"S'ils me tuaient, ça ne changerait rien" : ce qu'il faut retenir de l'entretien posthume de l'opposant russe Alexeï Navalny
C'est une vidéo de trente-sept minutes qui n'avait jamais été diffusée. Sur les images, Alexeï Navalny répond aux questions de Jacques Maire, alors député de La République en marche. Nous sommes en décembre 2020, dans un hôtel de Berlin, et l'opposant russe est encore vivant. Vivant et libre de ses mouvements. Face au parlementaire français, il parle de la tentative d'empoisonnement dont il vient d'être victime, de Vladimir Poutine et de sa mort, qu'il sait déjà inéluctable. Franceinfo vous résume ce qu'il faut retenir de cet entretien posthume, publié jeudi 7 mars par Libération et LCI.
Sur les conditions de l'interview
La rencontre a lieu dans un hôtel ultra-sécurisé de Berlin, le 17 décembre 2020. A l'époque, c'est dans la capitale allemande que l'opposant russe est soigné après la tentative d'empoisonnement qui a failli lui coûter la vie. Jacques Maire, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a fait le déplacement pour l'interroger dans le cadre d'une enquête menée par le Conseil de l'Europe.
L'élu souhaite "qualifier juridiquement les faits" et établir la responsabilité des autorités russes. Au moment de l'audition, Moscou est toujours membre du Conseil de l'Europe, principale organisation de défense des droits de l'homme en Europe. Dans cette déposition filmée, l'opposant à Vladimir Poutine répond aux questions en anglais. Un mois jour pour jour après, l'opposant russe montera dans l'avion, direction la Russie, et la prison.
Cette audition de près de quarante minutes "n'avait pas vocation à être" rendue publique. Avec l'accord de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Jacques Maire livre donc au débat public cette vidéo inédite. Car il s'agit de "documents d'intérêt public pour l'histoire", réagit l'ancien député dans les colonnes de Libération. C'est "une façon aussi de rendre hommage [à Navalny]. Parce que tous ceux qui voient cette vidéo, voient cet homme qui sort de l'hôpital, qui vient d'être empoisonné et qui se dit : 'Je repars au combat demain'."
Sur la surveillance des services secrets
Dans cet entretien, Alexeï Navalny situe le début de ses ennuis avec le Kremlin après son succès aux municipales de Moscou en 2013, au moment où il déclare son intention de briguer la présidence. C'est là, dit-il, que les services secrets "ont commencé à me surveiller". "Et puis, tout d'un coup, ils ont commencé à me suivre dans chaque voyage."
"C'est une routine, chaque fois que je vais quelque part, je suis surveillé."
Alexeï Navalny, opposant russe
Et l'opposant russe de continuer : "C'est une surveillance régulière faite par la police ou par le FSB, avec des personnels locaux, tout le temps quand je suis en déplacement. Et à Moscou aussi. Tout le temps. Mais c'est très facile de les repérer : ils ne font que vous suivre, ces hommes qui font semblant de parler au téléphone."
Sur son empoisonnement
Malgré la gravité des circonstances, l'ambiance semble détendue entre Jacques Maire et Alexeï Navalny. Café à la main, l'opposant russe raconte la tentative d'empoisonnement dont il a été victime quelques mois plus tôt, le 20 août 2020. Avec un brin d'humour, il décrit une opération soigneusement préparée, "totalement digne d'Hollywood". "Je n'ai pas le moindre doute sur le fait que ces gens me suivaient depuis quatre ans", poursuit-il. Ce n'est pas une opération simple à réaliser, il faut beaucoup de préparation. Même si vous êtes du FSB, vous ne pouvez pas simplement aller à l'hôtel et dire : 'Ouvrez-moi cette porte'. Il y a des caméras. Vous ne savez pas si ça va fuiter."
"Quant à ceux qui m'ont empoisonné, c'est une section très secrète. Même au sein du FSB, personne ne les connaît."
Alexeï Navalny, opposant russe
Devant le parlementaire français, il va jusqu'à avancer ses propres hypothèses. "Le produit était peut-être dans le Negroni que j'ai bu, sur un oreiller, une serviette, le savon, ou sur les bouteilles d'eau dans la chambre d'hôtel", liste-t-il. Avant d'ajouter cyniquement : la "beauté du Novitchok", c'est que "personne ne peut savoir quand et comment vous avez été empoisonné".
Sur sa fin qu'il savait inéluctable
Au moment de l'audition, Alexeï Navalny a déjà en tête son intention de rentrer dans son pays. Jacques Maire lui pose la question : pense-t-il être arrêté à son retour ? Alexeï Navalny hésite. "C'est une question à laquelle je ne préfère pas répondre, explique-t-il. Ils profèrent sans cesse des menaces, ils ont saisi mon appartement et mes comptes en banque. (...) Est-ce que je serai arrêté à l'aéroport ? Ou plus tard ? Je n'en ai aucune idée."
Pour autant, il en est certain, son emprisonnement en Russie ne freinerait pas le mouvement d'opposition qu'il a lancé. A l'élu français, il confie même ne plus être essentiel à cette cause "qui sait comment fonctionner". A l'image, le voilà qui se redresse : "S'ils me tuaient, cela ne changerait rien, car il y a d'autres personnes qui sont prêtes à me remplacer."
"Mes équipes savent opérer sans moi, je passe beaucoup de temps chaque année en prison, ils sont habitués. Bien sûr, ce serait plus difficile. (...) Mais il y a d’autres personnes qui peuvent diriger."
Alexeï Navalny, opposant russe
Un mois après avoir prononcé cette phrase, le 17 janvier 2021, Alexeï Navalny s'envole pour la Russie. A son atterrissage à Moscou, il est arrêté par la police au moment de passer le contrôle des passeports. C'étaient ses dernières secondes de liberté. Il est mort le 16 février 2024 dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique, où il purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme".
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