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Récit "Certains sont attachés avec des chaînes" : comment un couple californien a régné sur la "maison de l'horreur"

La police a découvert qu'un couple américain a enchaîné, affamé et torturé pendant plusieurs années ses treize enfants, à Perris (Californie). Franceinfo revient sur cette histoire qui fait la une aux Etats-Unis.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
David Allen et Louise Anna Turpin, un couple californien, ont été inculpés jeudi 18 janvier 2018 pour torture et maltraitance sur leurs treize enfants. (SHUTTERSTOCK/SIPA / REX)

Le téléphone a sonné vers 6 heures, dimanche 14 janvier, au centre d'appel du 911, numéro d'urgence américain. Au bout du fil, la voix d'une adolescente murmure : "Mes frères et sœurs sont prisonniers à l'intérieur (...) certains sont attachés avec des chaînes et des cadenas." L'auteure de l'appel a 17 ans, elle habite à Perris, une ville de 70 000 habitants située à deux heures au sud-est de Los Angeles (Californie). Elle vient de s'enfuir de chez elle par la fenêtre et est parvenue à joindre la police à l'aide d'un vieux téléphone portable trouvé dans la maison. 

Immédiatement, un petit groupe de policiers du comté de Riverston est envoyé au 160 Muir Woods Road, où la jeune fille habite. De l'extérieur, la maison aux murs ocre ressemble à un banal pavillon de banlieue américaine. La construction du lotissement est récente, les logements sont entourés de champs et de quelques terrains vagues. Sur place, les policiers découvrent une jeune fille "un peu maigre", au teint pâle. Les agents lui donnent "10 ans", rapporte un communiqué de la police sur Facebook. Pour prouver ses dires, l'adolescente montre des photos de ses sœurs et frères enfermés dans la maison.

 L'aîné de 29 ans "ne fait que 37 kg"

Les policiers frappent à la porte de la maison. Une femme de taille moyenne, les cheveux noirs grisonnants, leur ouvre, surprise de se trouver nez à nez avec ces agents en uniforme, décrit Le FigaroIl s'agit de Louise Anna Turpin, 49 ans, femme au foyer. Elle réside depuis 2014 dans cette maison avec son mari David Allen Turpin, 57 ans, et leurs treize enfants, âgés de 2 à 29 ans.

Devant la "maison de l'horreur", à Perris (Etats-Unis, Californie), le 16 janvier 2018. (FREDERIC J. BROWN / AFP)

En entrant dans la maison, les policiers découvrent une véritable "maison de l'horreur". Tout est sale, sombre, une odeur nauséabonde se dégage de l'intérieur. Certaines pièces sont imbibées d'urine. Dans les cinq pièces et trois salles de bain de la maison, les policiers découvrent trois enfants enchaînés à leur lit. Ils ont le teint blafard, sont très maigres et ont des blessures sur le corps. Ils se trouvent dans une situation de malnutrition sévère. L'un d'entre eux, âgé de 12 ans, "a le poids d'un enfant de 7 ans" et l'aîné de 29 ans "ne fait que 37 kg", raconte lors d'une conférence de presse, le procureur du comté de Riverside, Mike Hestrin.

Les parents sont arrêtés et incarcérés, poursuivis pour torture, maltraitance et séquestration. Les treize enfants sont transportés à l'hôpital. On leur administre des perfusions de vitamines, des antibiotiques et des nutriments. Ils sont si faibles que les enquêteurs ne peuvent les interroger

Des enfants enchaînés à leur lit 

Comment le couple Turpin a-t-il pu garder son terrible secret durant toutes ces années ? Quand les sévices ont-ils commencé ? Selon plusieurs médias américains, le cauchemar a vraisemblablement débuté dans les années 1990 lorsque la famille habitait près de Fort Worth, au Texas. Selon le procureur Mike Hestrin, les maltraitances ont "commencé comme une punition" mais "ont empiré avec le temps".

A cette époque, les parents vivaient "séparément" de leurs enfants et passaient leur "déposer de la nourriture", indique Paris Matchsans plus de précision. En 2010, la famille déménage à Murietta en Californie puis dans la ville de Perris en 2014, au 160 Muir Woods Road. Les Turpin y achètent un petit pavillon pour 350 000 dollars et s'y installent avec leurs enfants.

Photo non datée de David Allen Turpin et Louise Anna Turpin. (SHUTTERSTOCK/SIPA / REX)

A l'abri des regards, les enfants sont maltraités physiquement et psychologiquement. Ils sont nourris en fonction "d'un planning" et sont attachés avec des cordes ou des chaînes "pendant des semaines ou même des mois". Ils sont seulement autorisés à se déplacer pour aller aux toilettes. Le moindre écart est puni. Ils peuvent prendre une douche une fois par an et peuvent se laver les mains sous de strictes conditions, décrit le procureur Hestrin.

S'ils se lavaient les mains au-dessus du poignet, ils étaient accusés de jouer avec l'eau et pouvaient être enchaînés.

Mike Hesrin

CNN

Les parents s'achètent de la nourriture – des tourtes à la pomme ou à la citrouille – les exposent sur un buffet à la vue de leurs enfants, mais leur interdisent d'y toucher. Durant leurs investigations, les policiers découvrent des jouets encore emballés éparpillés partout au sol. "Les enfants n'étaient jamais autorisés à jouer avec", rapporte le procureur. Décrits comme "pâles comme des vampires" avec "la peau sur les os" par une voisine, les enfants Turpin ont une hygiène médiocre, ils n'ont jamais consulté de dentiste et n'ont pas vu de médecin depuis quatre ans. Lors de son interrogatoire, l'adolescente de 17 ans qui a donné l'alerte a indiqué ne pas savoir ce qu'étaient "les médicaments ou les pilules". 

La seule chose que la fratrie était autorisée à faire était d'écrire dans des cahiers. Une centaine de ces manuscrits ont été récupérés pour permettre aux enquêteurs de comprendre ce qu'il s'est passé. "Les enfants manquent d'une connaissance de base de la vie", a estimé le procureur Hestrin, précisant qu'aucun d'entre eux ne savait ce qu'était un policier.

Une scolarité à domicile en toute discrétion

En réalité, le 160 Muir Woods Road n'était pas qu'une simple maison familiale. L'adresse est aussi enregistrée auprès de l'Etat en tant qu'école privée, non religieuse et mixte, sous le nom Sandcastle Day School. Elle était apparue pour la première fois au registre de l'Etat en 2010. Six élèves y sont inscrits et David Turpin est mentionné comme principal de l'établissement. Selon les premiers éléments de l'enquête, les enfants étudiaient la nuit et ne se couchaient pas avant 4 ou 5 heures du matin. Ils dormaient toute la journée.

La famille Turpin à Perris, Californie. (SHUTTERSTOCK/SIPA / REX)

La Californie est l'un des Etats américains qui autorise la scolarisation à domicile, mais le contrôle de ces structures est limité. Dans le cas de la famille Turpin, les autorités n'avaient pas la possibilité de vérifier le programme des cours et d'évaluer les aptitudes des élèves. "Nous ne savions vraiment rien à leur sujet", a résumé Grant Bennett, surintendant du district scolaire de Perris. 

Au-delà de l'enseignement scolaire, le couple Turpin est pentecôtiste (une branche du protestantisme évangélique) et semble avoir inculqué à ses enfants une éducation religieuse très stricte. Les enfants ont été élevés selon les préceptes de la Bible et ont dû en apprendre des passages entiers par cœur. Selon les parents de David Turpin, interrogés par ABC News, David et Louise ont eu treize enfants parce que "Dieu les a appelés." Les grands-parents leur rendaient très peu visite. Lors de leur dernier passage en Californie, il y a quatre ans,"la famille semblait heureuse", ont-ils assuré.

Un couple en faillite

Depuis la mise au jour de cette affaire, de nombreuses photos de la famille Turpin ont été publiées dans la presse. Sur l'une d'entre elles, les enfants Turpin, tous habillés d'un tee-shirt rouge, posent souriants aux côtés de leurs parents lors d'une sortie. Sur un autre cliché datant de 2015, ils célèbrent les 10 ans de mariage de leurs parents dans une chapelle à Las Vegas sous le regard hilare du maître de cérémonie, un sosie d'Elvis Presley. Les filles portent des robes écossaises roses, les garçons ont tous la même coupe au bol que leur père et portent des costumes noirs.

La famille Turping lors des dix ans de mariage de David et Louise, en 2015. (MAXPPP)

Mariage de David et Louise Turpin, le 29 octobre 2011 à Las Vegas (Nevada, Etats-Unis). (AP/SIPA)

Car les Turpin aiment s'amuser. Ils sont obsédés par l'univers de Disney. Lors de leurs investigations, les enquêteurs ont retrouvé des statues et une plaque d'immatriculation à l'honneur de Mickey. Les parents ont emmené deux fois leurs enfants à Disneyland, dépensant près de 1 500 dollars, note Le Figaro. La famille possède une très grande collection de DVD et de VHS pour enfants, comme Dumbo, Cars mais aussi Casper, E.T et Appelez-moi le père Noël ! décrit le Daily Mail (en anglais). 

Ces loisirs ont toutefois un coût. Louise et David sont lourdement endettés. A deux reprises, en 1992 et 2011, ils se déclarent en faillite alors qu'ils habitent au Texas puis en Californie. Au début des années 1990, David Turpin est ingénieur dans l'aéronautique à Northrop Grumman et gagne 140 000 dollars par an. Louise n'a pas d'activité connue. En 2011, le couple présente 240 000 dollars de dettes, pour la plupart liées à l'usage de plusieurs cartes de crédit, selon des documents officiels cités par CNN. A l'époque, pour régler ces problèmes de dettes, ils font appel à une avocate, qui assure les avoir trouvés "très normaux (...) Ils parlaient souvent et de façon affectueuse de leurs enfants", déclare-t-elle au Washington Post

Photo de David et Louise Turpin issue de leur compte Facebook. (MAXPPP)

"Ils ont toujours été drôles, mais aussi secrets"

Dans l'entourage des Turpin, personne n'était au courant de cette situation, encore moins de celle des enfants. "Pendant des années, nous leur avons supplié de les voir, de leur parler sur Skype, a déclaré, en sanglots, Elizabeth Flores, la sœur de Louise Turpin, sur ABC News. Elle a partagé la vie des Turpin pendant quelques mois quand ils étaient au Texas. Elle raconte que sa sœur et son beau-frère étaient stricts, très religieux. "Ils ont toujours été drôles, mais aussi secrets, bien avant d'avoir des enfants", confie-t-elle. Elizabeth Flores ressentait une grande gêne vis-à-vis de son beau-frère : "Quand j'étais sous la douche, [David Turpin] me regardait." Mais elle n'osait pas parler du malaise qu'elle ressentait.

Ils refusaient que je dise où ils vivaient, que les enfants me parlent sans leur autorisation.

Elizabeth Flores

ABC News

De son côté, Teresa Robinette, l'autre sœur de Louise, affirme que les enfants ont été élevés dans un "strict contrôle", mais dans une atmosphère "normale". Néanmoins, "ils n'avaient pas le droit de sortir, ils n'avaient pas de vie sociale, pas le droit de regarder la télévision, d'avoir des amis. Tout ce que des gamins de leur âge faisaient", témoigne-t-elle.

Teresa Robinette s'est toutefois inquiétée une fois de la maigreur des enfants auprès de Louise. Celle-ci lui a répliqué, en riant : "C'est parce que David est très grand et maigre, ils vont être comme lui !"

L'avenir des enfants en question

Depuis leur arrestation, le couple est visé par douze chefs d'accusation de torture, sept chefs de maltraitance d'un adulte dépendant, six chefs de maltraitance ou négligence d'enfant et douze chefs pour séquestration. Ils encourent 94 ans de prison. David Turpin est également poursuivi pour acte obscène sur un enfant avec usage de la force, la menace ou la contrainte. Cette accusation fait suite à la façon dont il a ligoté l'une de ses filles, âgée de 14 ans, mais "aucune preuve ne montre qu'il y a eu abus sexuel", a précisé le policier Greg Fellows, qui suit l'enquête. Leur caution est fixée à 9 millions de dollars chacun.

Le directeur du Centre médical de Corona, où les sœurs et frères ont été accueillis, a déclaré que les enfants s'étaient montrés "amicaux" et "coopératifs", mais qu'il leur faudrait probablement de longues années de soutien psychologique pour se reconstruire. Devant le juge, jeudi 19 janvier, David et Louise ont plaidé non coupable. Leur prochaine comparution est prévue le 23 février.

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