veut nous dissoudre" : comment Emmanuel Macron tente de faire exploser la droite aux régionales avant la présidentielle
A l'approche des élections, le parti Les Républicains continue de se diviser entre deux ailes de plus en plus irréconciliables. Une scission dont le président de la République entend bien profiter.
"Un coup de poignard dans le dos", fustige Eric Ciotti. "Tu ne peux pas être celui qui met une balle dans la tête de la droite", lance François Baroin. Les responsables des Républicains ont sorti les fourches à l'annonce d'un accord pour les élections régionales entre La République en marche et Renaud Muselier, le président LR de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les échanges ont été rudes lors de la réunion du comité stratégique du parti de droite le 4 mai. "Muselier m'a confié qu'il n'avait jamais vu de sa vie politique une telle violence, entre les injures et les mises en accusation", raconte à franceinfo un responsable de la majorité.
Finalement, après plusieurs jours de tergiversations et de négociations, il y aura bien une liste de rassemblement de la droite et du centre conduite par Renaud Muselier avec des personnalités issues de LREM, mais pas de ministre ni de parlementaire. "Il n'y a pas de fusion, il n'y a pas l'accord d'appareil", tempère Renaud Muselier, mercredi 12 mai, sur France Bleu Azur. Le président de la région Paca se sait en terrain miné, après le psychodrame vécu ces derniers jours au sein des Républicains. Le maire de Toulon Hubert Falco et le maire de Nice Christian Estrosi ont ainsi claqué la porte de leur parti.
Officiellement, Emmanuel Macron n'a pas cherché à semer la zizanie au sein de LR. "A l'Elysée, ils ne veulent pas qu'on mouille le président dans l'affaire. Il a choisi de passer au-dessus de ces élections, il pense à l'après", confie un sénateur LREM. "Il n'y a pas de stratégie spécifique du président vis-à-vis de la droite, mais une stratégie du dépassement des clivages politiques, explique un macroniste du premier cercle. Ce n'est pas Macron qui a tué la gauche ou veut tuer la droite. La recomposition politique préexiste et Macron en a bénéficié."
Siphonner la droite
Depuis 2017, Emmanuel Macron a constaté l'émergence de deux droites au sein de LR, celle qui a appelé à voter pour lui au soir du premier tour de la présidentielle et celle qui se montre plus ambiguë à l'égard du "front républicain". En tendant la main à LR dans certaines régions, le chef de l'Etat cherche donc à exposer ces divisions. "Il veut détacher les gens de droite modérés de leur parti, leur faire miroiter qu'ils peuvent être élus uniquement avec En marche", confirme Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à Lille 2. "Son objectif, c'est de siphonner encore un peu plus la droite modérée et empêcher l'émergence d'une candidature de droite."
"Avec ces régionales, on est déjà dans l'élection présidentielle, c'est le pré premier tour. S'il fait exploser la droite, il tue le match."
Rémi Lefebvre, politologueà franceinfo
"On a acté la scission de la droite", se réjouit ainsi auprès de France 2 un chef de file LREM. "Les régionales sont pour nous un moyen d'accélérer la clarification, assume un membre du gouvernement. Sans ces élections, je ne sais pas si Estrosi et Falco seraient sortis comme ça de LR." Le chef de l'Etat observe donc la droite se déchirer en attendant tranquillement 2022, et les responsables de LR ne sont pas naïfs. "On additionne les manigances de Macron aux turpitudes des grands élus locaux qui estiment qu’ils auraient dû être ministres plus longtemps, et on a ce cocktail. (...) Il devient assez clair que Macron a ciblé la droite et cherche à faire monter le RN pour installer un duel Macron/Le Pen en 2022", fustige le député LR Pierre-Henri Dumont. "Macron veut nous dissoudre, il ne veut plus rien entre Marine Le Pen et lui", ajoute un dirigeant LR, joint par France 2.
Un accord secret avec Valérie Pécresse ?
En Ile-de-France, la stratégie du "dépassement" – ou plus officieusement de division de la droite – n'a pas vraiment fonctionné. "Le rapprochement naturel, c'était avec Valérie Pécresse et tout le monde a refusé de l'examiner", soupire un proche d'Emmanuel Macron. De fait, le parti présidentiel présente sa propre liste menée par un illustre inconnu, Laurent Saint-Martin, député du Val-de-Marne, flanqué, pour apporter du poids à sa candidature, de trois ministres – Marlène Schiappa, Emmanuelle Wargon, Amélie de Montchalin – et d'une secrétaire d'Etat – Nathalie Elimas. "Du côté de Valérie Pécresse, il n'y a jamais eu de tentative de rapprochement", assure le député Robin Reda, élu dans la 7e circonscription de l'Essonne et membre de Libres!, le mouvement de Valérie Pécresse.
"Chez En marche, il y avait l'ambition de placer des élus sur les listes gagnantes et de fracturer de l'intérieur en faisant le baiser de la mort comme ils ont fait en Paca."
Robin Reda, député de l'Essonneà franceinfo
L'entourage de la présidente sortante de la région Ile-de-France aime d'ailleurs à rappeler qu'avant de vouloir faire alliance à ces élections, LREM a tenté de créer son propre groupe au conseil régional. "Par l'entremise de Thierry Solère [conseiller politique d'Emmanuel Macron et ex-LR], ils ont cherché quatre fois à créer un groupe En marche ! en essayant de débaucher nos élus mais cela s'est soldé par un échec cuisant. Et je rappelle qu'il ne faut que sept personnes pour constituer un groupe… La majorité, qui va jusqu'au MoDem, est restée solide", tacle un des proches de Valérie Pécresse.
Selon les dires d'un membre du gouvernement bien informé, cette dernière aurait toutefois demandé la clémence de l'Elysée.
"Ce que Pécresse voulait, c'était que l'on fasse l'impasse sur l'élection en Ile-de-France."
Un membre du gouvernementà franceinfo
L'ex-ministre de Nicolas Sarkozy aurait ainsi mis en avant les conséquences d'une fusion de sa liste avec celle de la majorité présidentielle. "Elle nous disait qu'en cas d'accord avec nous, Les Républicains, qui pour un certain nombre d'entre eux veulent 'la bousiller', lui mettraient un candidat dans les pattes, assure ce membre du gouvernement Castex. Donc, elle souhaitait que l'on ne soit pas dans cette élection, en nous disant : 'Vous ne pouvez pas me faire gagner mais vous pouvez me faire perdre'."
Résultat : alors qu'un Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, ou un Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, étaient pressentis pour porter le combat dans la première région de France, il n'en est finalement rien. Avec Laurent Saint-Martin, les pro-Pécresse se frottent les mains. "C'est un aveu de faiblesse", sourit Jean-Didier Berger, le maire de Clamart (Hauts-de-Seine) et directeur de campagne de l'ancienne ministre. Mais, c'est aussi, comprend un autre soldat de la présidente sortante, un signe de plus d'une "forme de mépris de Macron à l'égard de Pécresse". "Il n'a pas de crainte outre mesure de Pécresse, contrairement à Bertrand", glisse-t-il.
Coups bas dans les Hauts-de-France
Bertrand pour Xavier Bertrand. Lui aussi ex-ministre de Sarkozy et lui aussi ex-LR. Mais contrairement à Pécresse donc, le président des Hauts-de-France est craint par le président de la République. "Le principal adversaire de Macron, c'est Xavier Bertrand, analyse Rémi Lefebvre. Car Bertrand peut mobiliser, dans les Hauts-de-France, des électeurs de gauche face au RN, et ça c'est plus gênant pour Macron." Surtout, Xavier Bertrand a fait le choix tactique de déclarer sa candidature à l'Elysée, avant d'être éventuellement réélu à la tête de la région. De quoi donner à ce scrutin local une lecture nationale. Et cela n'a échappé à personne dans la majorité.
"Bertrand a décidé de faire de cette élection la rampe de lancement des missiles contre Macron pour éviter la primaire de la droite."
François Bayrou, président du MoDemà franceinfo
"C'est d'autant plus choquant qu'il y a six ans, on a mis tout ce qu'on pouvait pour le faire élire. Et aujourd'hui, il nous présente comme des ennemis", condamne François Bayrou, qui reste proche d'Emmanuel Macron. La riposte élyséenne a été immédiate. Laurent Pietraszfewski, le secrétaire d'Etat aux Retraites, et tête de liste de LREM dans les Hauts-de-France, n'était qu'un petit caillou dans la chaussure de Bertrand ? Qu'à cela ne tienne, Macron lui en envoie un client plus médiatique en la personne d'Eric Dupond-Moretti, le ténor des barreaux devenu ministre de la Justice, tête de liste dans le Pas-de-Calais. Voilà qui redonne le moral aux macronistes des Hauts-de-France. "Des maires de gauche m'ont dit : 'Putain, Eric Dupond-Moretti, ça a de la gueule..." se réjouit la députée du Nord, Anne-Laure Cattelot. "Il a une notoriété, une voix qui porte, il est audible, c'est le coup de booster, veut croire un membre du gouvernement. Et ça va contraindre Bertrand à redescendre dans un débat régional."
Pas de quoi faire bouger d'un iota Xavier Bertrand, assure son entourage. "Macron est en train de lui rendre service et de lui offrir la dramaturgie dont il a besoin. Plus c'est médiatisé, mieux c'est ! Macron n'a aucun sens politique, Xavier Bertrand va gagner malgré Eric Dupond-Moretti et tous les autres." Mais, que feront les appareils politiques au soir du premier tour dans une région où le Rassemblement national est annoncé très haut ? "S'il y a un risque RN dans quelque région que ce soit, on prendra nos responsabilités", assure un proche du président. Une main tendue qui pourrait s'avérer être un piège pour Bertrand. S'il l'accepte, il passera pour un pro-Macron et sa candidature à l'Elysée sera compromise. S'il refuse, il risque de perdre la région et son rêve élyséen avec. Son entourage l'a bien compris. "Dans l'entre-deux-tours, il n'y aura pas d'accord avec LREM, sinon, il est mort pour la présidentielle."
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