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Après les élections législatives, "le Royaume-Uni est devenu un 'Brexitanic' sans pilote"

Alex Taylor, journaliste britannique, commente pour franceinfo les résultats des élections législatives anticipées au Royaume-Uni. Il dresse un tableau sombre et incertain de l’avenir de son pays.

Article rédigé par franceinfo - Geoffrey Lopes
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Le palais de Westminster se reflète dans la Tamise, à Londres, le 9 juin 2017, au lendemain des élections législatives britanniques.  (HANNAH MCKAY / REUTERS)

"Mayhem" ("massacre"). Un seul mot s'affiche, vendredi 9 juin, à la une des journaux britanniques, au lendemain des élections législatives anticipées. "C'est un désastre, une catastrophe", commente par exemple The Times. D'après des résultats quasiment définitifs rapportés par la BBC (en anglais), le Parti conservateur arrive en tête avec 318 sièges mais perd 12 députés et, du même coup, sa majorité absolue à la Chambre des communes. Le parti de la Première ministre Theresa May devance les travaillistes (261 sièges), le Parti national écossais (35), les libéraux-démocrates (12) et les unionistes nord-irlandais (10), tandis que les europhobes de l'Ukip ne parviennent pas à reconquérir le seul siège qu'ils détenaient dans le centre de l'Angleterre.

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A la mi-journée, Theresa May a annoncé la formation d'un nouveau gouvernement. Dans la nuit, elle avait assuré que "le pays a besoin d'une période de stabilité. Si mon parti obtient la majorité, je serai chargée de l'assurer". Mais que peut-il se passer désormais ? Comment la Première ministre pourra-t-elle mener à bien les négociations sur le Brexit ? Franceinfo a interrogé Alex Taylor, journaliste britannique, ancien chroniqueur notamment pour France Inter ou Europe 1.

Franceinfo : Quelles conclusions doit-on tirer de ces élections anticipées ?

Alex Taylor : Cette lourde défaite des conservateurs est une surprise. C'est un échec cuisant pour le parti et un désaveu personnel pour Theresa May. La Première ministre n'avait pas besoin de ces élections puisqu'elle détenait déjà une courte majorité absolue à la Chambre des communes. Elle assurait pourtant qu'il n'était pas question de convoquer de nouvelles élections. Elle a finalement changé d'avis au cours d'un week-end de randonnée avec son mari en avril, au moment où des sondages lui prédisaient une avance de 180 sièges sur les travaillistes. Elle a maquillé sa décision derrière une prétendue opposition de ses adversaires au Brexit, alors que l'ensemble des partis venaient de voter l'article 50 du traité sur la sortie de l'Union européenne au Parlement. Elle souhaitait que les Britanniques lui donnent toutes les cartes et un mandat clair pour négocier à Bruxelles. C'était du pur opportunisme et c'est raté. Je ne la vois pas rester bien longtemps au 10 Downing Street.

Peut-on s'attendre à un renouvellement dans la classe politique britannique ?

Malheureusement, je ne vois aucune figure charismatique dans la politique britannique actuelle. Nick Clegg, chef des Libéraux-démocrates, vient de perdre son siège, à l'image des leaders du Parti national écossais. Il n'y a personne. Theresa May a convoqué des élections en croyant profiter de la faiblesse de ses adversaires. Le Brexit a coupé le mât de ce grand "Brexitanic" qui dérive au milieu de l'Atlantique désormais sans pilote. C'est comme ça que je perçois mon pays en ce moment. On a empêché Boris Johnson de parler pendant la campagne, mais c'est le seul qui a du crédit médiatique. Toutefois, il semble assez inenvisageable qu'il devienne Premier ministre.

Se dirige-t-on vers de nouvelles élections législatives anticipées ?

Tout est possible, mais je pense que de nouvelles élections seront prochainement organisées. Les Britanniques détestent les blocages institutionnels à la belge. En 1974 déjà, les conservateurs avaient convoqué des élections pour mieux les perdre et Harold Wilson n'avait tenu que quelques mois. Aujourd'hui, le seul parti sur lequel May peut compter sont les Unionistes nord-irlandais. Pas très fréquentables. Leur soutien sera coûteux et ils risquent de se montrer très exigeants. Même s'ils se disent en faveur du Brexit, ils écartent la mise en place d'une frontière entre les deux Irlande et redoutent la résurgence de violences.

De son côté, Jeremy Corbyn a fait une bonne campagne et il va peut-être essayer de faire barrage à May, mais la mission s'annonce compliquée. Encore une fois, le seul mot qui me vient c'est "pagaille". La grande majorité des médias britanniques soutenaient Theresa May et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, les Britanniques ne les ont pas suivis.

Ces résultats vont-ils freiner le Brexit ?

C'est peut-être la fin du Brexit, tout simplement. Comment voulez-vous qu'un faible Premier ministre négocie à Bruxelles face aux 27 autres chefs d'Etat ? Theresa May avait toutes les chances de son côté pour gagner cette élection et, comme le dit le député conservateur Nigel Evans, elle s'est tiré une balle dans la tête après une campagne désastreuse. Les Britanniques n'ont plus confiance en elle et n'acceptent plus son arrogance. Le "hard Brexit" (sortie totale de l'UE) qu'elle défend n'a plus de légitimité. Elle n'est plus crédible et dans son parti déjà, beaucoup d'adversaires veulent la faire tomber. Le Brexit divise toujours autant les partis, Tories compris. Quant à l'Ukip, je ne vois plus à quoi il sert. Les Britanniques ne sont pas racistes. En votant pour le Brexit, ils ont juste poussé un cri de désespoir contre la vie chère et espéraient que les hôpitaux allaient récupérer les fameux 350 millions de livres hebdomadaires cédés à Bruxelles, que citait l'Ukip. Les gens ont finalement compris que ce n'étaient que des mensonges.

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