Projet de loi immigration : le gouvernement "devient de plus en plus le jouet des partis politiques", analyse un politologue

"Les stratèges de la Macronie ont toujours considéré que les prochaines échéances électorales se jouaient à droite", assure Stéphane Zumsteeg, directeur du département Opinion à l'institut de sondage Ipsos, mercredi 20 décembre sur franceinfo.
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La Première ministre, Elisabeth Borne, à l'Assemblée nationale (Paris), le 17 novembre 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Le gouvernement "devient de plus en plus le jouet des partis politiques", a analysé mercredi 20 décembre sur franceinfo Stéphane Zumsteeg, directeur du département Opinion à l'institut de sondage Ipsos. Marine Le Pen a revendiqué une "victoire idéologique" après le vote mardi soir par l’Assemblée nationale du texte sur l’immigration issu de la commission mixte paritaire (CMP).

À gauche, on évoque une défaite morale. La droitisation de la politique du gouvernement est "assumée" par Emmanuel Macron, selon lui. "Ils ont toujours considéré que les prochaines échéances électorales se jouaient à droite", explique Stéphane Zumsteeg. Mais ce vote risque de laisser "des traces", car "il n'y a pas que des gens de droite qui votent pour Emmanuel Macron", souligne-t-il.

franceinfo : est-ce une crise grave pour l’exécutif ?

Stéphane Zumsteeg : C'est un vrai tournant dans ce second quinquennat qui prenait son temps pour vraiment se mettre en marche. La crise va probablement continuer avec des conséquences très graves au sein de la majorité. Qu'est-ce qui a fondamentalement changé mardi ? D'une part, c'est que le travail parlementaire va évoluer. Jusqu'à présent, ces 18 derniers mois, on déplorait le fait que le gouvernement ne réussissait pas à constituer des majorités, soit des majorités de projet ou des vraies coalitions. Mais là, aujourd'hui, c'est bien plus grave pour l'exécutif. Il a fallu attendre le dernier moment pour savoir ce qu'allaient faire Les Républicains. Il y a eu la surprise du vote en faveur du texte de Marine Le Pen. Aujourd'hui, le gouvernement non seulement n'arrive pas à constituer des majorités, mais en plus, il est devenu l'otage des partis politiques. C’est très grave. Je ne vais pas dire qu'on revient à l'instabilité parlementaire de la IVe République, mais on voit bien que maintenant, le gouvernement sera probablement dans les trois ans à venir dans le brouillard permanent parce que les oppositions vont se jouer de lui. Il devient de plus en plus le jouet des partis politiques.

Est-ce la fin du mythe du "en même temps". La majorité assume sa politique de droite ?

Oui, c'est un choix stratégique qui est assumé, mais quelque part qui est assumé depuis de nombreuses années maintenant. Les stratèges de la Macronie, Emmanuel Macron au premier rang évidemment, ont toujours considéré que les prochaines échéances électorales se jouaient à droite, entre le centre droit et l'extrême droite. Quand on regarde aujourd'hui ce qui s'est passé ces dernières semaines dans le cadre de ce projet de loi, que ce soit du côté de Gérald Darmanin, d'Eric Ciotti et maintenant du Rassemblement national qui était exclu du jeu jusqu'à hier après-midi, il y a une sorte de course à l'échalote pour savoir qui sera le plus jusqu'au-boutiste. C'est bien pour ça que ce matin, toute une partie de la classe politique, notamment à gauche, mais pas qu’à gauche, parle aussi de défaite morale pour la majorité. Ce sont des choses qui laisseront des traces. Parce qu’électoralement, il n'y a pas que des gens de droite qui votent pour Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron peut-il refuser de promulguer cette loi ?

On a assisté à une telle cacophonie ces dernières semaines autour de ce projet de loi. Quand vous entendez Gérald Darmanin, il dit que la majorité a tenu bon, ce qui est une vaste blague. Un quart des députés de cette majorité présidentielle se sont abstenus ou ont voté contre. Si le président de la République devait finalement décider d'une seconde lecture de ce texte et de refuser quelque part les voix du Rassemblement national qui s'est exprimé mardi soir, cela rajouterait encore de la confusion à la confusion. On commence un peu à friser le ridicule quand on voit tout ce qui s'est passé depuis lundi dernier, depuis la motion de rejet.

Marine Le Pen revendique une victoire idéologique. A-t-elle raison de le faire ?

Est-ce que c'est une "lepénisation" des esprits ou tout simplement le signe d'une droitisation de la classe politique et d'une partie des Français en matière de questions migratoires ? Rappelez-vous, il y a 20-30 ans, parler de préférence nationale, on avait le droit, mais c’était constitutif de l'appartenance à l'extrême droite. Qu'est-ce qui définissait l'extrême droite par rapport aux autres partis ? Ils étaient pour la préférence nationale et c'était un tabou pour les autres, y compris pour la droite républicaine aujourd'hui. Pour la grande partie de cet axe qui va du centre jusqu'à l'extrême droite, il est tout à fait normal, finalement, dans l'esprit des hommes politiques, de donner plus d'avantages à un Français qu'à un étranger. Et cela, c'est totalement nouveau.

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