Témoignages "Il faut être prudent quand on parle à des inconnus" : en Russie, la communauté LGBT vit dans la peur

Dans sa croisade ultra-conservatrice, le pouvoir russe a pris pour cible la communauté LGBT. Plusieurs lois et décisions de justice ont accentué la répression dans le pays ces derniers mois.
Article rédigé par Sylvain Tronchet
Radio France
Publié Mis à jour
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Lors d'un rassemblement LGBT à Saint-Pétersbourg, le 12 août 2017. Photod'illustration. (OLGA MALTSEVA / AFP)

La vie de Yan Dvorkin a basculé le 30 novembre 2023. Quand la Cour suprême russe a classé "extrémiste" le mouvement international LGBT. Personne ne connaît ce mouvement qui,factuellement, n'existe pas. Mais Yan Dvorkin, directeur du Centre T à Moscou, une association d'aide aux personnes transgenres, a bien compris que si un juge décidait qu'il faisait partie de ce mouvement, il risquait dix ans de prison, le tarif lors des poursuites pour "extrémisme" en Russie. Alors ce psychologue transgenre a décidé de fuir la Russie. "J'ai tout de suite compris, dès que j'ai lu la nouvelle", raconte-t-il.

"À la télévision, ils citaient le travail du Centre T en parlant d'une organisation extrémiste. Nous sommes partis avec mon mari, littéralement après l'annonce, sans attendre le tribunal, parce que j'avais le sentiment d'une menace."

Yan Dvorkin, directeur du Centre T à Moscou

à franceinfo

Depuis des années en Russie, la communauté LGBT est régulièrement stigmatisée et subit la répression du pouvoir mais les choses se sont particulièrement aggravées récemment. Le pouvoir russe prône le retour aux valeurs traditionnelles dans son opposition face à un Occident jugé décadent. En décembre 2021, deux mois avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine espérait que "les peuples russes auraient suffisamment d'anticorps pour lutter contre cet obscurantisme". Depuis, les lois s'accumulent : interdiction de la "propagande LGBT" en novembre 2022, interdiction des transitions de genre en juillet 2023, quelques mois avant la décision de la Cour Suprème. "A chaque fois on pense qu'on a touché le fond, mais non", se desespère Yan Dvorkin.

"J'ai peur de porter certains vêtements"

La décision de la plus haute juridiction russe a clairement ouvert les vannes de la répression. Désormais toute la communauté est visée, même dans ses cercles privés. Un reportage de la chaîne de télévision NTV diffusé en février montrait une descente de police dans une maison de la région de Saint Petersbourg. "Des agents ont interrompu une fête provocatrice expliquait la présentatrice. À l'intérieur, ils ont trouvé plusieurs dizaines de jeunes gens qui n'ont pas pu déclarer immédiatement quel était leur sexe." Le reportage, réalisé avec la collaboration des autorités montre ensuite des policiers cagoulés et armés criant "les mains en l'air" et plaquant au sol une dizaine de jeunes gens manifestement terrorisés.

Le bilan de cette "opération" a abouti à la saisie de quelques médicaments et d'un drapeau arc-en-ciel, symbole du mouvement LGBT, interdit en Russie. On ne sait pas s'il y a eu des poursuites pénales, mais le signal est clair pour toute la communauté. Jenia, un jeune transgenre de Moscou admet qu'il a peur désormais quand il sort. "J'ai peur de porter certains vêtements, raconte-t-il. Quand tu sais qu'une fille a été condamnée à de la prison pour des boucles d'oreilles arc-en-ciel, tu te dis : 'Oh mon Dieu ! Maintenant, ça peut m'arriver aussi !' Il faut être prudent quand on parle à des inconnus parce que quelqu'un peut te sembler sympathique et puis hop, il se passe quelque chose et dans ce cas, tu seras moins bien protégé à cause de ces lois."

"Vous n'êtes pas d'accord ? Partez à l'étranger"

Un climat de peur entretenu par la délation pratiquée jusqu'au plus haut niveau. En avril, le député de la Douma Alexandre Khinstein a publiquement désigné le ministre de l'Éducation de sa région de Samara, qui entretient une relation homosexuelle avec un collaborateur, selon lui, en publiant des photos des deux hommes en vacances. "Le lobby gay de la région de Samara a mis ses pattes arc-en-ciel sur les enfants et c'est effrayant, expliquait Alexandre Khinstein sur sa chaîne internet. De telles personnes ne devraient pas s'approcher de nos enfants. Les personnes qui élèvent nos enfants devraient promouvoir les valeurs traditionnelles de la Russie. Vous n'êtes pas d'accord ? Partez à l'étranger."

Le ministre a nié être gay, mais il a démissionné. La fuite, suggérée par Alexandre Khinstein, c'est le choix qu'ont fait de nombreux membres de la communauté LGBT ces derniers mois. Le Centre T a ouvert un refuge pour transgenres à Erevan, la capitale arménienne où ils sont nombreux à avoir fui. A Moscou, Vlad participe toujours à des shows de drag queen. Mais cette activité est de plus en plus risquée à Moscou. Il a déjà été agressé à la sortie d'un spectacle. "L'avenir en Russie, je ne le vois pas brillant et heureux", confie Vlad. Plusieurs clubs gays en Russie ont déjà du fermer. On ne sait pas encore exactement quelles peines encourrent leurs propriétaires.

"Ce que je veux faire dans la vie, ce que j'aime vraiment, je ne peux pas le faire normalement. Je ne peux pas non plus écrire sur les réseaux sociaux. Je ne peux donc pas m'imaginer en Russie dans le futur avec les lois actuelles."

Vlad

à franceinfo

Depuis son exil à l'étranger, Yan Dvorkin du Centre T continue ses consultations de psychologue à distance. "J'ai de plus en plus de patients qui internalisent la transphobie, explique-t-il. Puisque c'est dans la loi, puisque tout le monde autour d'eux pense que c'est mal, ils pensent qu'ils qu'ils sont anormaux, qu'ils sont malades. Et viennent ensuite l'automutilation et les tentatives de suicide. Certaines réussisent malheureusement." L'avenir de la communauté LGBT russe semble totalement bouché et tous se demandent quelle sera la prochaine invention du pouvoir pour accroître la répression.

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