Impôts, loyers, amendes... Comment est-il possible de frauder pendant des années ?
Ephémère secrétaire d'Etat, Thomas Thévenoud aurait, en plus de ses déboires avec le fisc, omis par le passé de payer ses loyers et des amendes routières. Un tel comportement, s'il est possible, est néanmoins risqué pour le contribuable.
Sa "phobie administrative" lui a valu son poste de secrétaire d'Etat. Neuf jours après son entrée au gouvernement, Thomas Thévenoud a été poussé à la démission, jeudi 4 septembre, payant ainsi plusieurs années de manquements vis-à-vis de l'administration fiscale.
Sauf que Thomas Thévenoud n'a pas eu de déboires qu'avec les impôts, à en croire les dernières informations parues dans la presse. L'élu de Saône-et-Loire aurait également omis de s'acquitter de son loyer pendant trois années, selon Le Canard enchaîné, et se serait abstenu d'acquitter les amendes d'une voiture de fonction, d'après Le Parisien.
Ne payer ni ses impôts, ni ses loyers, ni ses amendes... est-ce vraiment possible ? Francetv info a posé la question à des spécialistes, qui reviennent sur cette attitude, souvent risquée pour les contribuables concernés.
Oublier de déclarer ses revenus aux impôts
Comment est-ce possible ? Thomas Thévenoud ne se considère pas comme un "fraudeur", préférant se définir comme "un contribuable négligent". L'ex-secrétaire d'Etat est revenu dans le Journal de Saône-et-Loire sur sa situation fiscale chaotique. D'après son récit, il dépose sa déclaration de 2012 en retard, ce qui l'oblige à s'acquitter de pénalités. L'année suivante, il omet purement et simplement de déclarer ses revenus, et fait l'objet d'une "taxation d'office" de l'administration fiscale.
De tels oublis sont rares : Bercy estime que seul 1,2% des contribuables est dans ce cas, rapporte Libération (article payant). Il est quasi-impossible pour un salarié de garder ses revenus secrets, car les services fiscaux connaissent ses revenus, estime Hélène Guerra, secrétaire nationale du syndicat CGT des Finances publiques, contactée par francetv info. Ils bénéficient en effet des informations des employeurs, des organismes sociaux, des caisses de retraite... A contrario, les entrepreneurs ou les professions libérales peuvent facilement se soustraire à leurs obligations, précise Hélène Guerra, car, "par définition, la source de leurs revenus, c'est eux-mêmes".
Quel est le risque ? En cas d'oubli de la déclaration, le fisc relance d'abord le contribuable négligent. S'il reste muet, une procédure d'imposition d'office peut être lancée, explique Hélène Guerra : "On n'attend pas sa réponse et on taxe en fonction des informations à notre disposition. Si c'est un commerçant ou un entrepreneur, on peut organiser un contrôle pour déterminer son chiffre d'affaires et son bénéfice." La note peut vite s'alourdir : en plus des indemnités de retard, le contribuable subira aussi des pénalités, avec une majoration de 10 à 40% de son impôt, voire 80% en cas de découverte de manœuvres frauduleuses.
Le fisc a trois ans pour mettre le grappin sur les resquilleurs, six ans dans le cas d'une fraude fiscale. Dans ce dernier cas, s'il y a intention d'échapper à l'impôt, le contribuable encourt des sanctions pénales, jusqu'à 500 000 euros d'amende et cinq ans de prison ferme, rappellent Slate.fr et Public Sénat. Mais les emprisonnements restent rares, précisent les deux médias.
Malgré ces risques, les plus malins peuvent tout de même y trouver leur compte. En cas de revenus annexes un peu inavouables, les intéressés peuvent trouver bénéfice à ne pas déclarer leurs revenus officiels, explique Libération. Le journal évoque le cas de "gars du Sentier", quartier commerçant de Paris, qui "viennent régulièrement s'autodénoncer" au fisc. L'administration procéderait alors à un redressement fiscal sur leurs revenus officiels, sans s'intéresser de près aux fonds plus occultes.
"Quand bien même une personne régulariserait sa situation, le fisc peut tout de même encore la taxer en cas de nouvelles découvertes, nuance Hélène Guerra. Mais si quelqu'un dépose spontanément une déclaration et que ses revenus ne sont pas totalement incohérents, l'administration ne va pas forcément motiver une vérification sur place."
Oublier de payer ses loyers
Comment est-ce possible ? En entendant les déboires de Thomas Thévenoud avec le fisc, son ancien propriétaire aurait aussitôt appelé le ministère de l'Intérieur pour raconter son histoire, d'après Le Canard enchaîné. Selon le journal, en plus d'avoir "oublié" de déclarer ses revenus, le député aurait également omis, pendant trois ans, de payer le loyer de son appartement situé dans le Ve arrondissement de Paris.
"Je ne suis pas surpris, commente pour francetv info Jean Perrin, président de l'Union nationale de la propriété immobilière. Même si son propriétaire a engagé une procédure d'expulsion à son encontre, c'est possible de faire durer les choses trois ans. Elles sont longues et le locataire peut prolonger la procédure s'il connaît quelques subterfuges. Il peut, par exemple, payer partiellement ses arriérés, ce qui remet en cause la procédure, ou contester la nature du logement lui-même, en pointant des travaux nécessaires."
Quel est le risque ? Au bout d'un moment, difficile d'échapper à l'expulsion. Pour ce qui est du paiement des loyers impayés, c'est un peu plus compliqué. "Quand l'expulsion est finalement prononcée, le montant à régler est souvent colossal, explique Jean Perrin. Si le locataire est insolvable, il peut saisir la commission de surendettement, qui peut décider d'effacer toutes ses dettes."
Oublier de payer ses amendes
Comment est-ce possible ? Avant d'être élu député, Thomas Thévenoud exerçait différentes fonctions d'élu local dans son département de Saône-et-Loire. Le socialiste a notamment été vice-président de la communauté urbaine Creusot-Montceau de 2008 à 2012. Selon Le Parisien, il aurait alors "pris la mauvaise habitude de ne pas payer les amendes de [sa] voiture de fonction".
"Les amendes sont imputées au titulaire de la carte grise, explique à francetv info Me Eric de Caumont, avocat spécialiste du droit de l'automobile. Quand le véhicule est au nom d'une société, d'une association, d'une collectivité, par définition, c'est cette dernière qui se voit réclamer les amendes et est saisie si elle ne paye pas."
Quel est le risque ? La société ou la collectivité peut choisir de dénoncer son salarié pour que les autorités se retournent contre lui, mais elle n'y est pas obligée, précise Me Eric de Caumont. "De toute façon, pour des amendes de stationnement, le Trésor public ne se prend pas la tête, c'est à vous de vous débrouiller avec votre employé."
Dans la plupart des cas, poursuit l'avocat spécialisé, l'entreprise règle la situation à l'amiable avec le mauvais conducteur, qui rembourse. "Mais la jurisprudence récente prévoit que si l'entreprise n'a pas dénoncé son employé, pour un excès de vitesse par exemple, elle ne peut pas décider de prélever le montant de l'amende sur son salaire."
Une bonne nouvelle pour les mauvais payeurs ? Non, juge Me Eric de Caumont, qui estime que les entreprises vont avoir moins tendance à couvrir les salariés. Quoi qu'il arrive, si le Trésor public se tourne vers eux et qu'ils tardent à régler la note, ils s'exposeront à des pénalités. Les mauvais payeurs ne risquent pas pour autant de se retrouver derrière les barreaux. "La prison pour des amendes impayées, ça n'existe plus depuis Zola ou presque", explique Me de Caumont, qui rappelle que l'administration a les moyens d'obtenir son dû, notamment grâce à des saisies.
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