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L'article à lire pour comprendre la crise diplomatique entre la Turquie et les Pays-Bas

Le refus du gouvernement néerlandais d'accueillir un ministre turc qui souhaitait faire un meeting aux Pays-Bas a mis le feu aux poudres. Si vous n'avez rien suivi, franceinfo vous propose une petite séance de rattrapage.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Des ressortissants turcs manifestent devant le consulat turc de Rotterdam (Pays-Bas), le 11 mars 2017. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Des relations à couteaux tirés. La crise diplomatique entre la Turquie et les Pays-Bas s'est poursuivie, lundi 13 mars. Les Turcs sont appelés à voter sur une réforme constitutionnelle censée élargir les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan et ses ministres se sont lancés dans une tournée européenne pour mobiliser les Turcs expatriés qui peuvent prendre part au scrutin. Problème : plusieurs de ces meetings ont été interdits aux Pays-Bas et annulés ailleurs en Europe. Cette affaire est devenue un point central de la campagne électorale turque.

Vous êtes perdu ? Pas de panique, franceinfo répond aux questions que vous vous posez sur le sujet.

Comment en est-on arrivé à cette situation ?

Reprenons les choses dans l'ordre. Tout commence le 3 mars, lorsque le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, reçoit la confirmation de la Turquie qu'un meeting du chef de la diplomatie turque, en vue du référendum, est en préparation aux Pays-Bas. La Haye s'y oppose et l'annule le 8 mars : "Nous sommes d'avis que l'espace public néerlandais n'est pas l'endroit où mener la campagne politique d'un autre pays."

Mais Mevlut Cavusoglu, le ministre des Affaires étrangères turc, persiste et signe. Alors La Haye retire "les droits d'atterrissage" de son avion sur le sol néerlandais, samedi 11 mars. Et quand, malgré tout, la ministre turque de la Famille se rend aux Pays-Bas, elle est finalement expulsée.

Le président turc fulmine. "Ce sont les vestiges du nazisme, ce sont des fascistes !" réagit Recep Tayyip Erdogan, samedi, depuis Istanbul. "Les Pays-Bas paieront le prix", menace-t-il le lendemain, devant des milliers de partisans, à Kocaeli, dans le nord-ouest de la Turquie. "Vous devez encore rendre des comptes pour votre effronterie", a-t-il ajouté, qualifiant les Pays-Bas de "république bananière".

Face à ces multiples déclarations, le Premier ministre néerlandais durcit le ton lui aussi. "Il est hors de question que des excuses soient faites, [les Turcs] devraient faire des excuses pour ce qu'ils ont fait hier", réplique Mark Rutte, dimanche après-midi.

Et il porte sur quoi, le référendum organisé en Turquie ?

Ce référendum organisé le 16 avril porte sur la modification de la Constitution, afin de remplacer le système parlementaire actuel par un régime présidentiel. Cette réforme pourrait notamment permettre au chef de l'Etat de nommer et de révoquer les ministres, de promulguer des décrets et de déclarer l'état d'urgence.

Une telle réforme constitutionnelle renforcerait de facto les pouvoirs du président turc. Mais de son côté, Recep Tayyip Erdogan indique qu'un tel changement est nécessaire pour doter la Turquie d'un exécutif fort et stable, à même d'affronter une vague sans précédent d'attentats et des difficultés économiques.

Mais pourquoi les ministres turcs se déplacent-ils dans les pays européens pour faire campagne ?

Parce qu'ils veulent convaincre les Turcs qui vivent à l'étranger de voter "oui" au référendum. "Cela peut sembler surprenant pour nous. Mais c'est une pratique qui remonte à de nombreuses années pour la Turquie. Il est assez courant que des ministres ou des dirigeants politiques de haut niveau fassent campagne à l'étranger, explique à franceinfo Didier Billion, spécialiste de la Turquie et directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Des deux côtés d'ailleurs : de la part des partis en place, mais aussi des partis d'opposition."

"L'AKP [le parti de Recep Tayyip Erdogan] a toujours parlé à la diaspora. Avant même les élections de 2014, les premières pour lesquelles les Turcs de l'étranger ont pu voter depuis leur pays de résidence, Erdogan venait souvent, en particulier en Allemagne, tenir des meetings", précise dans Libération Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l'Institut français d'études anatoliennes.

En Allemagne, "en particulier", car le pays compte la plus grande diaspora turque du monde, avec quelque trois millions de personnes, dont la moitié sont des électeurs turcs qui entretiennent souvent un lien fort avec leur pays d'origine. D'ailleurs, avant que la crise n'éclate avec les Pays-Bas, des tensions sont apparues avec l'Allemagne. Car des mairies ont annulé quatre rassemblements pro-Erdogan, entre le 28 février et 8 mars. Et, déjà, le président turc avait qualifié ces agissements de "pratiques nazies". Mais la tension est finalement retombée après que la Turquie a fourni une liste des meetings prévus jusqu'au vote du 16 avril.

Les pays européens qui ont refusé la tenue de meetings sur leur sol avaient-ils le droit de le faire ?

Oui. Pourtant, la tenue de telles réunions n'est pas illégale. Mais les villes allemandes ont annulé les meetings des ministres turcs en invoquant des difficultés logistiques et le fait de ne pas avoir été informées de la venue de ces hauts responsables. Le gouvernement allemand a, lui, souligné être étranger à ces décisions relevant de la compétence des seules municipalités.

En revanche, comme le fait remarquer Jean Marcou, "il y a un problème d'ordre public qui se pose pour les pays européens". "Les meetings électoraux turcs en Allemagne peuvent rassembler plus de monde que ceux des élections nationales !" constate-t-il. "Certains pays européens se demandent si, sur leur sol, on assiste à une campagne électorale pluraliste ou à de la propagande pour l'AKP", complète Jean Marcou.

N'y a-t-il pas une stratégie claire d'Erdogan de jouer l'affrontement ?

"Erdogan a bien compris qu'il avait là [avec la diaspora] des voix, des partisans, à ne pas négliger. D'autant plus que le résultat du référendum risque d'être beaucoup plus serré que ce qu'on pensait", poursuit Jean Marcou dans Libération"Malgré les moyens étatiques et médiatiques déployés, ce n'est pas gagné pour le 'oui'. Des résultats d'enquêtes d'opinion le montrent, même s'ils sont à prendre avec des pincettes, en particulier en Turquie", renchérit Didier Billion. 

Alors Recep Tayyip Erdogan met les bouchées doubles, et se sert de la crise actuelle comme d'un argument de campagne. "Il se sert du refus malencontreux de l'Allemagne et des Pays-Bas pour jouer la carte de la victimisation. Il met en avant le fait que la Turquie affronte des ennemis de toutes parts", analyse le directeur adjoint de l'Iris.

Du côté des Pays-Bas, il y a des élections législatives mercredi. N'y aurait-il pas un lien avec tout ça ?

"Il ne faut pas être naïf. Ce n'est pas un hasard que les Pays-Bas aient fait le choix de refuser la tenue de ces meetings, relève Didier Billion. Le gouvernement néerlandais coupe ainsi l'herbe sous le pied des forces d'extrême droite." Car les élections législatives qui ont lieu aux Pays-Bas mercredi sont cruciales : le VVD, le Parti populaire libéral et démocrate du Premier ministre, est talonné par le PVV, le Parti pour la liberté, du député anti-islam Geert Wilders. Et le PVV pourrait remporter un nombre de sièges record au Parlement néerlandais.

Dès le 8 mars, Geert Wilders s'est opposé à la tenue du meeting du ministre des Affaires étrangères turc prévu trois jours plus tard. Il a manifesté devant l'ambassade turque à La Haye. "Restez loin de nous, restez loin d'ici, ceci est notre pays !" a-t-il clamé. En interdisant à Mevlut Cavusoglu l'accès au territoire néerlandais, le Premier ministre néerlandais essaye donc de prendre les devants face à ce qu'il considère comme une menace venue de l'extrême droite. "C'est un médiocre calcul électoral, comme l'instrumentalisation de la crise par Recep Tayyip Erdogan", estime Didier Billion.

Et quelle est la position des autres pays européens vis-à-vis de la Turquie ?

Outre l'Allemagne et les Pays-Bas, trois autres pays ont refusé que de tels meetings aient lieu. En Suisse, le 8 mars, les autorités du canton de Zurich ont demandé aux autorités fédérales d'annuler, pour des raisons de sécurité, la venue de Mevlut Cavusoglu. Deux jours plus tard, quatre rassemblements prévus en Autriche ont également été annulés.

Dimanche, la Suède s'est positionnée de la même manière. Tandis que le Premier ministre danois, Lars Løkke Rasmussen, a proposé que la visite de son homologue turc, prévue en mars, soit différée, en raison de cette crise diplomatique. Lundi, la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a finalement déclaré que la décision d'autoriser ou non des manifestations politiques turques revient aux Etats.

Et en France ? On réagit comment ?

C'est sur notre territoire que le meeting du chef de la diplomatie turque annulé aux Pays-Bas a finalement eu lieu. Le ministère français des Affaires étrangères a indiqué qu'"en l'absence de menace avérée à l'ordre public, il n'y avait pas de raison d'interdire cette réunion". Environ 800 personnes se sont donc rassemblées dimanche à Metz (Moselle). Mevlut Cavusoglu s'est exprimé au Palais des congrès de la ville, à l'invitation d'une association locale, l'Union des démocrates turcs européens section Lorraine. De son côté, le président turc a remercié la France d'avoir autorisé cette visite. "La France n'est pas tombée dans ce piège", a-t-il dit. 

"C'est une position juste", estime Didier Billion. Le chercheur juge que l'annulation des meetings a un effet contre-productif, car elle permet au président turc "d'attiser les passions nationalistes" dans son pays. "Interdire un meeting ne rendra pas Recep Tayyip Erdogan plus démocrate, au contraire", ajoute-t-il. 

Mais l'affaire s'est aussi invitée dans la campagne présidentielle française, à six semaines du premier tour. Les candidats de droite et du centre François Fillon et d'extrême droite Marine Le Pen ont estimé que la France n'aurait pas dû autoriser ce meeting. "Cela me fait sourire de façon amère", réagit Didier Billion. Et d'ajouter que "plutôt que de se préoccuper des meetings, on devrait refonder les relations entre l'Union européenne et la Turquie, un grand partenaire. C'est difficile avec Erdogan qui a une fuite en avant préoccupante. Depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016, il y a une hystérisation du débat politique, une paranoïa. Mais c'est de la responsabilité des politiques de ne pas tomber dans son piège."

Désolé, j'ai eu la flemme de tout lire et j'ai scrollé vers le bas. Vous me faites un petit résumé ?

Les relations se sont tendues entre la Turquie et les Pays-Bas lorsque ces derniers ont refusé la venue de ministres turcs à des meetings organisés sur le territoire néerlandais en pleine campagne électorale, pour un référendum organisé dans leur pays, le 16 avril. En réponse, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a accusé La Haye d'entretenir des "vestiges du nazisme".

Cette escalade verbale sans précédent s'inscrit dans un double contexte électoral, puisque les Pays-Bas ont pris cette décision à trois jours d'un scrutin législatif, sur fond de montée de l'extrême droite. La crise a pris une autre tournure depuis que d'autres pays européens ont annulé des visites ou des réunions organisées par des responsables politiques turcs. Et cela alors que le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, a finalement tenu un meeting en France, dimanche.

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