"Il crée des tensions dans la majorité" : Bruno Le Maire, l'indéboulonnable ministre de l'Economie, contesté jusque dans son propre camp

Les agences de notation Fitch et Moody's, qui doivent actualiser la note de la France, pourraient fragiliser un peu plus l'ancien LR, en première ligne face à la dégradation des finances publiques. Il irrite déjà une partie de la majorité par son discours pessimiste et ses initiatives solitaires.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
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Une partie de la majorité reproche à Bruno Le Maire, aux commandes de Bercy depuis sept ans, la dégradation des indicateurs économiques, mais aussi son insistance à prôner la rigueur. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

La Saint-Bruno, célébrée d'ordinaire le 6 octobre, aurait-elle été avancée de plusieurs mois cette année ? "Vendredi, c'est jour de fête pour Bruno Le Maire", s'amuse un des collègues du ministre de l'Economie et des Finances, qui le décrit comme "un peu tendu" et "isolé". Vendredi 26 avril, les agences de notation Fitch et Moody's doivent en effet dévoiler leurs avis annuels sur la note de la dette de la France.

Si la majorité s'attèle à minimiser les conséquences d'une éventuelle dégradation, cette éventualité pourrait mettre dans l'embarras le locataire de Bercy. "Si on baisse, ça devient un problème politique", redoute une autre membre du gouvernement. "Les conséquences seraient symboliques pour le chef de l'Etat, mais aussi son ministre, acquiesce le politologue Bruno Cautrès. L'image publique de Bruno Le Maire s'est construite sur la figure du sérieux budgétaire."

"Il met le pays dans une ambiance hyper négative"

Celle-ci est déjà ternie par un début d'année très délicat sur le plan des finances publiques. "La séquence a été catastrophique pour lui", lâche un conseiller ministériel. Fin mars, l'Insee a réévalué le déficit public à 5,5% du PIB pour 2023, au lieu des 4,9% initialement prévus. Mi-février, Bruno Le Maire avait abaissé de 1,4% à 1% la prévision de croissance pour 2024, et annoncé un plan d'économies "immédiat" de 10 milliards d'euros.

Par la même occasion, le numéro deux du gouvernement a agacé une bonne partie des députés Renaissance, prévenus lors d'une conférence audio, moins d'une heure avant son passage au "20 heures" de TF1, à laquelle ils n'avaient été conviés que le matin-même. "C'était un discours descendant, sans questions...", souffle une députée Renaissance.

"On est capables d'assumer de mauvaises nouvelles, encore faut-il qu'on soit informés."

Une députée Renaissance

à franceinfo

La garde rapprochée de Bruno Le Maire défend la nécessité de communiquer rapidement sur cette décision prise "en parfaite coordination" avec l'exécutif. "Il n'y a pas de bonnes façons d'annoncer ça, explique l'un de ses conseillers. Si on les avait vus dans une salle, ça n'aurait pas forcément été moins brutal." Mais le format choisi n'est pas passé, pas plus que le discours très alarmiste tenu par la suite dans les médias. Le ministre de l'Economie "a orchestré et mis en avant notre propre échec, et nos difficultés sur le sujet des finances publiques, déplore un député Renaissance. Il a ultra-dramatisé la situation."

La publication, mi-mars, d'un nouveau livre de Bruno Le Maire, le sixième depuis qu'il est en poste, a un peu plus hérissé une partie de la macronie. Dans La Voie française, l'ancien cadre des Républicains dit notamment sa préférence pour "l'Etat protecteur" plutôt que "l'Etat providence". "Il sort son bouquin, fait des leçons de morale à tout le monde et met le pays dans une ambiance hyper négative", peste un conseiller ministériel. "Il inquiète dans la population alors qu'on devrait rassurer", acquiesce un député. Ses interrogations sur la prise en charge des affections de longue durée (ALD), début mars dans Le Monde, ont aussi déclenché la colère de certains membres de la majorité. Quelques semaines plus tard, dans Ouest-France, le ministre a finalement exclu de "toucher aux ALD".

"Bruno Le Maire a perdu cet arbitrage"

Au sein de l'exécutif, certains l'accusent désormais de "brouiller tous les messages du gouvernement" en communiquant abondamment sur les difficultés budgétaires de la France. "Lorsque Gabriel Attal fait des annonces sur l'assurance-chômage, il est percuté par Bruno Le Maire sur les économies", regrette le conseiller ministériel.

"Le Premier ministre ne s'exprime quasiment plus sur l'assurance-chômage, parce que le sujet a été pourri par Bruno Le Maire."

Un conseiller ministériel

à franceinfo

Au début du printemps, Bruno Le Maire a tenté, en coulisses, de pousser l'idée de présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR) à l'été, afin d'adapter les comptes publics à la conjoncture économique dégradée. Mais pour le faire adopter sans vote, dans une Assemblée nationale dépourvue de majorité absolue, un nouveau recours à l'article 49.3 serait indispensable. En réponse, les oppositions menaceraient de faire tomber le gouvernement, et Bruno Le Maire avec.

"Certains se sont demandés s'il ne cherchait pas à provoquer une motion de censure", raconte une cadre de Renaissance, ce que balaient les proches de "BLM" : "Il n'est pas dissimulateur. Tous ceux qui inventent le fait qu'il prépare sa sortie, c'est n'importe quoi." Début avril, Emmanuel Macron a en tout cas écarté l'hypothèse du PLFR. Entre les deux hommes, les relations sont "exécrables", selon un proche du chef de l'Etat. "Il n'a jamais été en conflit de loyauté vis-à-vis du Premier ministre et du président de la République", rétorque le député Louis Margueritte, proche de Bruno Le Maire.

Récemment, l'idée d'une taxation des superprofits pour renflouer les caisses de l'Etat a également fait son chemin dans la majorité, sous l'impulsion de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et du président du MoDem, François Bayrou. Début avril, Gabriel Attal a annoncé la mise en place d'une mission pour réfléchir à la "taxation des rentes". "Bruno Le Maire a perdu cet arbitrage", se félicite une parlementaire critique de ce dernier. "Le ministre est ouvert à l'augmentation de la taxation des rentes ou au rachat d'actions", assure pourtant l'un de ses proches, pour qui le sujet est distinct de celui des impôts, sur lesquels "on est tous clairs, on ne veut pas de hausses". La "task force" de Gabriel Attal n'est "pas un désaveu", veut croire ce soutien du ministre de l'Economie.

"Il se la joue lanceur d'alerte alors qu'il est ministre"

En parallèle de ces couacs entre Bruno Le Maire et le reste de l'exécutif, ses dissensions avec bon nombre de parlementaires ont atteint des sommets. "Ses sorties solitaires" agacent de plus en plus, dixit une députée du MoDem. "Il ne souhaite pas partager avec nous, alors cela génère de la frustration, de la colère et une forme de contestation dans le groupe", rapporte une influente députée Renaissance. Selon un autre député du parti présidentiel, le ministre "vient assez peu en réunion de groupe et dès qu'il est là, il crée des tensions avec la majorité. Il est à bout de souffle."

"A chaque fois, c'est tendu. Il nous oppose une fin de non-recevoir. La réponse, c'est toujours non."

Un député Renaissance

à franceinfo

L'entourage de l'intéressé conteste ces reproches, attribués à "quelques voix" critiques "sur 250 députés" de la majorité, et vante au contraire "le très bon accueil" réservé au ministre par les élus. "Bruno Le Maire a raison d'alerter sur nos finances publiques et, au-delà des moindres recettes prévues, sur notre besoin de dépenser moins. Sur ce point, il est largement soutenu par la majorité", assure également le député Renaissance Antoine Armand. Malgré tout, "être à la tête de Bercy en période où il faut faire des économies n'aide pas à être invité à des apéros", sourit une ministre.

Au sein de la majorité, ils sont plusieurs à ne pas comprendre la stratégie de Bruno Le Maire, qualifiée de "brouillonne" par un autre membre du gouvernement. "Il se la joue lanceur d'alerte sur les finances publiques alors qu'il est ministre de l'Economie. Il fait fuiter sa volonté de faire un PLFR, puis le président lui tape dessus et il revient à la niche", cingle un proche du chef de l'Etat.

"Sept ans à Bercy, ça fait long"

"Ses prises de parole, c'est un point de moins par semaine pour Valérie Hayer", la tête de liste de Renaissance pour les élections européennes, avance aussi un conseiller ministériel. Il n'est pas le seul à rendre Bruno Le Maire responsable des mauvais sondages de la candidate macroniste et de sa liste, distancée d'une bonne dizaine de points par celle du président du Rassemblement national, Jordan Bardella. "Une partie de la défaite aux européennes viendra" du ministre de l'Economie, pronostique ainsi un député Renaissance.

Les élections du 9 juin prochain "n'auront pas de conséquence" pour son avenir, coupe court son entourage. Le numéro deux du gouvernement n'aurait pas d'autre ambition que de poursuivre son travail à son poste. 

"Nous voulons rester le plus longtemps possible à Bercy. Le jour où il décidera de faire autre chose, on le dira."

L'entourage de Bruno Le Maire

à franceinfo

Mais le maintien du ministre, en poste depuis l'accession d'Emmanuel Macron à l'Elysée en 2017, questionne, pour ne pas dire plus, certains macronistes. "Sept ans à Bercy, ça fait long. Il y a une usure du pouvoir, un sentiment de surpuissance", s'inquiète une députée. La popularité dans l'opinion publique de Bruno Le Maire s'est dégradée de concert avec les indicateurs économiques. Dans le baromètre Elabe pour Les Echos, début avril, Bruno Le Maire a dégringolé de cinq points en un mois, ne conservant une image positive que pour 26% des sondés.

"S'il y en a un qui alerte depuis toujours sur la situation des finances publiques, c'est Bruno Le Maire. Il est un peu gros de lui faire porter le chapeau de la situation", contre-attaque l'un de ses fidèles. Malgré ses détracteurs dans la majorité, Bruno Le Maire conserve le soutien d'une grosse vingtaine de députés, dont des "lieutenants à la vie à la mort" parmi lesquels des anciens de son cabinet. Un noyau dur qui pourrait servir pour la suite ? L'hypothèse de sa candidature à la présidentielle de 2027 est régulièrement testée dans les sondages. "Il n'est pas question de structuration de réseau, il n'a jamais évoqué la moindre candidature", balaye son entourage.

Mais dans la majorité, certains assurent ne pas être dupes. "Il a la volonté d'imprimer sa marque et d'incarner sa propre ligne", décrypte une parlementaire. Encore faudra-t-il largement rassembler le camp présidentiel, ce qui n'est pas gagné. "Il n'a pas de pognon, pas de soutien, pas de mandat", raille un conseiller ministériel. "Il n'y a que lui qui peut s'imaginer être candidat en 2027", embraye un proche d'Edouard Philippe. Que fera Bruno Le Maire après Bercy ? Le mystère reste entier, et c'est bien ce qui agace un influent député : "Il est illisible."

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