Mort d'Alexeï Navalny : les derniers mois de l'opposant russe, envoyé dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique

L'homme qui défiait Vladimir Poutine purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme". Il est mort vendredi à l'âge de 47 ans, quelques mois après avoir été enfermé dans l'un des établissements les plus rudes du système carcéral russe.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'opposant russe Alexeï Navalny apparaît à distance lors d'une audience à Kovrov (Russie), le 10 janvier 2024. (ANTONINA FAVORSKAYA / AP / SIPA)

Il était l'adversaire numéro un de Vladimir Poutine. L'opposant russe Alexeï Navalny est mort à l'âge de 47 ans dans une colonie de l'Arctique, vendredi 16 février, ont annoncé les services pénitentiaires russes. Le quadragénaire "s'est senti mal après une promenade et a presque immédiatement perdu connaissance", ont-elles précisé, assurant que les secours avaient tenté de le sauver. A ce stade, les causes de la mort n'ont pas été communiquées.

Aussitôt après cette annonce, les réactions occidentales se sont multipliées, accusant les autorités russes. "Dans la Russie d'aujourd'hui, on met les esprits libres au goulag et on les y condamne à la mort", a ajouté Emmanuel Macron. Alexeï Navalny, qui n'a cessé de dénoncer la répression et la corruption du régime, purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme". De son transfèrement dans cette colonie pénitentiaire reculée de l'Arctique à son dernier appel, franceinfo retrace les derniers mois de l'opposant russe.

Début décembre, ses proches sans nouvelles de lui

Après un empoisonnement et des soins prodigués en Allemagne en 2020, Alexeï Navalny est arrêté en janvier 2021 à son retour en Russie. Il est ensuite condamné à de lourdes peines, notamment celle de 19 ans de prison pour "extrémisme" en août dernier. A l'automne, l'opposant est en détention dans la colonie pénitentiaire IK-6 de Melekhovo, à 250 kilomètres à l'est de Moscou. Le détenu est régulièrement envoyé à l'isolement : il y a déjà passé 236 jours, affirme sa porte-parole Kira Iarmych. Sa nouvelle peine, très lourde, prévoit une incarcération dans une "colonie de sécurité maximale". 

Le 11 décembre, ses proches et soutiens se disent sans nouvelles de lui, depuis six jours. Selon Kira Iarmych, les avocats du détenu ont visité le jour-même et quelques jours plus tôt "deux colonies pénitentiaires de la région de Vladimir où Alexeï Navalny pourrait se trouver", mais "il n'y était pas". L'une des prisons leur a simplement annoncé que le prisonnier "ne figurait plus sur leurs registres", sans dire "où il avait été transféré"

La Maison Blanche affirme être "très préoccupée" et appelle à sa libération immédiate. A Bruxelles, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, évoque des "nouvelles très préoccupantes" et fustige "une incarcération aux motifs politiques". Moscou réplique, dénonçant une ingérence "inacceptable". "Il s'agit d'un prisonnier qui a été reconnu coupable (...) et qui purge la peine qu'il a reçue", déclare le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. 

Extrait de sa prison vers un lieu inconnu

Quelques jours plus tard, les soutiens d'Alexeï Navalny assurent que l'opposant a quitté son lieu de détention vers une destination inconnue. Un tribunal a annoncé à l'avocat de l'homme politique qu'il avait "quitté la région de Vladimir (...) on ne sait pas vers quelle destination exactement", précise sa porte-parole en exil. D'après elle, le transfert a eu lieu le 11 décembre. Quand elle s'exprime à ce sujet, les proches d'Alexeï Navalny sont sans nouvelle depuis près de dix jours. 

D'après le tribunal cité par le journal russe Kommersant, l'opposant a quitté son lieu de détention "conformément au verdict du tribunal municipal de Moscou du 4 août 2023, qui est entré en vigueur". Elle requiert un placement dans une colonie à "régime spécial", avec les conditions d'incarcération les plus strictes en Russie.

Fin décembre, il est localisé dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique

"Nous avons trouvé Navalny." Le 25 décembre, Kirma Iarmych annonce sur X qu'Alexeï Navalny se trouve dans la colonie pénitentiaire n°3 de Kharp, localité de quelque 5 000 habitants dans la région reculée de Iamalo-Nénétsie, au nord de la Russie. L'opposant russe est ainsi incarcéré dans l'Arctique, à plus de 3 000 km de Moscou. Il "va bien" et a reçu la visite de son avocat, précise sa porte-parole.

D'après Ivan Jdanov, l'un des proches collaborateurs d'Alexeï Navalny, l'opposant se trouve dans "l'une des colonies les plus septentrionales et les plus éloignées" de Russie, où "les conditions y sont difficiles""Il est très difficile de s'y rendre et il n'y a pas de système de distribution de lettres" ou d'accès au téléphone, dépeint-il. La colonie, surnommée "Loup polaire", est un héritage du goulag soviétique. Les détenus doivent notamment se charger du tannage et de la couture de peaux de rennes pour les populations autochtones locales. Kharp compte aussi un lieu de détention surnommé "Hibou polaire", une colonie à "régime spécial". 

"Dès le début, il est apparu clairement que les autorités voulaient isoler Alexeï, en particulier avant l'élection" présidentielle du 15 au 17 mars en Russie, dénonce alors Ivan Jdanov. Le 8 décembre, à l'heure où les proches d'Alexeï Navalny étaient sans nouvelles de l'opposant, Vladimir Poutine annonçait sa candidature pour un cinquième mandat à la tête du pays.

L'opposant russe assure aller "bien", après son transfèrement 

Au lendemain de sa localisation, l'opposant donne quelques nouvelles rassurantes sur les réseaux sociaux. "Ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais bien. Je suis soulagé d'être enfin arrivé", déclare-t-il sur X, se disant "dans un bon état d'esprit, tel un père Noël". Une référence à sa barbe qui a poussé pendant ses vingt jours de trajet vers son nouveau lieu de détention. Un voyage "assez fatiguant" à l'itinéraire "si étrange", raconte le détenu. 

Début janvier, Alexeï Navalny souligne faire une nouvelle fois l'objet d'une mesure d'isolement, pour une semaine. "L'idée selon laquelle Poutine serait satisfait par le fait qu'il m'a mis dans une cabane du Grand Nord et que je ne serais plus torturé à l'isolement était non seulement lâche, mais aussi naïve", dénonce-t-il. Au cours d'audiences retransmises à distance, l'opposant russe apparaît souriant, mais amaigri, les traits plus marqués. Selon ses soutiens, l'incarcération joue sur la santé du militant. 

Début février, un dernier appel à se mobiliser contre Vladimir Poutine 

Le 1er février, s'exprimant depuis Kharp, Alexeï Navalny invite l'ensemble des électeurs opposés à Vladimir Poutine à se mobiliser du 15 au 17 mars, lors de l'élection présidentielle en Russie. "J'aime l'idée que ceux qui votent contre Poutine se rendent ensemble aux urnes à la même heure, à midi. Midi contre Poutine", défend le détenu sur X. "Cela pourrait être une forte démonstration du sentiment national. (...) De vraies personnes faisant la queue pour voter contre Poutine, contre des votes 'oui' faux et frauduleux." 

Pour l'opposant, cette action pourrait être "une protestation nationale contre Poutine, près de là où vous vivez". "Elle est accessible à tous et partout. Des millions de personnes pourront participer, et des dizaines de millions de personnes pourront l'observer", poursuit-il. Un dernier message public d'opposition au Kremlin, deux semaines avant l'annonce de sa mort. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.