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"Poil à gratter", "chieur sympathique"... Qui est Bruno Roger-Petit, le journaliste devenu porte-parole de l'Elysée ?

Cet ancien présentateur de France 2 et éditoraliste pour "Challenges" a intégré l'équipe d'Emmanuel Macron en août 2017, avant d'être mis sur la touche un an plus tard. La tâche s'est avérée compliquée pour un personnage haut en couleurs, qui suscite tant l'admiration que le rejet de la part de ses ex-collègues. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le journaliste Bruno Roger-Petit sur le plateau de France 5, le 7 novembre 2016. (IBO/SIPA)

"Ah, non, non !" Ce refus net et tranchant est exprimé par plusieurs journalistes. Non, ils ne veulent pas disserter à visage découvert sur le cas de Bruno Roger-Petit, "BRP", comme le surnomment les connaisseurs. Le journaliste de 54 ans, ancien de France 2, éditoraliste sur le site de Challenges, et habitué des plateaux télé, a été nommé, mardi 29 juillet 2017, porte-parole de l'Elysée. "Il aura pour mission de relayer la parole publique de l’Elysée, et utilisera pour ce faire tous les moyens à sa disposition, notamment le compte Twitter de la présidence", détaille alors le communiqué du "Château". Plus d'un an plus tard, le 5 septembre 2018, il quitte ses fonctions, selon France 2, confirmant une information de Challenges.

En juillet 2017, juste après sa nomination, les réactions pleuvent immédiatement. Certains croient à une blague, d'autres ironisent sur une situation de fait qui est seulement officialisée ou critiquent tout simplement cette nomination. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que la personnalité de Bruno Roger-Petit est controversée. "Un drôle de personnage", résume pour franceinfo une journaliste de France Télévisions qui l'a eu comme professeur dans les années 1990. Admiré des uns, honni des autres, difficile de croire qu'il va devoir abandonner le "je" pour le "il" et surtout pacifier ses relations avec ses ex-confrères.

"C'était un chieur sympathique mais nécessaire"

Avant d'être éditorialiste et chroniqueur tirant à boulets rouges sur tout ce qui bouge, Bruno Roger-Petit a eu une carrière de journaliste durant laquelle il aimait déjà se faire remarquer. Arrivé à Antenne 2 en 1988 comme grand reporter politique, il sera aussi présentateur des journaux de "Télématin" et du journal de la nuit. Le 19 octobre 1997, il termine ainsi son JT en jetant ses fiches par terre. 

Visiblement, son passage à France Télévisions qu'il rejoindra de nouveau en 2005 a laissé un souvenir très mitigé, à l'image du personnage. "C'est un type qui a un ego surdimensionné, c'est un cynique, qui n'est pas très confraternel", explique un ancien collègue. 

Il a beaucoup de problèmes avec beaucoup de gens. Ce n'est pas le garçon le mieux aimé de la profession.

Une journaliste

à franceinfo

Directeur de l'information de France 2 à cette époque, Jean-Luc Mano se révèle beaucoup plus laudatif. "C'est un journaliste rigoureux, talentueux et honnête, confie-t-il à franceinfo. Il était motivé, cultivé, intelligent et travailleur." Celui qui est devenu conseiller en communication se souvient encore d'un homme "exigeant par rapport aux autres mais aussi à lui", d'un "chieur sympathique mais nécessaire". Et "BRP" va payer cash son côté "emmerdeur". En 1998, il est débarqué de France 2 pour avoir dénoncé la ligne éditoriale de la chaîne dans le magazine Technikart

Un chroniqueur très lu sur internet

Bruno Roger-Petit se lance ensuite dans une carrière tous azimuts. En 2005, il participe à l'émission "Tout vu tout lu", animée par Marie-Ange Nardi, sur France 2. Le journaliste politique, féru de sport, devient aussi en 2014 chroniqueur de Cyril Hanouna, dans l'émission "Touche pas à mon poste" où il ne reste que quelques mois. Mais, c'est surtout sur le web que sa notoriété explose. "Ses chroniques avaient un énorme succès, c'était le chroniqueur qui faisait le plus d'audience", raconte à franceinfo Aude Baron, ancienne rédactrice en chef du Plus, l'espace numérique participatif de L'Obs, qui le connaît depuis dix ans. "Son rôle, c'était d'être le poil à gratter avec une chronique quotidienne et les objectifs étaient parfaitement remplis. Editorialement, il est très efficace, il a une très bonne intuition pour sentir les sujets, avec une très forte culture politique", décrit-elle. 

De tous les chroniqueurs, c'était le plus facile à gérer. Il joue un personnage un peu hautain, je l'appelais la Ferrari de l'écurie pour le faire mousser.

Aude Baron

à franceinfo

Tous les journalistes qui ont eu à travailler avec Bruno Roger-Petit sur le web n'en gardent pas le même souvenir. "Quand il envoyait sa contribution, il exigeait qu'elle soit rapidement traitée, sans y mettre les formes. Il avait tendance à prendre les gens pour ses larbins", raconte l'un d'eux. Celui-ci confirme que "ses articles marchaient du feu de Dieu mais ils suscitaient autant de commentaires négatifs que positifs". Sur son compte Twitter (qu'il a supprimé depuis sa nomination à l'Elysée), "BRP" se lâche aussi et n'hésite pas à insulter les internautes. 

Le journaliste aime aussi avoir raison, à tout prix. Quitte à supprimer des tweets. En juin 2016, raconte le site Acrimed, il ironise sur un article du Monde après la victoire de la France contre l'Albanie lors de l'Euro de football, parlant d'un "scénario logique pour qui sait lire un match". Problème : ce dernier avait pris le soin de supprimer l'un de ses tweets qui, durant le match, prédisait "un but albanais à la 80e".

En contact avec les Macron sur Telegram

Si ses tweets font polémiques, ses chroniques aussi. Certains anciens collaborateurs du Post se souviennent que ce dernier se fendait régulièrement de chroniques assez favorables à Dominique Strauss-Kahn, avant que ce dernier ne fasse scandale en 2011 avec l'affaire du Carlton. Mais l'homme va plus loin et se met à côtoyer régulièrement des politiques. "Il avait pas mal de contacts avec Valls, il avait aussi des rendez-vous du soir avec Hollande", nous explique une source qui préfère rester anonyme. Contacté par franceinfo, Gaspard Gantzer, ex-conseiller en communication de François Hollande, confirme l'information.

A mon initiative, il est venu voir le président deux ou trois fois. Dans mon souvenir, nous avions surtout parlé de la situation politique et des mutations médiatiques en cours à l'ère du numérique.

Gaspard Gantzer

à franceinfo

Mais c'est donc avec Emmanuel Macron que le journaliste va définitivement franchir le Rubicon. Comment se sont-ils rencontrés ? Quelle est la nature exacte de leurs relations ? Selon Libération, Bruno Roger-Petit "communiquait avec le couple Macron via un groupe privé sur la messagerie sécurisée Telegram" et se serait rapproché d'eux "après la publication, en octobre dans Challenges, d'une interview fleuve de celui qui n'était pas encore candidat mais affichait déjà la couleur"

Une chose est certaine : les chroniques appuyées de "BRP" en faveur de l'ancien ministre de l'Economie ne passent pas inaperçues. A tel point que la Société des journalistes de Challenges est obligée de se fendre d'un communiqué pour dénoncer la fréquence trop élevée de ses éditos pro-Macron.

"Il rêvait d'être conseiller"

Sa plume et son enthousiasme ont donc tapé dans l'œil d'Emmanuel Macron qui en a fait son porte-parole, fonction inoccupée depuis David Martinon sous Nicolas Sarkozy. Sur Twitter, de malicieux internautes ont alors ressorti les archives, comme celle où on le voit critiquer les journalistes "conseillers du prince". 

Lui, en tout cas, "rêvait d'être conseiller", fait remarquer un connaisseur. Sa personnalité et ses coups de sang seraient-ils compatibles avec une fonction qui exige une réserve et un sang-froid à toute épreuve ? "Il va apprendre, c'est quelqu'un de très intelligent qui a une très forte capacité d'adaptation", voulait croire Aude Baron, juste après sa nomination à l'Elysée. "C'est un attaquant de pointe au foot, il va falloir qu'il apprenne le rôle de défenseur. C'est un autre exercice", pointait Jean-Luc Mano, avant d'ajouter : "Il n'est pas compliqué d'être en marche, il lui sera plus difficile d'être en ordre." Selon BFMTV, certains conseillers de l'Elysée ont tout de même pris le soin de préciser que son contrat était "révocable à tout instant". Un an après son entrée au palais présidentiel, plusieurs accrocs, notamment sa gestion de l'affaire Benalla, cette clause a été activée par la présidence.

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