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Soupçons d'emplois fictifs, détournement de fonds, prêt avantageux non déclaré… Ce que la justice reproche à François et Penelope Fillon

Trois ans après les révélations qui ont fait capoter la campagne présidentielle du candidat LR, le procès de François et Penelope Fillon débute lundi devant le tribunal correctionnel de Paris.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
L'ancien Premier ministre François Fillon et son épouse Penelope, en arrière-plan, le 15 décembre 2019, à Sablé-sur-Sarthe. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Penelope Fillon a-t-elle vraiment été l'assistante parlementaire de son mari François Fillon, lorsqu'il était député, ou bien était-ce un emploi fictif ? La question est au cœur du procès qui débute lundi 24 février, trois ans après l'incroyable chute du candidat de la droite, dans la foulée des révélations publiées dans Le Canard enchaîné. L'ancien Premier ministre est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, principalement pour détournement de fonds publics, comme Marc Joulaud, son ancien suppléant à l'Assemblée nationale. Penelope Fillon est jugée pour complicité et recel de détournement de fonds publics. Le couple est aussi renvoyé pour complicité et recel d'abus de biens sociaux. Tous les trois encourent jusqu'à dix ans d'emprisonnement, 150 000 euros d'amende et des peines d'inéligibilité. Franceinfo revient sur ce que la justice leur reproche.

Un "rôle accessoire" d'assistante parlementaire

"Penelope a été ma première et plus importante collaboratrice", affirme François Fillon. De 1981, année de sa première élection en tant que député dans la Sarthe, à 2013, Penelope Fillon relisait les discours, se rendait aux kermesses, recevait des électeurs et triait le courrier, à leur domicile sarthois, un manoir situé à Solesmes. "Elle était le lien avec les électeurs de la circonscription", déclare à franceinfo son avocat. Pierre Cornut-Gentille regrette la méconnaissance des magistrats à propos de "la nature particulière de l'emploi d'assistant parlementaire".

Les juges d'instruction ne l'entendent pas de cette oreille. Après deux ans d'investigations, ils ont la conviction que cet emploi était "fictif" et que "tous ses faits et gestes" relèvent de "l'activité quotidienne d'une épouse et mère de famille". Ils rappellent que François Fillon a toujours été assisté d'une multitude de collaborateurs, renvoyant son épouse à un "rôle accessoire". Jardinier, journalistes locaux, anciens collaborateurs, préfets en poste à l'époque… Ceux qui l'ont côtoyée ne disent pas autre chose. "Les différents témoignages cités ne démontrent pas la réalité du travail d'assistant parlementaire pour lequel Penelope Fillon a été rémunérée pendant des années", pointent les juges d'instruction.

Penelope Fillon le dit elle-même, dans une interview au Sunday Telegraph, en 2007, exhumée quand le scandale éclate : "Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre-là." Les juges d'instruction y voient la "confirmation" de leurs soupçons.

"Quand on connaît sa réserve naturelle, le souci qu'elle a toujours eu de ne pas laisser croire qu'elle jouait un rôle 'politique', au sens partisan du terme, auprès de son mari, on mesure (...) que cette interview ne constitue évidemment pas un indice sérieux permettant d'affirmer que ses emplois d'assistante parlementaire étaient fictifs", rétorque la défense de Penelope Fillon.

Elle ne disait pas qu'elle était assistante parlementaire parce qu'elle n'en avait pas l'obligation. Cela aurait été ridicule de le dire, ça n'aurait rien apporté. Quand elle allait dans une manifestation locale, elle était la femme de François Fillon.

Pierre Cornut-Gentille

à franceinfo

Les juges balaient ces arguments. "L'enquête a montré que [François et Penelope Fillon] avaient tous deux très largement amplifié la réalité, de manière à justifier les rémunérations versées", pointent-ils dans leur ordonnance de renvoi. La somme est coquette : les magistrats estiment que plus de 408 000 euros d'argent public ont été "détournés" entre 1998 et 2013. Ils ont décidé de remonter une vingtaine d'années en arrière, pas au-delà.

En somme, ils considèrent que les prestations de Penelope Fillon étaient "fictives ou surévaluées". "Ils disent qu'elle était trop bien payée pour ce qu'elle faisait ! Ils n'en ont pas le droit, en vertu de la séparation des pouvoirs. C'est l'immixtion du pouvoir judiciaire dans le pouvoir législatif", s'insurge Pierre Cornut-Gentille. Invité de "Vous avez la parole" sur France 2, le 30 janvier, François Fillon a dénoncé "une procédure à charge", tout en reconnaissant "qu'il devait des explications" aux Français. "Il a une forme d'impatience de pouvoir s'exprimer publiquement", a assuré à l'AFP son défenseur, Antonin Lévy. Contacté par franceinfo, l'avocat a refusé tout autre commentaire avant le procès.

Auprès de Marc Joulaud, "moins de consistance encore"

Entre 2002 et 2007, quand François Fillon est ministre des Affaires sociales, il laisse son siège de député à Marc Joulaud. Penelope Fillon garde alors son étiquette de collaboratrice parlementaire, mais pour les juges, son travail auprès du suppléant a "moins de consistance encore" qu'auprès de son époux. Elle "n'alimentait pas Marc Joulaud en notes, fiches ou revues de presse, ne corrigeait pas ses discours, ne recevait personne à son domicile à sa demande", soulignent-ils.

Que faisait-elle ? Penelope Fillon a expliqué aux enquêteurs que son objectif était d'apporter du poids dans l'exercice du mandat de Marc Joulaud, 34 ans, un "garçon timide". Elle devait l'aider "à s'imposer au niveau local, tout en permettant à François Fillon de garder le contact avec ses électeurs sarthois". Ainsi, elle continuait à travailler "par ricochet" pour son mari. Comme avec son époux, les échanges avec Marc Joulaud se déroulaient "uniquement à l'oral". Selon les dires de l'ancien suppléant, aujourd'hui candidat à la mairie de Sablé-sur-Sarthe, il ne se passait pas trois semaines sans qu'ils se voient, souvent de façon "fortuite". "Une fréquence de rencontre assez faible", pour les magistrats.

"Dans ces conditions, il apparaît clairement que l'emploi de Penelope Fillon n'était rien d'autre que la contrepartie à la place de suppléant offerte par François Fillon à son ancien collaborateur et un biais pour François et Penelope Fillon d'augmenter leurs revenus", assènent les juges dans leur ordonnance. Le salaire de Penelope Fillon était d'ailleurs "supérieur à celui de son député employeur". L'argent "détourné" est chiffré à 645 600 euros. Ainsi, au total, sur la période 1998-2013, plus d'un million d'euros d'argent public ont été "détournés" avec les emplois d'assistante parlementaire de Penelope Fillon, calculent les magistrats.

De sérieux doutes sur l'emploi de leurs aînés

François Fillon est aussi soupçonné d'avoir "accaparé" les fonds disponibles de son "crédit collaborateur" en employant successivement, de 2005 à 2007, ses deux aînés Marie et Charles comme assistants parlementaires, alors qu'il était sénateur de la Sarthe. "Les contrats étaient à temps complet et pour des salaires très confortables, mais on peut sérieusement douter que ces emplois aient réellement occupé les deux enfants de François Fillon trente-cinq heures par semaine", soulignent les juges d'instruction. Marie Fillon cumulait cet emploi avec un stage à plein temps dans un cabinet d'avocats et son frère Charles rédigeait un mémoire de DEA.

Les salaires perçus, évalués à 117 400 euros, étaient recueillis sur le compte joint de Penelope et François Fillon, d'après les enquêteurs. C'est pourquoi l'ancien sénateur est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour détournement de fonds publics et son épouse pour recel du produit de ce délit, tandis qu'aucun des deux enfants n'est poursuivi. "Ils n'ont vraisemblablement pas eu pleinement conscience qu'ils bénéficiaient en réalité d'un emploi de complaisance", estiment les magistrats.

Un poste de "complaisance" à la "Revue des deux mondes"

"Pauline Camille" : c'est sous ce pseudonyme que Penelope Fillon signait ses critiques dans la Revue des deux mondes, magazine littéraire détenu par Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac et surtout ami de longue date de François Fillon. En mai 2012, l'ancien Premier ministre lui souffle le nom de sa femme "qui craint de s'ennuyer après leur départ de Matignon". Penelope Fillon est immédiatement recrutée en tant que conseillère littéraire, chargée d'une réflexion sur la relance du titre. Créé en 1829, il périclite. Elle se propose aussi de rédiger des notes de lecture.

Penelope Fillon a rapidement "l'intuition" que son travail n'est "pas souhaité" et, "déçue d'être sous-employée", finit par démissionner en décembre 2013. "J'ai estimé que c'était mieux pour tout le monde d'arrêter", explique-t-elle aux enquêteurs. "C'est un vrai emploi. Les missions confiées ont été exécutées. Deux fiches de lecture ont été publiées, mais elle en a écrit une dizaine. Elle demandait du travail, elle n'avait pas la volonté de profiter", explique son avocat.

Pour les magistrats instructeurs, "on peut sérieusement douter de la réalité même de cette mission, qui a peut-être été purement et simplement inventée".

L'emploi de conseiller littéraire octroyé par Marc de Lacharrière à Penelope Fillon était de pure complaisance, sans contrepartie réelle et destiné à lui fournir une rémunération.

Les juges d'instruction

dans leur ordonnance

Le montant des abus sociaux liés à cet emploi est évalué à 135 000 euros par Marc Ladreit de Lacharrière lui-même. Le milliardaire "a fini par admettre que Penelope Fillon n'avait en réalité rien produit". Après sa comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité dans cette affaire, il a été condamné en décembre 2018 à huit mois de prison avec sursis et 375 000 euros d'amende pour abus de biens sociaux.

Un prêt avantageux passé sous silence

Marc Ladreit de Lacharrière est un ami généreux. En mai 2012, il a prêté 50 000 euros à François Fillon pour financer les travaux de rénovation de sa maison. Celui-ci a toutefois omis de déclarer le prêt à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Aux enquêteurs, il déclare ignorer qu'il fallait déclarer les prêts entre particuliers. Il avait d'ailleurs déclaré à la HATVP un prêt bancaire d'un même montant et ayant la même finalité, souscrit en 2014. Le prêt accordé par Marc Ladreit de Lacharrière a finalement été remboursé dès le déclenchement du "Penelopegate".

Malgré tout, François Fillon sera jugé pour "manquement aux obligations de déclarations à la HATVP par un parlementaire", car l'omission de ce prêt, "qui ne relevait pas d'un simple oubli ou d'une négligence, peut être qualifiée de substantielle", selon les magistrats.

En revanche, les éléments recueillis sur sa société 2F sont "trop ténus pour justifier des poursuites". De même, François Fillon n'est pas renvoyé pour avoir reçu les luxueux costumes offerts par l'avocat Robert Bourgi. C'est pourtant la seule "erreur" qu'il a reconnue sur France 2, le 30 janvier dernier.

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