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Soupçons de conflit d'intérêts visant Alexis Kohler : "À un moment, il faut se poser la question des collaborateurs de l'Élysée"

"On a vraiment l'impression que c'est un système, que l'on est face à une façon de fonctionner en petits groupes, en clans", affirme mercredi sur franceinfo Me Jean-Baptiste Soufron, avocat de l'association Anticor.

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Alexis Kohler aurait approuvé des contrats entre le port du Havre, où il siégeait au conseil de surveillance, et l'armateur MSC, une entreprise de sa famille. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Anticor a annoncé le dépôt d'une nouvelle plainte après les dernières révélations de Mediapart selon lesquelles Alexis Kohler, secrétaire général de l'Elysée, est soupçonné de conflit d'intérêts pour avoir approuvé en 2010 et 2011 des contrats entre l'armateur MSC, dirigé par des cousins de sa mère, et le port du Havre dont il était à l'époque membre du conseil de surveillance. L'avocat de l'association anticorruption, Me Jean-Baptiste Soufron, estime mercredi 8 août sur franceinfo que si les citoyens n'ont "pas de réponse claire, il faut bien que l'[on] aille en justice pour vérifier ce qu'il en est".

franceinfo : Pour quel motif portez-vous plainte, aujourd'hui ?

Me Jean-Baptiste Soufron : C'est une plainte complémentaire, puisqu'il y a une plainte qui a déjà été déposée pour les faits qui avaient déjà été révélés par Mediapart il y a un peu plus d'un mois, relatifs au conflit d'intérêts qui était celui de M. Kohler au sein des chantiers de Saint-Nazaire. Cette fois-ci, on apprend que la situation était la même au sein du port du Havre, mais qu'en plus, on a désormais des éléments qui laissent entendre qu'il a bien pris des décisions qui favorisaient l'entreprise de sa famille, la societé Mediterranean shipping company (MSC). En tout cas, c'est ce que laisse entendre Mediapart, qui publie des comptes-rendus et des décisions en ce sens.

On sait que, depuis 2010, il est en situation de conflit d'intérêts. La réponse a toujours été de dire qu'il s'était déporté, qu'il avait construit une muraille de Chine

Me Jean-Baptiste Soufron

à franceinfo

Tout ce qu'a toujours demandé Anticor, c'était d'être rassurée, parce que les médias posent des questions et n'obtiennent pas de réponse, ce qui force évidemment les associations comme Anticor à agir en disant : "Si l'on n'a pas de réponse claire, il faut bien que l'on aille en justice pour vérifier ce qu'il en est". On n'a toujours pas, aujourd'hui, d'élément probant en ce qui concerne la première affaire, et dans cette deuxième affaire, on apprend qu'on a des décisions et des votes qui ont eu lieu. Évidemment que ça pose question sur la première affaire, dont je vous rappelle que, pour l'instant, à part la parole de M. Kohler et de l'Élysée, nous n'avons rien.

À l'époque, il était accompagné du maire du Havre, un certain Édouard Philippe, aujourd'hui Premier ministre. Doit-il aussi s'expliquer, selon vous ?

C'est bien possible puisque, forcément, à ce stade, M. Philippe a participé à ces réunions. Et ce qui apparaît par ailleurs, et que rapporte Mediapart, c'est que M. Philippe s'est déporté, lui, quand il était en situation de conflit d'intérêts. Donc, à un moment, il va falloir comprendre pourquoi l'un s'est déporté et pas l'autre. De quelle situation de conflit d'intérêts s'agissait-il ? Il faut peut-être commencer à avoir des réponses à ces questions.

Donc, pour vous, concernant Alexis Kohler, le mensonge vient s'ajouter au conflit d'intérêts dans le volet MSC ?

On a l'impression qu'il y a un parallèle à faire avec l'affaire Benalla ou d'autres affaires qui, en ce moment, portent sur l'Élysée ou le gouvernement. C’est-à-dire que vous présentez les faits qui en eux-mêmes posent question. On vous oppose une fin de recevoir en vous disant qu'il n'y a pas de question, pas de problème, que tout cela est tout à fait normal. Le lendemain, vous apprenez un nouveau truc, le surlendemain, vous apprenez encore quelque chose. Et avec, à chaque fois, des versions contradictoires et des éléments supplémentaires.
Si M. Kohler avait déclaré il y a deux mois que, non seulement il était en conflit d'intérêts au sein des chantiers de Saint-Nazaire, mais qu'en plus il avait aussi un conflit d'intérêts au port du Havre, et qu'il avait réglé ces deux problèmes de façons différentes, à ce moment-là on ne serait pas là aujourd'hui en train d'en discuter. Pourquoi ne pas l'avoir révélé au moment où le scandale a éclaté il y a deux mois ? On est donc, effectivement, face à une situation, où, aujourd'hui, la seule chose que l'on puisse dire, c'est qu'on a le sentiment d'être face à un mensonge. 

Vous évoquez l'affaire Benalla. Est-ce que cela veut dire que, pour vous, l'Élysée entretient aussi, ici, cette opacité sciemment, pour ne pas faire la lumière sur ce genre d'affaires ?

Il y a un moment où il faut se poser la question des collaborateurs de l'Élysée. On a quand même le numéro deux de l'État, M. Kohler, qui était dans une première situation de conflit d'intérêts, de prise illégale d'intérêts, et de trafic d'influence. Ce sont les questions que l'on pose et qui devront être tranchées par la justice, mais ce sont des questions importantes : pour la première affaire, il s'agit de 1,5 milliard d'euros. Pour la deuxième affaire que l'on révèle aujourd'hui, ce sont plusieurs centaines de milliers d'euros.

On découvre maintenant qu'il y a des choses qui ont été cachées, qu'il y a des décisions qui ont été prises, que des votes ont été rendus en faveur de sa société familiale, alors-même que l'on disait que ça n'était jamais le cas.

Me Jean-Baptiste Soufron

On a vraiment l'impression que c'est un système, que l'on est face à une façon de fonctionner en petits groupes, en clans, et que les gens s'auto-organisent pour se protéger en essayant d'en révéler le moins possible, en espérant que ça va passer. Le problème est que, en France, les médias ont le droit de poser des questions, et les citoyens d'agir en justice.

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