Pourquoi l'Etat islamique a-t-il revendiqué l'attentat de Strasbourg deux jours après les faits ?
Cherif Chekatt, l'auteur de l'attentat au marché de Noël de Strasbourg, qui a fait trois morts et treize blessés, est un "soldat" du groupe Etat islamique (EI), a annoncé son média de propagande Amaq.
Cherif Chekatt "faisait partie des soldats de l'Etat islamique". Quarante-huit heures après les faits, l'agence de propagande Amaq a revendiqué l'attentat du marché de Noël de Strasbourg du mardi 11 décembre, qui a fait trois morts et treize blessés.
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Selon un communiqué cité par le groupe de surveillance des réseaux extrémistes SITE, Cherif Chekatt "a mené cette opération en réponse à l'appel à viser les citoyens [des pays] de la coalition internationale" qui combat l'EI en Syrie et en Irak. L'homme de 29 ans a été localisé et tué jeudi 13 décembre par la police, après deux jours de traque.
Depuis 2017, plusieurs attaques menées en Europe et aux Etats-Unis ont été revendiquées par l'organisation terroriste, mais ont été dementies ou comportaient des erreurs. Comment comprendre ces revendications ? Franceinfo a posé la question à Wassim Nasr, journaliste à France 24 et auteur de Etat islamique, le fait accompli (ed.Plon).
Franceinfo : pourquoi l'Etat islamique a-t-il attendu quarante-huit heures pour revendiquer l'attaque ?
Wassim Nasr : Il n'y a pas de règles bien définies, c'est au cas par cas. Dans l'attentat de Strasbourg, l'Etat islamique a attendu la mort de Cherif Chekatt pour revendiquer, mais lors des attentats d'Istanbul [en décembre 2017] ou de Kaboul [en janvier 2018], le groupe avait reconnu les attentats avant même que les terroristes soient tués. Leurs auteurs étaient toujours en cavale ou arrêtés. En général, ils revendiquent après la mort car ils ne veulent pas aider les autorités à avoir plus d'éléments pendant leur enquête ou pendant la traque.
Si le terroriste est arrêté, ils ne veulent pas non plus aider la justice à établir des faits et à le condamner lourdement. Des sources jihadistes m'ont expliqué qu'ils préfèrent que sa peine soit allégée, en se tenant à l'écart, en espérant que la personne reste fidèle pendant sa période d'incarcération et qu'ils puissent le "réactiver" à un moment ou un autre. Salah Abdeslam n'a jamais été cité par l'EI. Quand son frère est mort, ils ont fait son éloge funèbre, mais ils estiment, le plus souvent, que si la personne est toujours en cavale ou arrêtée, ce n'est pas dans leur intérêt de communiquer.
Peut-on parler de revendication "opportuniste" ?
Pour moi, il n'y a pas de revendication opportuniste. L'Etat islamique dit à ses aspirants jihadistes "commettez des attentats, avec des couteaux, des voitures, dites que c'est en notre nom et nous revendiquerons derrière". Dans le cas de Strasbourg, Cherif Chekatt a affirmé au chauffeur du taxi dans lequel il est monté qu'il avait "tué des gens (...) pour nos frères morts en Syrie". Il y avait suffisamment d'éléments qui correspondent avec l'idéologie de l'Etat islamique pour qu'il revendique l'attaque. L'envoi d'une équipe formée sur le terrain comme celle du 13-Novembre est une exception.
L'Etat islamique dit même à ses aspirants de ne pas entrer en contact avec lui avant les attaques, car cette communication peut aider les services de sécurité à déjouer leurs opérations. L'organisation s'adapte toujours à la contrainte sécuritaire des pays où elle attaque.
En revanche, il y a déjà eu des erreurs. Juste après la tuerie de Las Vegas [en octobre 2017], pas mal de sites complotistes avaient affirmé que l'assaillant était un converti à l'islam, or c'était faux. L'Etat islamique est tombé dans l'erreur, il a revendiqué et n'a jamais fait marche arrière. Il s'est passé la même chose avec l'attaque au couteau de Trappes (Yvelines) [en juin 2018] : l'homme était fiché "S", originaire d'une commune connue dans leur sphère, mais la revendication a été hâtive. On a appris par la suite que le suspect avait tué sa mère et son frère, que son profil n'était pas celui d'un terroriste islamique. Mais en général, la revendication intervient après la mort.
Le retrait du groupe en Irak et en Syrie affaiblit-il la menace terroriste en France ?
Le fait de perdre du territoire, ça les empêche d'envoyer une équipe en Europe comme ce qu'ils ont fait le 13-Novembre, et ils passent à un mode opératoire "moins performant", mais l'impact est moindre sur la capacité de nuisance terroriste et encore moins sur l'idéologie.. Dans l'imaginaire d'un jihadiste, ils se disent "la bataille de Mossoul, c'est neuf mois, cela a été plus long que la bataille de Stalingrad", donc l'idéologie jihadiste résiste.
Pour eux, ce qui se passe en Irak et en Syrie n'est qu'une étape et cela ne signifie pas qu'ils n'ont plus la volonté d'exporter la guerre dans les pays occidentaux par le biais d'attentats. On a bien vu, après la prise d'otages de Trèbes, que l'Etat islamique était toujours capable de mobiliser des personnes à passer à l'acte.
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