Ce que l'on sait des soupçons de corruption de députés européens par un réseau d'influence prorusse
Des eurodéputés ont-ils été payés par la Russie pour faire la propagande de Moscou ? Un an après le Qatargate et à l'approche des élections européennes en juin, une nouvelle affaire ravive les craintes d'ingérences étrangères au sein du Parlement européen. Les services de renseignement tchèques et polonais ont fait état de vastes opérations, mercredi 27 et jeudi 28 mars, visant un réseau d'influence financé par Moscou. Celui-ci est soupçonné d'avoir répandu la propagande prorusse sur la guerre en Ukraine, notamment via le site Voice of Europe. Plusieurs eurodéputés ont accordé des interviews à cette plateforme, pilotée par un homme d'affaires proche du Kremlin. Voici ce que l'on sait de cette affaire.
Un réseau qui s'emploie "à influer sur les processus politiques" européens
Le Premier ministre de la République tchèque a annoncé mercredi que les services de renseignement du pays (BIS) ont démasqué un réseau prorusse dont les activités "pouvaient avoir un effet important sur la sécurité de la République tchèque et de l'UE". "Ce groupe s'employait à mener des opérations et des activités sur le territoire de l'UE destinées à nuire à l'intégrité territoriale, à la souveraineté et à l'indépendance de l'Ukraine", a expliqué le chef du gouvernement tchèque.
"L'activité du groupe (...) va également jusqu'au Parlement européen", a ajouté Petr Fiala, sans plus de détails. "L'opération du BIS a révélé combien la Russie étend son influence sur le territoire des pays membres de l'UE, et comment elle s'emploie à influer sur les processus politiques dans nos pays", expliquent les services de renseignement sur le réseau social X.
L'agence de sécurité intérieure polonaise, l'ABW, a de son côté rapporté jeudi des perquisitions menées "dans le cadre d'une enquête sur des activités d'espionnage menées au nom de la Russie contre des Etats et des institutions de l'Union européenne". L'opération, en coopération avec les renseignements tchèques, découle de la mise en état d'accusation en janvier d'un Polonais soupçonné d'espionnage. "L'homme, infiltré parmi les parlementaires polonais et européens, a exécuté des tâches commandées et financées par des collaborateurs des services de renseignement russes", notamment des activités de propagande et de désinformation, destinées à "bâtir des zones d'influence russes en Europe", selon ABW. Son identité n'a pas été révélée.
Dans le cadre de ce réseau d'influence, "la Russie a approché des eurodéputés, mais aussi payé pour promouvoir la propagande russe. Il s'agit de parlementaires touchant de l'argent", a affirmé jeudi le Premier ministre belge, Alexander De Croo, devant la Chambre des représentants belge.
Le média Voice of Europe au cœur de l'affaire
Ce réseau d'influence est soupçonné d'avoir répandu sa propagande via un média en ligne prorusse basé à Prague, baptisé Voice of Europe. Selon le quotidien tchèque Denik N, le site était piloté par Viktor Medvedtchouk, un ancien député ukrainien et homme d'affaires proche de Vladimir Poutine. Son associé, l'homme de médias Artem Martchevsky, était pour sa part en charge des contenus publiés sur Voice of Europe, ainsi que des relations avec les responsables politiques européens, ajoute le journal.
Le gouvernement tchèque a annoncé avoir placé Voice of Europe ainsi que les deux hommes sur la liste des entités et personnes sanctionnées par le pays. Le site est désormais fermé, et ses comptes sur les réseaux sociaux sont inactifs, mais des vidéos dans lesquelles des eurodéputés apparaissent sont toujours en ligne.
Des soupçons visant des eurodéputés de plusieurs pays
Le journal tchèque Denik N assure que des responsables politiques européens qui coopéraient avec Voice of Europe, et y ont publié des appels à cesser l'aide à l'Ukraine, ont été payés par des fonds russes. Le quotidien ajoute que cet argent a également financé des campagnes pour les prochaines élections européennes. Les paiements concernent des responsables politiques de France, de Belgique, d'Allemagne, de Hongrie, des Pays-Bas et de Pologne, selon le média.
Dans l'un de ses articles, Denik N évoque notamment l'implication du parti d'extrême droite allemand AfD. Plusieurs membres de la formation, "dont les deux têtes de liste aux européennes, ont donné des interviews à Voice of Europe", relate Le Monde.
Des députés du parti d'extrême droite belge Vlaams Belang sont aussi soupçonnés. L'un d'eux, Filip Dewinter, qui a accordé une interview en septembre à Voice of Europe, assure au journal belge De Standaard ne pas avoir été rémunéré pour cet entretien, et partage son "étonnement" quant au fait que "des Russes se trouveraient derrière ce site".
Interrogé par France 2, le député européen du Rassemblement national Jean-Paul Garraud affirme n'avoir "strictement aucune connaissance" d'élus ayant été payés par la Russie. "Bien entendu, il n'est pas question qu'un de nos députés monnaie (...) ses interventions", insiste l'eurodéputé RN.
Des députés européens réclament une enquête interne
A la suite de ces révélations, des responsables centristes et écologistes au Parlement européen ont appelé vendredi à l'ouverture d'une enquête. Valérie Hayer, la présidente du groupe Renew Europe et tête de liste de la majorité présidentielle française aux prochaines élections, a écrit à la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, pour réclamer l'ouverture d'une enquête interne "immédiate et transparente, en coopération avec les autorités nationales".
"Les électeurs doivent savoir si les eurodéputés ou candidats travaillent avec le soutien de la Russie ou de ses mandataires, la démocratie en Europe doit être défendue à tout prix contre ces menaces."
Valérie Hayer, présidente du groupe Renew Europedans une lettre à la présidente du Parlement européen
Les Verts exigent également "une enquête rapide et approfondie à l'échelle européenne". "Poutine tente de s'en tirer avec sa guerre en Ukraine (...) c'est une attaque directe contre le tissu même de notre démocratie. Les politiques ayant reçu de l'argent doivent être sévèrement punis, tant politiquement qu'en justice", a insisté l'élue allemande Terry Reintke, cheffe de file des écologistes au niveau européen pour le scrutin de juin.
"Le Parlement [européen] examine actuellement, en coordination avec ses partenaires institutionnels, les conclusions des autorités tchèques, notamment concernant le média Voice of Europe", a de son côté réagi une porte-parole de l'institution. L'accès à l'institution des médias "figurant sur les listes de sanctions de l'UE", notamment en raison de désinformation sur la guerre en Ukraine, est déjà interdit, et les eurodéputés "sont tenus à des règles claires en matière d'indépendance et d'éthique", sous peine de "pénalités", a-t-elle rappelé.
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