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"J'ai été dégoûté de la politique" : le Rassemblement national confronté à la défection d'une partie de ses conseillers municipaux

Peu aguerris à la politique, certains conseillers municipaux du parti de Marine Le Pen ne rempileront pas l'année prochaine. Ils vont rejoindre tous ceux qui ont abandonné leur mandat en cours de route. De quoi pousser le RN à revoir sa stratégie de recrutement pour 2020.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le logo du Rassemblement national lors des élections européennes, le 26 mai 2019, à Paris.  (BERTRAND GUAY / AFP)

"C'était la première fois que je me lançais en politique." Damien Jaureguy a plongé dans le grand chaudron des conseils municipaux un peu par hasard. A 26 ans, le jeune homme est en recherche d'emploi quand Franck Briffaut vient frapper à sa porte. Ce militant FN pur sucre, qui a adhéré dès 1977 à ce qui n'est qu'alors qu'un groupuscule radical, est en train de monter une liste à Villers-Cotterêts, petite ville de 10 000 habitants de l'Aisne où il s'est installé en 1988. Elu la même année au conseil régional de Picardie, l'homme est candidat à chaque élection municipale depuis 1995. Mais, cette fois, en cette fin d'année 2013, il sent qu'il a ses chances. 

"Franck Briffaut faisait le tour des maisons et il m'a présenté son projet, j'ai été séduit", se souvient Damien Jaureguy qui précise qu'il ne vote pas RN "au niveau national, plutôt Dupont-Aignan". Ni une ni deux, le jeune demandeur d'emploi se retrouve à la 11e place sur la liste du candidat frontiste. Le 30 mars 2014, la mairie, avec 10 autres municipalités, bascule dans les mains du FN qui réalise un score historique. Damien Jaureguy se retrouve propulsé conseiller municipal et communautaire. "J'ai découvert la politique", résume aujourd'hui le trentenaire devenu entre-temps commercial. Et à quelques mois de la fin de son mandat, celui-ci a fait son choix : il ne se représentera pas aux municipales de mars 2020.

"Certains n'ont pas envie de retenter l'expérience"

"J'ai été dégoûté de la politique politicienne", lâche-t-il rapidement en guise d'explications. Attention, Damien Jauregy ne vise pas la majorité et le maire "qui s'est battu contre vents et marées pour améliorer la vie des Cotteréziens" mais "les adversaires". Le commercial cite pêle-mêle "ces alliances UMP-PS sans queue ni tête juste pour faire front au FN" ou l'ancien maire qui, redevenu conseiller municipal, "arrivait avec des contre-arguments sur des projets qu'il avait lui-même lancés, juste parce que c'était le RN". Damien Jauregy ne décolère pas non plus contre les conseillers communautaires, qui représentent les communes dans les métropoles, communuautés urbaines ou d'agglomération. "Ce qui leur importait, c'était le poste et l'argent qu'ils pouvaient gratter", assure-t-il. Bref, pas question de repartir pour un tour.

Il n'est pas le seul. Selon un cadre du Rassemblement national cité par Le Parisien, "près de la moitié des 1 600 RN élus dans les mairies en 2014 ne se représenteront pas, probablement déçus par l'expérience". Un chiffre difficilement vérifiable selon plusieurs tenors du parti. "C'est impossible d'avoir un chiffre, c'est de l'affabulation, on en est en pleine période des investitures", tonne Jean-Lin Lacapelle, vice-président du groupe RN au conseiller régional d'Ile-de-France et membre du bureau national.

S'il est donc encore trop tôt pour faire ce genre de bilan, certains conseillers raccrochent bien pour des raisons qui semblent spécifiques au RN. "En 2014, le FN avait recruté beaucoup de personnes de manière à être très présent, des gens pas très politisés qui avaient accepté d'être sur des listes, on peut imaginer que certains n'aient pas envie de retenter l'expérience", analyse Gilles Ivaldi, politologue, spécialiste des partis de droite radicale.

Le RN reste malgré tout un parti associé à l'extrême droite, cela a un coût social d'être candidat RN.

Le politologue Gilles Ivaldi

à franceinfo

"Le FN, c'est la bête à abattre"

C'est le cas de Jonathan Omet. Ce maçon de 33 ans s'est retrouvé en bas de la liste de Cyril Nauth, élu maire de Mantes-la-Ville (Yvelines) avec 30,26% au terme d'une quadrangulaire. "Je ne vote pas RN mais lorsque Cyril Nauth est passé dans mon appartement se présenter, son projet m'a plu", se souvient-il. Il lui faut attendre septembre 2016 pour débarquer au conseil municipal après la mort de l'adjoint aux sports. Alors qu'il n'est pas encarté et ne vote pas pour le parti de Marine Le Pen aux élections nationales, Jonathan Omet se prend l'étiquette FN en pleine figure. "Le FN, c'est la bête à abattre", laisse-t-il échapper.

J'ai grandi dans un quartier sensible de Mantes-la-Ville. Quand ils ont su que j'étais élu RN, on a fait comprendre qu'on allait me casser la gueule.

Jonathan Omet

à franceinfo

La découverte des conseils municipaux ne le convainc pas vraiment. "Ce n'est pas évident de faire des projets, il y a l'opposition, personne n'est d'accord et puis je ne peux pas m'exprimer, le maire m'a dit de venir mais que je n'avais pas besoin de parler", témoigne-t-il. Cela fait d'ailleurs quelque temps que Jonathan Omet n'assiste plus aux conseils municipaux. Avec son travail et son déménagement dans l'Eure, c'est devenu "trop compliqué". Bilan des courses : le trentenaire ne replongera pas de sitôt dans le bain de la politique. "C'est dur d'y rentrer et de tenir aussi, il faut faire des concessions, trouver un parti, c'est un monde fermé, soupire-t-il. Ce n'est pas moi qui suis issu de la classe moyenne qui vais faire bouger les choses."

D'autres conseillers, cette fois encartés, ne rempileront pas pour des raisons plus classiques : un âge trop avancé ou l'impossibilité à conjuger ses fonctions avec sa vie professionnelle. "Je ne serai pas en position éligible l'année prochaine", annonce Fabien Gozard, conseiller municipal d'opposition à Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher) et adhérent au RN depuis 2012. Ce patrouilleur autoroutier de 47 ans, qui travaille en 3x8, n'y arrive plus. "On a beaucoup de difficultés à se faire remplacer pour les patrouilleurs ou alors il faut poser des jours de congés à chaque conseil municipal, c'est compliqué", explique-t-il.

Même explication du côté de Denis Truffaut, tête de liste FN à Arcueil (Val-de-Marne) en 2014, qui s'est fait élire avec deux autres colistiers. "Je suis en création d'entreprise, je ne peux pas faire les deux", avance-t-il.  A 76 ans, Maurice Dumontet, élu à Corbas (Rhône) et adhérent RN depuis 1988, a lui décidé qu'il avait "assez donné", même si cela ne l'empêche pas de constater, "déçu", qu'il est bien difficile de reprendre son flambeau.

On a fait 25% aux européennes, mais on n'arrive pas à trouver des gens pour les municipales, ils ne se manifestent pas.

Maurice Dumontet

à franceinfo

"La course à la quantité, elle est terminée"

Si certains ont décidé de ne pas repartir au combat, d'autres ont carrément déposé les armes au cours de la mandature. Le parti de Marine Le Pen a même subi une véritable "hémorragie de conseillers municipaux", selon les mots de Julien Leonardelli, délégué départemental du RN en Haute-Garonne. En mars 2014, 1 581 candidats FN sont élus conseillers municipaux ; cinq ans et demi plus tard, ils ne sont plus que 1 200, selon les informations recueillies par franceinfo. Soit une baisse de 24%. Un nombre sans commune mesure avec les "pertes" subis dans les autres partis, d'après les comparaisons effectuées par Libération en 2017. Le parti de Marine Le Pen, qui a longtemps "minimisé le phénomène" d'après le quotidien, reconnaît aujourd'hui le problème.

Contrairement à un parti traditionnel où il faut gravir les échelons un à un, "nous on prend des simples citoyens qui n'ont pas forcément les codes et qui se retrouvent avec des gens qui ont les codes, c'est notre difficulté et notre honneur, estime un très proche de la présidente du RN. Il y en a qui ont été un peu surpris."

On a eu une crise de croissance et on n'a pas suffisamment accompagné nos élus.

Un proche de Marine Le Pen

à franceinfo

"Nous avons reconnu que nous n'avions pas été parfait dans la sélection de nos élus et s'il y a eu une course à la quantité, elle est terminée. Maintenant, c'est la course à la qualité", affirme Jean-Lin Lacapelle. Le RN présentera-t-il donc moins de listes qu'en 2014 ? S'il est trop tôt pour le savoir, le parti d'extrême droite change radicalement de stratégie pour 2020. "Aujourd'hui, on a une logique plus localisée, on veut des leaders politiques locaux plutôt que des porte-voix d'un parti, rapporte un cadre du Rassemblement national. Avant, on prenait quelqu'un que l'on mettait tête de liste et on lui donnait le programme – pas d'immigration, la baisse des impôts –, c'était des programmes un peu 'décongelés'."

Autre leçon tirée par le parti : le profil des candidats sera bien plus scruté que par le passé afin d'éviter toute erreur de casting. "C'est la mission qui m'a été confiée, il faut checker que les personnes soient solides, qu'elles aient envie de se présenter", explique Lionel Tivoli, délégué départemental des Alpes-Maritimes. "Le processus de sélection est très pointilleux, on a conscience que de nombreuses villes peuvent être gérées par le RN", renchérit Laurent Jacobelli, son collègue des Bouches-du-Rhône. Le politologue Gilles Ivaldi n'est pas franchement convaincu. "Pour être franc, dit-il, je ne sais pas s'ils ont les moyens d'être très sélectifs. Ils vont être attentifs aux profils très extrême droite, à ceux qui pourraient faire des dérapages mais leur vivier de candidats n'est pas extensible."

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