Cinq questions sur la destruction du "ballon espion" chinois, qui ravive les tensions entre Pékin et Washington
Il n'en reste plus que des débris, au fond de l'océan. Le ballon stratosphérique chinois qui survolait le territoire américain depuis près de cinq jours a été abattu par l'armée américaine, samedi 4 février, au large de l'Etat de Caroline du Sud (sud-est du pays). Le ballon se trouvait à environ 18 kilomètres d'altitude et à une distance de 11 kilomètres de la côte, selon des responsables du Pentagone.
Des opérations de récupération des restes de l'engin, qui pourraient impliquer des plongeurs, sont désormais en cours, afin d'analyser plus précisément la technologie utilisée. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils attendu avant d'abattre l'engin ? Dans quelle mesure cette affaire jette-t-elle un froid dans les relations entre les deux pays ? Quelle pourrait être la riposte de la Chine ? Franceinfo répond à cinq questions sur le sujet.
Que s'est-il passé ces derniers jours ?
Le Pentagone a affirmé jeudi qu'il suivait à la trace les mouvements d'un "ballon espion" chinois volant à haute altitude au-dessus du territoire américain et de sites militaires sensibles, précisant qu'il ne présentait pas de menace militaire ou physique pour les personnes au sol. Le Pentagone a assuré vendredi qu'un second "ballon espion chinois" avait été repéré au-dessus de l'Amérique latine. Ni sa localisation ni la direction empruntée n'ont été spécifiées.
A la demande du président américain, Joe Biden, le Pentagone a examiné vendredi la possibilité d'abattre le ballon qui survolait le territoire américain. Il a d'abord écarté cette hypothèse en raison des risques posés par les débris. Une opération a finalement été menée samedi par un avion de chasse F-22. Elle a eu lieu "au-dessus de l'eau, au large de la côte de Caroline du Sud, dans l'espace aérien américain", a déclaré dans un communiqué le ministre de la Défense américain, Lloyd Austin.
Comment les Etats-Unis ont-ils interprété la présence de ce ballon ?
Dès jeudi soir, le président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a dénoncé une "action déstabilisatrice" d'une Chine qui "méprise éhontément la souveraineté des Etats-Unis". De son côté, Lloyd Austin assure que l'engin "était utilisé par la République populaire de Chine dans une tentative de surveiller des sites stratégiques" aux Etats-Unis.
Selon des responsables du Pentagone, le ballon a pénétré dans l'espace aérien américain une première fois le 28 janvier au-dessus de l'Alaska, avant d'entrer au Canada le 30 janvier, puis de retourner dans le ciel américain, au niveau de l'Idaho, dans le nord-ouest du pays, mardi 31 janvier.
Il a notamment volé au-dessus de l'Etat du Montana (Ouest), qui abrite des silos de missiles nucléaires, a expliqué jeudi un haut responsable américain auprès de journalistes. Le ballon, relativement imposant, fait la taille "de trois autobus", a précisé l'état-major de l'US Air Force.
Selon le porte-parole du Pentagone, l'aéronef évoluait au-dessus des vols commerciaux. Cette zone aérienne située en pleine stratosphère, en dessous de l'espace, n'est aujourd'hui régie par aucune règle internationale, précise à franceinfo Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine. "Il existe encore un vide juridique autour de cet espace, qui n'est pas régulé. Il s'agit d'une tranche aérienne nouvelle dans laquelle se développent des stratégies de puissance, ces dernières années".
Comment la Chine s'est-elle justifiée ?
Face à ces accusations, le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie a souligné que son pays agissait de façon "responsable" et avait "toujours strictement respecté les lois internationales", d'après l'agence officielle Chine nouvelle. Pékin "n'a jamais violé le territoire et l'espace aérien d'un pays souverain", a insisté samedi le ministère des Affaires étrangères chinois. Selon ce dernier, "certains politiciens et médias américains utilisent l'incident comme un prétexte pour attaquer et diffamer la Chine".
Après avoir hésité, Pékin a admis que l'"aéronef" était chinois, mais a assuré qu'il s'agissait d'un ballon destiné à récolter des données météorologiques. Celui-ci aurait "dévié de sa trajectoire", a ajouté un porte-parole de la diplomatie chinoise, en exprimant les "regrets" de son pays pour cette violation "involontaire" de l'espace aérien américain.
En quoi ce ballon entraîne-t-il une nouvelle montée des tensions entre les deux pays ?
L'incident a suscité de vives réactions dans la classe politique américaine. "Cette violation de la souveraineté américaine, à quelques jours de la visite du secrétaire d'Etat, [Antony] Blinken, en Chine, montre que les signes récents d'ouverture" de la part des autorités chinoises "ne reflètent pas un changement réel de politique", ont commenté les chefs républicain et démocrate d'une commission parlementaire sur la Chine, Mike Gallagher et Raja Krishnamoorthi.
Sur le front diplomatique, les relations sont de nouveau au point mort, depuis que le chef de la diplomatie américaine a reporté vendredi une visite à Pékin. Son déplacement en Chine dimanche et lundi aurait été le premier d'un chef de la diplomatie américain depuis octobre 2018.
Antony Blinken s'est efforcé de calmer le jeu, en assurant que sa visite serait reprogrammée quand "les conditions le permettront", insistant sur la nécessité de garder "les lignes de communication ouvertes" avec Pékin. Mais pour Emmanuel Véron, "il va être très compliqué de reprogrammer sa visite. A ce stade, une amélioration des relations sino-américaines dans les prochains mois est difficile à envisager", assure-t-il.
Quelle pourrait être la riposte de la Chine après la destruction du ballon ?
Pékin a exprimé, dimanche, son "fort mécontentement". Cette décision d'abattre l'engin "viole gravement les pratiques internationales", a déclaré le ministère des Affaires étrangères chinois, qui a affirmé que son pays se "réserve le droit" de répliquer.
Dans les prochaines semaines, Pékin pourrait multiplier les opérations d'intimidation en mer de Chine méridionale, explique Emmanuel Véron. "Ils vont vouloir montrer qu'ils ont un arsenal militaire important", assure le spécialiste. Selon lui, les autorités chinoises pourraient faire circuler des bateaux dans leur archipel pour faire "montre de force", et ainsi "faire monter la pression" sur des territoires disputés tels que Taïwan.
Il se peut également, selon lui, que les responsables chinois lancent une vague de "cyberattaques à l'encontre d'entreprises ou de personnalités politiques américaines", afin de "flatter le nationalisme chinois". Pour l'heure, il est clair qu'après les événements des derniers jours, "les Etats-Unis ont repris la main" face à la Chine, dans le bras de fer qui les oppose.
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