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Qui est Jean-Paul Ney, le journaliste controversé qui divulgue des fiches de police sur internet ?

Ce journaliste indépendant a diffusé, le 7 mai, des fiches de personnes recherchées par la police. Une publication à l'origine d'une opération menée gare du Nord, le lendemain. Ce n'est pas une première pour ce reporter, condamné en appel, vendredi, pour avoir diffusé l'identité des frères Kouachi après l'attentat contre "Charlie Hebdo". Franceinfo a tenté d'en savoir plus sur lui. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Capture d'écran d'une vidéo de Jean-Paul Ney postée le 26 avril 2017 sur sa page Facebook.  (JEAN-PAUL NEY / FACEBOOK)

Lundi 8 mai, vers 23 heures, des policiers investissent en masse la gare du Nord, à Paris. Ils commencent à quadriller le secteur puis fouillent un train en provenance de Valenciennes (Nord), après avoir fait évacuer la gare. L'opération de vérification fait suite à un signalement d'une guichetière de la SNCF. Elle a cru reconnaître un homme recherché par la police, un individu "dangereux" dont la fiche de recherche tourne sur les réseaux sociaux, comme celle de deux autres hommes, de nationalités belge et afghane. Mais après trois heures passées à inspecter la gare, les recherches ne donnent rien.  

Les fiches des trois individus, diffusées au sein de la police, n'étaient pas censées fuiter sur internet. Pourtant, quelques jours plus tôt, elles ont été publiées sur Twitter par le journaliste Jean-Paul Ney. Et ce n'est pas la première fois que son nom apparaît dans une telle affaire. Le 7 janvier 2015, il avait diffusé l'identité des frères Kouachi après l'attentat contre Charlie Hebdo. Une affaire pour laquelle il a été condamné en appel à 3 000 euros d'amende, vendredi 26 mai. De qui s'agit-il exactement ? Franceinfo dresse le portrait de ce personnage controversé, spécialiste des coups d'éclat. 

Un hyperactif sur les réseaux sociaux

Jean-Paul Ney, c'est d'abord un accro aux réseaux sociaux, qu'il alimente quasi-quotidiennement. Sur Twitter, où il est suivi par plus de 29 000 personnes, ce journaliste indépendant de 41 ans est un adepte du blocage intempestif en cas de critiques. Il est surtout féru de formules fleuries, souvent agressives, parfois insultantes. Pour mieux mettre en avant ses messages et les diffuser au plus grand nombre, il aime retweeter à tout-va ses propres entrées pour qu'elles réapparaissent en haut de sa page. 

Capture d'écran daté du 9 mai 2017. (JEAN-PAUL NEY / TWITTER)

Capture d'écran d'un tweet daté du 6 mai 2017. (JEAN-PAUL NEY / TWITTER)

C'est loin d'être le seul réseau occupé par Jean-Paul Ney : l'homme est super-connecté. Il ne souhaite être contacté que via les applications chiffrées WhatsApp, Signal ou Telegram, alimente sa propre page Facebook et poste régulièrement des petites vidéos sur Periscope, où il livre analyses et confidences face caméra, pour ses quelque 5 400 abonnés. Il y a deux mois, il s'en prenait à ses détracteurs, en direct du tribunal de grande instance de Paris, où il était jugé en appel pour "recel de violation du secret de l'enquête", s'agaçant de leur lâcheté (non sans une certaine vulgarité). Le message lui a attiré la sympathie de nombreux abonnés vantant sa franchise. 

Plus récemment, il a créé un nouveau site, LeWeek.info, et a choisi Telegram pour créer sa propre chaîne d'information. Le site Streetpress s'est inscrit à ce fil, baptisé Confidentiel, où le journaliste propose à ses abonnés de suivre l'actu, partageant "des nouvelles sur les forces spéciales serbes, sur le Pakistan qui testerait des missiles ou des photos du parrain de la drogue mexicain El Chapo lors de son extradition vers New York". Il y donne aussi quelques conseils de bonne conduite à la sauce Ney, notamment pour "survivre pendant une attaque terroriste", racontent les journalistes, captures d'écran à l'appui. Bref, Jean-Paul Ney sait se mettre en scène et multiplie les canaux pour diffuser ses informations, élargissant chaque jour son audience. 

Un coutumier des divulgations d'identités (qui gênent la police)

La méthode fonctionne bien et permet à Jean-Paul Ney de rencontrer un bel écho. D'autant qu'il s'est attribué la mission – "d'utilité et d'alerte", dit-il – d'avertir ses abonnés des potentielles menaces terroristes. Le 7 janvier 2015, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo, le journaliste s'est ainsi illustré en diffusant sur Twitter l'identité des frères Kouachi, alors recherchés par la police, ainsi que celle de Mourad H., un lycéen qui s'est révélé être étranger à l'affaire. Il avait accompagné la publication de ces fiches circulant au sein de la police par une photo des pièces d'identité des hommes et de ce message : "On vous tiens, enfants de putains" [sic].

A l'époque, la divulgation de ces fiches censées rester internes à la police avait suscité de vives critiques, d'autant que l'un des suspects s'est retrouvé accusé à tort. Encore aujourd'hui, Jean-Paul Ney assume son geste, qu'il justifie par un sens du devoir. Sur 20minutes.fr, il explique avoir diffusé les noms de ces suspects car les forces de l’ordre "ne savaient pas où ils étaient". Contacté par franceinfo, il assure l'avoir fait en accord avec ses sources qui lui ont donné le feu vert pour sortir l'information. 

Son message lui a tout de même valu un procès et une condamnation en première instance à 3 000 euros d'amende pour "recel de violation du secret de l'enquête", en octobre 2016. Scandalisé par cette décision, Jean-Paul Ney avait fait appel et protesté en mettant le feu à son passeport puis en quittant la France. Il vit depuis à l'étranger. Sa condamnation a, elle, été confirmée en appel vendredi 26 mai.

Ce démêlé judiciaire ne l'a pas empêché de remettre le couvert, samedi 6 mai. Là encore, Jean-Paul Ney assume d'avoir publié les fiches communiquées "par des gens dont c'est le métier", "pas des guignols". "Je diffuse des infos qui circulent déjà. Je recoupe, je confirme et j'obtiens l'accord de principe de mes sources", martèle-t-il au téléphone, en expliquant faire "juste mon boulot de journaliste". "Tout le monde me tombe dessus pour Mourad H. Mais il a fini par être arrêté pour avoir voulu partir en Syrie", souligne aussi le journaliste pour défendre son travail. En août 2016, le jeune homme a été mis en examen pour "association de malfaiteurs terroriste" et placé en détention provisoire, dans l'attente de son procès. 

N'empêche : ses pratiques ne font pas l'unanimité, même au sein de la police où il pioche ses informations. "C'est honteux ce qu'il a fait, ça complique forcément le travail des enquêteurs ! S'ils se savent recherchés, ces individus vont se cacher, changer de tête. Ils vont tout faire pour ne pas être reconnus", s'agace un policier, cité de manière anonyme par 20 Minutes. Droit dans ses bottes, Jean-Paul Ney prévient que si c'était à refaire, il n'hésiterait pas et assure au quotidien qu'il se présentera "à toute convocation qui sera envoyée officiellement" à son avocat. 

Un journaliste "de terrain" fasciné par les services secrets

Car l'intéressé n'en démord pas : il est sérieux. Partout, Jean-Paul Ney revendique une expérience de près de vingt ans en tant que reporter, photographe, réalisateur et journaliste d'investigation, spécialiste des questions "de défense et de technologie". Fasciné par les services secrets et le terrorisme, il a écrit "une quinzaine" de livres sur ces sujets.

Sur son site, il affirme avoir couvert "les conflits du Moyen-Orient et d'Afrique" depuis 1999, sans plus de précisions. Il se vante aussi d'avoir travaillé "avec les plus grands titres de la presse, agences et télévisions (France Soir, VSD, Paris Match, Le Figaro Magazine, Sipa Press, Capa, Newsweek, LCI, France 5, Direct 8, TF1)", auxquels s'ajoutent aussi Canal+, CNN ou encore Ma chaîne étudiante (MCE). Jean-Paul Ney semble tirer profit du moindre passage – même fugace – au sein d'un média. Du coup, son palmarès est souvent interrogé, certains de ses détracteurs criant au name dropping, cette tendance à citer des noms connus pour impressionner le public. 

Citée par Arrêts sur images, CNN explique ainsi que le journaliste n'a jamais travaillé pour la chaîne : tout juste a-t-il été interrogé, une fois. Sur LCI, il faisait partie des experts habitués des plateaux télé, et non de la rédaction. Il a pigé à une seule reprise pour l'agence Capa, en 2005, apprend-on dans Télérama. Contactée par franceinfo, Ma chaîne étudiante confirme, elle, son statut de "consultant sur toutes les affaires de terrorisme en France et à l'étranger". "Il a aussi été producteur de plusieurs émissions", nous explique-t-on.

De son côté, l'intéressé ne cesse de contester ces accusations et invite les sceptiques à lui demander ses fiches de paie. "Maintenant, il faut justifier de son boulot ? J'ai des cartons pleins !" lance-t-il, en expliquant avoir signé "un contrat tacite d'investigation" pour CNN. "Mes sources auraient pu sauter si on avait recoupé mes passages", se défend-il, agacé de devoir se justifier sur son expérience. 

Capture d'écran d'un tweet daté du 10 mai 2017.  (JEAN-PAUL NEY / TWITTER)

Une chose est sûre : ce journaliste indépendant – qui revendique s'être fait "tout seul, avec mes petits bras, mes contacts" – possède "un certain talent", un gros réseau et "des informations de première main". C'est ce qu'estime Jean-Paul Billault, dans L'Express. "Il a trempé dans beaucoup de milieux, il sait passer là où les autres ne passent pas", reconnaît le rédacteur en chef à Capa, qui a croisé son chemin. Malgré cela, la profession ne lui ferait guère confiance.     

Une personnalité trouble qui dérange les rédactions

En fait, la personnalité sulfureuse de Jean-Paul Ney l'aurait peu à peu bouté hors des rédactions. Après avoir été consultant sur LCI ou i-Télé, c'est désormais sur la chaîne israélienne i24news qu'il officie, ainsi que sur les réseaux sociaux et le site LeWeek.info qu'il a récemment fondé. Lui affirme qu'il a déserté les rédactions par choix, mais le passé et les zones d'ombre du personnage ont sans doute fini par ternir son image. 

L'un de ses premiers faits d'armes remonte à 2007, alors qu'il est âgé de 31 ans. Le 27 décembre, ce reporter indépendant, alors peu connu du grand public, est arrêté puis incarcéré 18 mois en Côte d'Ivoire, dans le cadre d'une étrange affaire qui a viré à l'imbroglio diplomatique. Jean-Paul Ney est soupçonné d'avoir participé, avec des mercenaires français, à une incroyable tentative de renversement du président ivoirien Laurent Gbagbo. Ce qu'il a toujours démenti.

A l'époque, l'association Reporters sans frontières s'était émue de sa longue incarcération dans la difficile Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan. Contacté par franceinfo, Jean-François Julliard, alors secrétaire général de RSF, se souvient d'une affaire compliquée et trouble, "qui sentait un peu le soufre"

A l'époque, c'était un jeune reporter qui essayait de se faire un nom. Il y avait chez lui une recherche effrénée du 'coup'. Mais en parallèle, il semblait s'affranchir d'un certain nombre de règles déontologiques et journalistiques.

Jean-François Julliard

à franceinfo

"On avait l'impression qu'il aimait bien la confusion des genres. On ne savait pas très bien s'il se sentait l'âme d'un journaliste, d'un agent secret ou si c'était plutôt l'excitation d'assister à un coup d'Etat", poursuit Jean-François Julliard, qui décrit toutefois "un fonceur, déterminé à prendre des risques". Dans le doute, Julliard a décidé de le soutenir pour des raisons humanitaires, persuadé que les autorités ivoiriennes en profitaient aussi pour le manipuler. Mais dix ans plus tard, l'ancien secrétaire général de RSF confie ne pas y voir plus clair. 

Cette histoire nébuleuse semble être à l'image d'une personnalité tout aussi difficile à cerner. Comme le rappelle Buzzfeed, Jean-Paul Ney cumule quatre condamnations, pour "diffamation", "vol" et "appropriation d'un secret de Défense nationale" ou encore "menaces de mort". Pour cette dernière, il a écopé d'une injonction de soins psychiatriques. "Cela fait dix-sept ans qu'on me sort cette histoire !" s'exclame le journaliste lorsqu'on l'interroge sur ce point. Et de s'agacer : "C'est facile de taper sur un mec qui bosse tout seul, à l'anglo-saxonne, c'est-à-dire en prenant des risques, en remuant la merde, en étant borderline, en franchissant la ligne rouge, puis en revenant" avec des infos. 

Dans la presse, Jean-Paul Billault, auteur d'un documentaire sur cette drôle d'affaire, évoque un profil "ingérable" et "incontrôlable", mais que les rédactions sont bien contentes de trouver quand il s'agit de "faire un coup". De son côté, Frédéric Dupuis, directeur de l'ESJ Paris, école de journalisme dans laquelle Jean-Paul Ney a donné quelques cours en tant que correspondant de guerre, décrit un homme aimant faire le "show". L'école ne fait désormais plus appel à ses services en tant qu'intervenant. 

Il apportait son gilet 'presse', son casque de protection, des armes factices... Il y avait un côté un peu spectacle dans ses cours, qui peut faire rêver et maintenir l'enthousiasme des étudiants qui ont envie de sentir la poudre, mais qui n'a pas grand intérêt d'un point de vue pédagogique.

Frédéric Dupuis, directeur de l'ESJ Paris

à franceinfo

Criant à l'acharnement de certains de ses confrères qui "[le] détestent", Jean-Paul Ney revendique, lui, sa méthode, bien éloignée de celle du "milieu parigo-parisien". "Si j'étais aussi fou qu'on le disait, aussi radioactif, vous croyez vraiment que mes sources me feraient confiance ? Et dans ce cas, pourquoi on parle autant de moi quand je sors une info ?" s'interroge-t-il, avant de demander qu'on lui "foute la paix". Loin d'en rebuter certains, ce profil atypique finit par éveiller l'intérêt de plus en plus d'internautes en mal de confiance médiatique. Jean-Paul Ney en est bien conscient : "Qu'ils continuent à raconter des conneries sur moi, ça me fait une pub d'enfer. Vous n'imaginez pas le nombre de soutiens que je reçois..." 

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