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"Rien n'aurait pu justifier la rémunération perçue" : pourquoi le tribunal a lourdement condamné François Fillon pour les emplois fictifs de sa femme

Le tribunal correctionnel de Paris a jugé fictifs les emplois de Penelope Fillon comme assistante parlementaire de son époux et du suppléant de celui-ci, Marc Joulaud. Le verdict est le même pour la plupart des emplois d'assistants des enfants Fillon auprès de leur père sénateur.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Penelope et François Fillon quittent le tribunal de grande instance de Paris, le 29 juin 2020. (THOMAS SAMSON / AFP)

"Le tribunal [va] prononcer une sanction sévère." D'une voix douce mais ferme, la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, prévient François Fillon, son épouse et son ancien suppléant à l'Assemblée, Marc Joulaud, les yeux dans les yeux. Ce lundi 29 juin, elle vient de les déclarer coupables de détournement de fonds publics ou de complicité de ce délit. Elle a fait venir le trio à la barre. Nathalie Gavarino annonce les peines, assorties d'amendes et d'inéligibilité, quelques minutes plus tard : l'ancien Premier ministre est condamné à cinq ans de prison, dont deux ferme, Penelope Fillon et Marc Joulaud à trois ans de prison avec sursis.

Les trois prévenus accusent le coup. Ils retournent s'asseoir sans trahir aucune émotion. A la sortie de l'audience, ils filent sans un mot, le visage dissimulé derrière un masque sanitaire. Leurs avocats prennent la parole en leur nom. "Cette décision, qui n'est pas juste, va être frappée d'appel. Il y aura donc un nouveau procès", annonce sans ambages Antonin Lévy, l'avocat de François Fillon. Avec ses confrères de la défense, il avait demandé la semaine passée à la présidente du tribunal de rouvrir les débats, en écho aux récentes déclarations de l'ancienne cheffe du Parquet national financier (PNF), Eliane Houlette, qui a fait état de pressions procédurales de sa hiérarchie pendant l'enquête sur cette très médiatique affaire d'emplois fictifs. Mais le tribunal a opposé lundi une fin de non-recevoir tacite et expéditive "Le tribunal a été destinataire de deux lettres émanant de la défense. Le tribunal va rendre son jugement."

"Elle n'a jamais effectué de réelle prestation de travail"

Les emplois d'assistante parlementaire occupés par Penelope Fillon auprès de son mari, entre 1998 et 2013, étaient-ils fictifs ? La réponse du tribunal correctionnel est cinglante. "La contribution de Mme Fillon ne dépassait pas la transmission physique du courrier, la présence à quelques manifestations locales, estiment les magistrats. Elle a pu effectivement recueillir des doléances, mais son rôle se bornait à la simple transmission." Pour le tribunal, il s'agissait "d'un soutien qu'elle avait décidé d'apporter à la carrière de son époux, député". "Elle n'a jamais effectué de réelle prestation de travail", pointe le tribunal.

Les recrutements de Mme Fillon en tant qu'assistante parlementaire, en 1998, 2002 et 2012 n'obéissent à aucune logique en termes de montants de rémunération, et ne correspondent pas à un besoin au regard des tâches remplies par d'autres collaborateurs.

Le tribunal

"Rien n'aurait pu justifier la rémunération perçue", assène la présidente du tribunal avec un débit rapide. Elle considère que la rémunération de Penelope Fillon "absorbait le maximum possible de l'enveloppe parlementaire, et était sans proportion avec ses activités". Nathalie Gavarino parle des sommes perçues comme d'un "complément de rémunération" pour l'ancien député de la Sarthe et de Paris.

Le constat est le même pour l'emploi d'assistante parlementaire de Penelope Fillon occupé entre 2007 et 2012 auprès du suppléant de son mari, lorsque François Fillon était à Matignon. "Les explications données au recrutement de Mme Fillon auprès de Marc Joulaud ne résistent pas à l'analyse, au regard de l'absence de besoin de cet emploi et de l'existence d'une cellule locale au ministère traitant des dossiers sarthois", indique le tribunal.

"Un complément de revenus au couple"

Le couple Fillon est aussi déclaré coupable pour les emplois d'assistants parlementaires de leurs enfants Marie et Charles, pour les années 2006 et 2007, mais relaxé pour 2005. Le tribunal considère que François Fillon "les a sciemment employés (...) en les sachant occupés par leurs formations et dans l'incapacité de travailler à plein temps pour lui", et avec "un mécanisme similaire" à celui mis en place pour sa femme, "afin d'en tirer un bénéfice personnel".

Les faits jugés portaient également sur les lucratives activités de conseillère littéraire de Penelope Fillon à la Revue des deux mondes, une publication que possède le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, proche du candidat déchu à la présidentielle 2017. Dans ce volet de l'affaire, le couple est déclaré coupable de complicité et recel d'abus de bien social. "Mme Fillon n'avait aucun moyen matériel pour mener à bien son contrat", souligne la présidente du tribunal. Cette dernière juge que "rien ne vient démontrer l'apport de Mme Fillon à la Revue des deux mondes". Cet emploi n'était, selon elle, qu'"une embauche de complaisance, destinée à apporter un complément de revenus au couple au sortir de Matignon".

François Fillon n'a pas procédé à la moindre remise en question de son comportement.

Le tribunal

L'ancien Premier ministre a fait "prévaloir son intérêt personnel sur l'intérêt commun" dans un but d'"enrichissement personnel", insistent encore les magistrats, qui pointent les "manquements" de l'ancien Premier ministre et ancien parlementaire à ses devoirs de "probité" et d'"exemplarité". Ainsi, "il a contribué à éroder la confiance que les citoyens placent dans ceux qu'ils élisent pour agir en leur nom, qui les représentent, et dans ceux qui les gouvernent", explique la présidente du tribunal.

Libre en attendant le procès en appel

Au total, les fonds publics issus de l'Assemblée et du Sénat détournés au titre des contrats de Penelope Fillon et des enfants du couple s'élèvent, selon le tribunal, à 1 155 701 euros. Seule l'Assemblée nationale s'est constituée partie civile. Les prévenus sont condamnés à lui verser plus d'un million d'euros de dommages et intérêts, en remboursement des sommes perçues. "Cette condamnation est l'affirmation que les services de l'Assemblée n'ont commis aucune faute de nature à réduire à néant les sommes allouées à l'institution", s'est réjoui, après le rendu du jugement, Yves Claisse, l'avocat qui représente le Palais-Bourbon.

Mais François Fillon ne doit pas rendre l'argent immédiatement : l'éventuel versement des sommes dépendra de l'issue du procès en appel (qui est suspensif), tout comme l'application des trois condamnations. D'ici là, et parce que les magistrats n'ont pas prononcé de mandat de dépôt, François Fillon, retraité de la politique et reconverti dans la finance, restera libre.

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