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Comment la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a fini par exploser autour de l'affaire Benalla

La présidente de la commission et ses membres issus de la majorité ont jugé "inutile" d'auditionner d'autres responsables élyséens, provoquant l'ire de l'opposition.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Yaël Braun-Pivet et Guillaume Larrivé, au centre et au dernier plan, le 24 juillet 2018 à la commission des lois de l'Assemblée nationale. (ROMUALD MEIGNEUX / SIPA)

Éclats de voix, portes qui claquent... Depuis la mise en place de commissions d'enquête parlementaire à l'Assemblée nationale et au Sénat pour faire la lumière sur l'affaire Benalla, les députés de la majorité et de l'opposition ne cessent de s'écharper au sujet de l'organisation des auditions et des débats.

Le dernier épisode en date a eu lieu jeudi 26 juillet, lorsque la quasi-totalité des membres de l'opposition a décidé d'en claquer la porte, déplorant que la majorité refuse d'entendre des responsables de l'Élysée et du ministère de l'Intérieur. Comment le climat de cette commission s'est-il à ce point dégradé depuis sa mise en place ? Réponse en quatre temps.

1Première crise autour de la diffusion ou non des auditions

Les premiers accrochages ont eu lieu vendredi 20 juillet au soir, lorsque le bureau de la commission des lois, dotée de pouvoirs d'enquête pour l'affaire Benalla, s'est réuni pour plancher sur la liste des personnalités à entendre et sur les modalités de ces auditions. Les échanges ont été vifs : l'opposition réclamait que le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb soit entendu dès le lendemain et que toutes les auditions soient retransmises au public, ce que ne souhaitait pas au départ la majorité LREM.

Après avoir acté le désaccord des membres du bureau, la présidente, Yaël Braun-Pivet (LREM), a décidé de convoquer tous les députés de la commission le lendemain matin. Et en a profité pour tacler l'opposition, qui refusait de continuer l'examen de la réforme de la Constitution tant que les personnalités liées à l'affaire Benalla ne s'étaient pas exprimées.

Une fois un accord sur une publicité par défaut des débats trouvé, les membres de la commission d'enquête ont finalement commencé leurs auditions lundi matin, avec le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.

2L'opposition s'offusque de l'influence supposée d'Emmanuel Macron

Le deuxième échange particulièrement tendu eu lieu mardi, lors de l'audition du directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda. Interrogé sur les avantages dont bénéficiait Alexandre Benalla, l'ancien préfet a refusé de répondre, évoquant un "mandat" confié par Emmanuel Macron.

"Ces informations sont connues de la Cour des comptes qui nous contrôle chaque année et elles sont connues de la mission parlementaire de la commission des finances. Donc ces informations sont à votre disposition. Mais je ne souhaite pas, dans le mandat que m'a confié le président de la République pour venir répondre à vos questions, répondre ici", a ainsi déclaré Patrick Strzoda, déclenchant les protestations de l'opposition.

Patrick Strzoda dément les avantages auxquels aurait droit Alexandre Benalla
Patrick Strzoda dément les avantages auxquels aurait droit Alexandre Benalla Patrick Strzoda dément les avantages auxquels aurait droit Alexandre Benalla

"Ce qui s'est passé devant cette commission pour cette commission est extrêmement grave : il nous a dit que le président de la République quelque part lui avait interdit de dire la vérité", s'est insurgé sur LCI le député Les Républicains (LR) Eric Ciotti. Patrick Strzoda a indiqué "qu'il dirait la vérité que lui autorise à dire M. Macron. C'est incroyable. Rien dans la Constitution ne l'autorise à faire cela", a de son côté appuyé le député La France insoumise Eric Coquerel.

3Nouvelles tensions à propos de la liste des personnalités à entendre

Nouvel esclandre le lendemain. À la suite d'un vote lors d'une séance houleuse, la majorité de la commission des lois a suivi sa présidente, Yaël Braun-Pivet, pour convoquer une nouvelle audition du directeur de l'ordre public de la préfecture de police de Paris, Alain Gibelin, et du préfet de police de Paris, Michel Delpuech, et ajouter le responsable de la compagnie de CRS qui était place de la Contrescarpe le 1er mai.

Pour le co-rapporteur de la commission, le républicain Guillaume Larrivé, par cette "liste minuscule" d'auditionnés, Yaël Braun-Pivet a tenté "d'entraver nos travaux". Lui, comme les autres groupes d'opposition, demandait l'audition de "toute la chaîne hiérarchique" de l'Élysée, jusqu'au secrétaire général Alexis Kohler, du ministère de l'Intérieur, de responsables de LREM, voire des syndicats policiers, dont certains ont été entendus au Sénat.

Fait rare, les différents députés de l'opposition, de Danièle Obono (La France insoumise) à Marine Le Pen (Rassemblement national) ont pris la parole à l'issue du vote pour dénoncer de concert un "verrouillage" de la commission d'enquête de la part de La République en marche. Et ont dénoncé une nouvelle fois les choix de Yaël Braun-Pivet.

4Le co-rapporteur claque la porte, l'opposition le suit

La commission explose finalement jeudi, à la veille de sa dernière audition prévue. A l'issue du deuxième passage du préfet de police de Paris, Michel Delpuech, le corapporteur Guillaume Larrivé (LR) s'est dit "contraint de suspendre sa participation à ce qui n'est devenu hélas qu'une parodie".

"Je pose la question : est-ce que l'Élysée souhaite torpiller les travaux de notre commission ?", a poursuivi le député qui "pense qu'instruction a été donnée aux députés du groupe En Marche pour bâcler la préparation d'un vrai faux rapport".

Prenant la parole dans la foulée, Yaël Braun-Pivet, s'est dite "choquée" par les propos du député. "Nous ne sommes aux ordres de personne", a-t-elle répondu, rappelant que la commission n'aurait pu se créer sans l'accord de la majorité et dénonçant l'attitude de ceux qui voulaient faire de cette commission "une tribune".

La quasi-totalité de l'opposition a suivi cette démarche. Les Insoumis ont annoncé également la suspension de leur participation, dénonçant "un sabotage", tout comme les communistes parlant de "mascarade" et les socialistes. Pour Marine Le Pen, "en empêchant la commission d'enquête de faire émerger la vérité, LREM se déshonore. Nous ne participerons plus à cette manoeuvre indigne".

"La commission d'enquête est morte, victime des excès de certains opposants et de la servilité et de la partialité de sa présidente", a dénoncé de son côté le coprésident du groupe UDI-Agir Jean-Christophe Lagarde.

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