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Une vie de famille "par visioconférence" : le mari et la fille de Nazanin Zaghari Ratcliffe, détenue en Iran depuis cinq ans, témoignent

Condamnée en 2016 pour complot, Nazanin Zaghari Ratcliffe a purgé sa peine de prison et attend une nouvelle audience pour pouvoir quitter le pays. Son mari, Richard, et Gabriella, leur fille de six ans, se sont confiés a franceinfo.

Article rédigé par Richard Place
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Richard Ratcliffe, mari de Nazanin Zaghari Ratcliffe détenue en Iran, chez lui à Hampstead, au nord de Londres, en mars 2021. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Si vous voulez bien enlever vos chaussures, Nazanin y tient particulièrement." Richard Ratcliffe prononce cette phrase sans le moindre second degré. À l’entrée de son appartement dans le quartier de Hampstead, au nord de Londres, il faut donc se déchausser car sa femme, retenue en Iran depuis cinq ans, l’exige.

Une vie de famille par visioconférence

Malgré son absence physique Nazanin Zaghari Ratcliffe habite les lieux. Son mari et sa fille de six ans, Gabriella, pensent à elle, parlent d’elle constamment. Le visage de cette brune souriante de 42 ans sur de nombreuses photos dans les étagères du séjour. Et puis, depuis le début du mois de mars, elle est en quelque sorte revenue, un peu. "Nous parlons par visioconférence", explique Richard Ratcliffe.

Les premières fois, c’étaient des discussions de trois ou quatre heures non-stop, nous avions du temps à rattraper. Le moindre détail était important. Comme ce mur que j’ai peint en bleu et qu’elle n’aime pas du tout. Gabriella lui montre ses dessins, lui raconte ses journées en classe."

Richard Ratcliffe

à franceinfo

Ils s’appellent maintenant deux fois par jour. En général, un appel le matin avant le départ à l’école. Nazanin Zaghari-Ratcliffe aime voir sa petite fille se préparer, se brosser les cheveux. Un autre appel le soir, ils dînent ensemble. L'ordinateur est posé sur la table. La mère de famille n'est pas tout à fait là mais plus complètement absente. "De ce point de vue-là, nous sommes une famille, plus que nous ne l’étions il y a deux ou trois ans", souffle le mari.

La "diplomatie des otages"

Lors de son procès, en Septembre 2016, Nazanin Zaghari-Ratcliffe, cheffe de projet pour la Fondation Thomson Reuters, branche philanthropique de l'agence de presse du même nom, est condamnée à cinq ans de prison pour complot contre le régime. Les gardiens de la révolution affirment qu’elle dirige un "réseau hostile, lié à l’étranger". Aucune preuve ne sera produite.

"Quand ça lui tombe dessus, dans un premier temps, vous cherchez à prouver son innocence, dit aujourd’hui Richard Ratcliffe. Vous alertez tout le monde. Vous hurlez que c’est une erreur…" Son explication se perd dans un sourire triste face à ce qu’il voit désormais comme de la naïveté. Le comptable de profession devient alors militant. Il défend la cause de son épouse auprès des politiques et dans les médias. Epaulé par des ONG, il se mue en expert du dossier et finit par comprendre que cette arrestation les dépasse. Il découvre la "diplomatie des otages".

Si Nazanin Zaghari-Ratcliffe est détenue en Iran, c’est à cause d’un contrat dont elle n’avait jamais entendu parler, qui s’est noué avant même sa naissance. Une dette britannique envers l’Iran contractée dans les années 1970 qui n’a pas été payée, un différend de plusieurs millions de livres sterling. Le couple a acquis cette certitude en grapillant des informations chacun de leur côté. Elle, de la bouche d’un juge iranien, lui, auprès d’élus et d’experts. Sa détention la transforme en monnaie d’échange, en moyen de pression. 

Elle attend une nouvelle audience

La mère de famille a achevé de purger sa peine en résidence surveillée le 7 mars mais son passeport lui a été confisqué. Il lui est donc interdit de quitter l'Iran. Un second procès a été intenté contre elle pour "propagande contre le système pour avoir participé à un rassemblement devant l'ambassade d'Iran à Londres en 2009", selon son avocat. Elle a comparu le 14 mars devant un tribunal à Téhéran et attend une nouvelle audience.

Au milieu de cet écheveau, ces jeunes parents tentent d’élever Gabriella. Agée de six ans aujourd’hui, l'enfant a vécu en Iran jusqu’en 2019 chez ses grands-parents maternels. Elle pouvait voir sa mère brièvement, rarement. Il y a deux ans, elle a été autorisée à rejoindre son père à Londres. Richard Ratcliffe a dû apprendre cette vie à deux, trouver sa place, élever sa fille tout en luttant pour sa femme.

"Je suis un très mauvais comptable ces derniers temps. Heureusement, j’ai un patron extrêmement compréhensif."

Richard Ratcliffe

à franceinfo

Dans l’entrée de l’appartement, à côté des chaussures qu’il convient de retirer, est garé un petit vélo rose. La porte ouverte sur la chambre de Gabriella permet de voir qu’elle est une enfant gâtée : des jouets, des peluches… pour une vie de petite fille presque comme les autres. Même si, régulièrement, la réalité de cette mère absente la rattrape. "La peine de prison de Nazanin s’achevait le 7 mars, elle avait entrepris un compte à rebours là-bas, raconte Richard Ratcliffe. Alors Gabriella a fabriqué un grand calendrier, qu’elle a dessiné elle-même. On s’est pris au jeu tous les trois. On se racontait ce que l’on allait faire une fois que maman serait rentrée : 'On ira nager à la piscine', 'on ira à la boutique de jouets' etc. Et puis, on s’est rendu compte que finalement, le 7 mars, elle ne serait pas libérée. À son âge, Gabriella a déjà dû composer avec beaucoup de bonnes nouvelles qui n’ont finalement jamais eu lieu."

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