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Espionnage, tensions diplomatiques, objectif... Six questions que pose le survol du "ballon espion" chinois au-dessus des Etats-Unis

Pékin affirme qu'il s'agissait d'une sonde météorologique ayant dévié de sa trajectoire. Une affirmation rejetée par les autorités américaines.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Un "ballon espion" chinois passe au-dessus de Charlotte (Etats-Unis), le 4 février 2022. (PETER ZAY / ANADOLU AGENCY / AFP)

C'est un objet volant mal identifié. L'aéronef chinois qui a survolé les Etats-Unis pendant plusieurs jours avant d'être abattu par l'armée américaine, samedi, est encore loin d'avoir livré les secrets autour de sa mission. Pour Washington, pas de doute : l'appareil était bien un "ballon espion". Pékin, de son côté, dément.

Les équipes américaines déployées au large des côtes de Caroline du Sud, dans l'océan Atlantique, ont récupéré les premiers débris du ballon, lundi 6 février. Ces éléments permettront peut-être de percer le mystère de ce survol aux lourdes conséquences diplomatiques. Franceinfo fait le tour des questions qui se posent à propos de cette affaire.

1C'est quoi ce ballon ?

Une chose est certaine : le ballon était d'origine chinoise. Pékin l'a confirmé, tout en assurant que l'aéronef était destiné à la recherche scientifique, notamment en météorologie. De son côté, le Pentagone affirme qu'il s'agissait d'un "ballon espion" envoyé par la Chine "dans une tentative de surveiller des sites stratégiques" aux Etats-Unis.

Pour appuyer leurs accusations, les responsables américains relèvent que la taille du ballon correspondait à celle de trois bus, soit environ 27 mètres, rapporte l'agence Associated Press*.  Un gabarit largement supérieur aux ballons météorologiques, qui ne dépassent en général pas les six mètres de diamètre, écrit le magazine Time*.

Il est encore trop tôt pour déterminer les capacités d'observation du ballon, qui évoluait à approximativement 18 km d'altitude, d'après les informations du Pentagone. Des premiers débris ont été récoltés lundi en surface, mais les conditions météorologiques n'ont pas permis jusqu'ici de mener des opérations sous-marines de récupération. La Maison Blanche assure ne pas avoir "l'intention de rendre" ces débris à la Chine, mais de les étudier attentivement. Cette phase de recherche d'indices devrait en tout cas être cruciale : les images prises de l'aéronef avant sa destruction laissaient deviner des équipements imposants accrochés au ballon, notamment des panneaux solaires. 

2 L'utilisation de ballons de renseignement est-elle nouvelle ?

La première utilisation d'un tel dispositif remonte à 1794. Une montgolfière avait été utilisée lors de la bataille de Fréjus par la France, et avait même contribué à la victoire face à l'armée autrichienne, raconte Le Figaro. Des ballons captifs reliés au sol ont également été lancés pendant la Première Guerre mondiale. Plusieurs programmes autour de ces appareils ont été initiés durant la guerre froide, mais le dispositif a fini par perdre de son intérêt face aux satellites et aux avions espions, plus efficaces.

3Est-ce une technique d'espionnage très répandue ?

Avec le temps et les progrès technologiques, cette méthode est de moins en moins utilisée pour obtenir des renseignements. "On se demande en effet ce que pouvait apporter un ballon espion en termes de renseignements à la Chine, puisque que l'on sait qu'ils ont une flotte de satellites qui tournent autour de la Terre", observe Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord de l'Institut français des relations internationales, auprès de France Culture.

Pourquoi alors la Chine emploierait-elle un équipement aussi peu discret ? D'abord parce que les ballons ont évolué et "peuvent désormais peser moins lourd, (...) être plus petits, moins chers et plus faciles à lancer" que les satellites, analyse Peter Layton, ancien officier de la Force aérienne royale australienne, pour CNN*. Aussi, parce qu'un ballon peut par exemple "rester plus longtemps au-dessus des sites nucléaires américains et écouter les communications radio autour de ces sites, ce qu'un satellite espion n'aurait pas pu faire", estime Laurence Nardon.

Pékin aurait eu recours à plusieurs reprises à cette technologie ces dernières années, affirme un haut responsable américain cité par l'AFP : des "ballons de surveillance chinois ont transité brièvement au-dessus des Etats-Unis au moins trois fois durant l'administration précédente [sous le mandat de Donald Trump], et une fois au début de cette administration de ce que nous savons, mais jamais aussi longtemps".

4 Quelles informations la Chine pouvait-elle chercher avec son ballon ?

Le ballon a notamment survolé l'Etat du Montana, où sont stockées des armes nucléaires. Washington a minimisé la capacité de l'appareil aérien à récupérer des informations sensibles, mais selon Matthew Kroenig, ancien responsable du ministère américain de la Défense, Pékin pouvait tirer bénéfice de cette opération. "Cela a donné la possibilité à la Chine de mieux cartographier les silos de missiles balistiques intercontinentaux américains en vue d'en faire des cibles futures, et de jauger la réponse américaine", analyse le spécialiste pour l'AFP.

5 Pékin a-t-il outrepassé le droit international ?

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a dénoncé samedi une "violation inacceptable" de la souveraineté américaine. Le droit est en effet du côté de Washington : l'Organisation de l'aviation civile internationale* rappelle que "chaque Etat a une souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire". Ce pouvoir s'étend au-dessus de tout le territoire d'un pays et jusqu'à 20 kilomètres après ses côtes. Mais le droit international ne fixe pas de limite de l'espace aérien en termes d'altitude.

Dans tous les cas, selon la convention de Chicago de 1944, qui fixe les règles en matière de transport aérien international, "aucun aéronef pouvant voler sans pilote ne peut survoler le territoire d'un Etat contractant, sauf autorisation spéciale dudit Etat et conformément aux conditions de celle-ci". Pékin a finalement reconnu que ce ballon, affecté par les vents, "a dévié de sa trajectoire" et a exprimé ses "regrets" pour cette violation "involontaire" de l'espace aérien américain.

6 Quel impact cet incident aura-t-il sur les relations entre Pékin et Washington ?

La Chine a déjà exprimé, dimanche, son "fort mécontentement" après la destruction de l'appareil. Le ministre des Affaires étrangères du pays a ainsi affirmé que Pékin "se [réservait] le droit" de répliquer.

L'affaire intervient dans un contexte de fortes tensions entre la Chine et les Etats-Unis, qui ont culminé en août 2022 avec la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants. Cet épisode du ballon risque d'éloigner toute perspective de détente prochaine. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, qui devait s'envoler vendredi pour la Chine à l'occasion d'une visite inédite depuis 2018, a reporté son voyage à cause de la brouille liée à ce dossier. 

A moyen terme, certains experts s'attendent à ce que Pékin multiplie les opérations d'intimidation en mer de Chine méridionale. "Ils vont vouloir montrer qu'ils ont un arsenal militaire important", assurait dimanche à franceinfo Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine. Ce spécialiste imagine également que les responsables chinois puissent lancer une vague de "cyberattaques à l'encontre d'entreprises ou de personnalités politiques américaines", afin de "flatter le nationalisme chinois".

* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.

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