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La polémique entre François Hollande et les juges en cinq actes

Dans le livre "Un président ne devrait pas dire ça", François Hollande s'en est pris de manière très virulente aux magistrats, provoquant une fronde exceptionnelle.

Article rédigé par Vincent Matalon - avec AFP et Reuters
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
François Hollande en compagnie du premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel (au centre), le 16 juillet 2014 à Paris. (MARTIN BUREAU / AFP)

Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Après la révélation, mercredi 12 octobre, de propos très durs à l'encontre des juges dans le livre Un président ne devrait pas dire ça..., François Hollande se retrouve plongé dans une polémique dont il se serait bien passé, à l'heure d'entamer son opération reconquête en vue de la prochaine présidentielle. Vendredi 14 octobre, il a envoyé aux magistrats une lettre où il regrette profondément ce qui a été ressenti comme une blessure". Franceinfo revient sur les cinq actes de cette nouvelle controverse.

1François Hollande dénonce la "lâcheté" des juges

Tout commence par une confidence glissée aux journalistes du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet. Evoquant le monde de la magistrature, François Hollande livre une charge au moins aussi violente que celle de Nicolas Sarkozy en 2007, lorsqu'il comparait les juges à des "petits pois" dont il raillait l'"absence de saveur".

Cette institution, qui est une institution de lâcheté... Parce que c'est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... On n'aime pas le politique. La justice n'aime pas le politique...

François Hollande

dans le livre "Un président ne devrait pas dire ça..."

Cité par l'agence Reuters, un proche de François Hollande a beau promettre qu'il s'agit d'une "phrase sortie de son contexte", qui n'a "pas la même valeur que la gestion de la crise grecque ou la gestion des attentats", le mal est fait. Dans l'univers feutré de la magistrature, les juges sont outrés.

2Les juges, "humiliés", montent au créneau

La première salve est lancée mercredi par le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel. Il juge qu'il n'est "pas concevable que la charge de président (...) puisse être utilisée par son titulaire pour contribuer à diffuser parmi les Français une vision aussi dégradante de leur justice". Accompagné de Jean-Claude Marin, procureur général de la plus haute juridiction française, il est reçu en catastrophe dans la soirée à l'Elysée par François Hollande.

Les deux hommes ne font aucun commentaire à l'issue de cette rencontre. Mais, signe que la colère est loin d'être retombée, ils convoquent la presse le lendemain dans la Grande-chambre de la Cour de cassation. Devant les journalistes, Jean-Claude Marin indique que l'entretien de la veille "n'a pas atténué le sentiment que la magistrature avait ressenti face à une nouvelle humiliation". Le premier président ajoute que, venant du garant constitutionnel de l'indépendance de la justice, les commentaires de François Hollande posent "un problème institutionnel".

Les deux plus hauts magistrats de France sont ensuite rejoints dans leur indignation par le Conseil supérieur de la magistrature, qui a dénoncé des propos "dangereux et injustes", et par les avocats, qui ont fait part de leur "consternation" et "incompréhension", selon Pascal Eydoux, le président du Conseil national des barreaux (CNB).

Les organes regroupant présidents et procureurs des tribunaux et cours d'appel ont de leur côté "vivement" déploré des propos pas "démentis à ce jour" et qui "portent gravement atteinte au crédit et à la confiance que doivent avoir les citoyens dans leur justice".

3Les politiques s'en mêlent

A quelques heures du premier débat télévisé de la primaire à droite pour la présidentielle, Alain Juppé s'est joint aux magistrats pour dénoncer des propos d'une "extrême gravité". Dans un communiqué, il reproche au président d'avoir "manqué gravement aux devoirs de sa fonction" et d'avoir "démontré une nouvelle fois qu'il n'est pas à la hauteur de sa charge".

Tout en critiquant François Hollande, le Front national a de son côté dénoncé "les attaques" des magistrats envers la "fonction présidentielle""Il faut avoir du respect pour la fonction présidentielle. Manifestement les hauts-magistrats se croient absolument intouchables. J'en suis assez stupéfait", a ainsi expliqué sur France 3 le sénateur David Rachline, directeur de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle.

4Le camp Hollande tente d'apaiser les juges

Pour tenter d'éteindre l'incendie, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a annoncé qu'il recevrait vendredi des représentants des juges, tout en rappelant "les engagements constants du président et du gouvernement pour défendre l'indépendance et la place essentielle de l'autorité judiciaire".

En visite à Ottawa (Canada), le Premier ministre Manuel Valls a lui aussi tenté de voler au secours de François Hollande dont "l'indépendance de la justice a été la marque de l'action", soulignant que "rien n'a été fait contre la justice" sous sa présidence.

Proche parmi les proches du chef de l'Etat, l'avocat Jean-Pierre Mignard a toutefois reconnu sur franceinfo qu'il était nécessaire que François Hollande présente ses excuses aux magistrats. 

Ces propos lapidaires ne pouvaient qu’entraîner une réaction de cette nature. Ils me surprennent au sens où ils sont à mes yeux et à mes oreilles totalement incompréhensibles.

Jean-Pierre Mignard

à franceinfo

L'avocat, qui rappelle que le chef de l'Etat avait "garanti une autonomie partielle des procureurs" dans une loi de 2013, met en garde son ami. "Il faut faire attention à [ce genre de propos], c'est exactement ce que dit le populisme", a-t-il insisté.

5François Hollande envoie une lettre d'excuses

Rétropédalage accéléré. Face aux dégâts, le président de la République envoie, vendredi 14 octobre, une lettre au Conseil supérieur de la magistrature. Il écrit : les propos publiés dans le livre "sont sans rapport avec la réalité de ma pensée comme avec la ligne de conduite et d'action que je me suis fixée comme président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire".

Il ajoute : "Je regrette profondément ce qui a été ressenti comme une blessure par les magistrats dont je mesure, chaque jour, le courage et le dévouement dans la mission difficile qui est la leur". Une journaliste de France Inter a tweeté la teneur de la lettre :

Les magistrats ont annoncé dans la foulée qu'ils prennaient acte d'un "début d'explication".

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