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Récit "Ça a duré deux secondes en tout" : après 48 heures de traque, trois policiers mettent fin à la cavale de Cherif Chekatt

Article rédigé par franceinfo
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Des forces de police sont positionnées près du lieu où Cherif Chekatt est mort après un échange de coups de feu, jeudi 13 décembre 2018 à Strasbourg (Bas-Rhin). (ALAIN JOCARD / AFP)

L'auteur présumé de l'attentat commis dans le centre-ville de Strasbourg a été abattu dans le quartier où un chauffeur de taxi l'avait déposé mardi soir.

Cherif Chekatt ne représente plus une menace. Suspecté d'avoir semé la mort dans les rues du centre-ville de Strasbourg, ce "fiché S" de 29 ans a été abattu par les forces de l'ordre, jeudi 13 décembre, dans le quartier de Neudorf, à 500 m du stade de la Meinau. Plus de 700 policiers ont été mobilisés pendant deux jours pour localiser cet homme dangereux et violent, aperçu pour la dernière fois dans le secteur après l'attentat de mardi soir.

Fusillade dans la rue du Lazaret

Tout s'est joué vers 21 heures, quand une patrouille de police remarque un homme suspect dans la rue Lazaret. "Celui-ci, qui a détecté la présence du véhicule sérigraphié de police, fait "mine de rentrer dans l’immeuble situé au numéro 74", expliquera le procureur de la République. Les policiers empruntent la rue en sens inverse. Ils constatent alos que cet homme n'arrive pas à ouvrir la porte et que sa tenue ressemble à celle du signalement. Quand ils se présentent, Cherif Chekaat se retourne et tire un coup de feu, qui vient se loger au-dessus de la portière arrière gauche sans blesser aucun des agents.

Armés de pistolets HK-UMP 9 mm, deux des trois policiers à bord ripostent aussitôt avec des tirs nourris qui ne laissent aucune chance au suspect. Au total, la scène n'a duré que quelques secondes à peine, raconte un témoin à franceinfo.

On a ramené les filles dans leurs chambres et là d’un seul coup, j’étais dans le salon et j’ai entendu une fusillade. J’ai dit à tout le monde 'on reste dans les chambres et on ne bouge plus'. J’ai entendu un tir et un dixième de seconde plus tard cinq ou six tirs simultanés, ça a duré deux secondes en tout.

Un voisin

à franceinfo

Après 49 heures de traque, le corps de Cherif Chekatt gît désormais sur les deux marches d'un immeuble et sa mort est constatée à 21h05. A ses côtés, un revolver ancien chargé de six muntions, dont cinq percutées. Les enquêteurs découvrent également un couteau et huit autres munitions de 8mm dans la poche intérieure de sa parka.

Le quartier de Neudorf était sous tension depuis l'après-midi. "Il y avait déjà eu une opération de police", explique une habitante à franceinfo. En entendant les hélicoptères passer régulièrement, elle s'est dit que Cherif Chekatt "devait être dans le quartier. C'est impressionnant, c'est la porte juste à côté. On est au 72 et c'est au 74 qu'il a été abattu..."

Un homme aperçu passant de jardin en jardin

Sur place, un très important dispositif de police est déployé pour bloquer la rue du Lazaret. Des équipes de déminage sont dépêchées, pour vérifier l'absence de danger. "Faut les applaudir !", "Bravo !", "Champions du monde !", "Ça fait deux jours qu'on ne dort pas..." Quelques dizaines d'habitants descendent pour suivre les opérations et certains saluent même le passage des convois de policiers avec des applaudissements nourris, une réaction à la mesure du soulagement des habitants. Les derniers doutes sont définitivement levés par le parquet de Paris, qui annonce que les investigations réalisées dans la soirée ont permis "d'identifier formellement" Cherif Chekatt, grâce au fichier automatisé des empreintes digitales (FAED).

Le chef du parquet antiterroriste, Rémy Heitz, est déjà en route pour Strasbourg, où il doit donner une conférence de presse le lendemain matin. L'occasion, sans doute, de donner des précisions sur les dernières heures de la traque. L'étau, en effet, s'est resserré autour du fugitif jeudi, dans l'après-midi. "Des témoins ont appelé. Nous avons eu des informations selon lesquelles il se trouvait dans le secteur, précise à franceinfo Fabrice Poli, secrétaire régional du syndicat Alliance.

Un riverain contacte le 197, le numéro dédié aux alertes attentat qui aura recueilli près de 800 appels au total. Il dit avoir aperçu un homme passer "de jardin en jardin." Toujours au téléphone, une autre personne du quartier de Neudorf signale la présence d'un homme blessé. Du sang est découvert sur un grillage – le soir de l'attentat, Cherif Chekatt a été touché par un militaire de l'opération Sentinelle. Un autre signalement avait déjà entraîné l'intervention des forces de l'ordre dans le secteur, en début d'après-midi, mais le tuyau était percé. Ces deux nouveaux témoignages, en revanche, ont été "déterminants" pour localiser le fugitif, commentera le procureur.

Pendant deux jours, la piste d'une fuite en Allemagne n'a jamais été abandonnée, mais les enquêteurs savaient également que le fugitif était blessé et qu'il pouvait donc se cacher non loin de l'endroit où il avait été déposé par un taxi le soir de l'attentat. Vers 19h30, le Raid et la brigade de recherche et d'intervention (BRI) remettent la pression dans le cadre d'une nouvelle opération d'ampleur. Un hélicoptère de la gendarmerie permet de vérifier la présence d'un suspect dans un cabanon, rue du Doubs,"On l'a eu grâce à une vidéo, précise une source policière à France 3. Il rentrait sur une immense ZAC de la SNCF."

On était sûrs que ce type de dispositif, appuyé par de multiples interpellations, allait le faire sortir. La stratégie de la police, c’était de lui couper toute aide possible.

Fabrice Poli

à franceinfo

En parallèle, les enquêteurs ont en effet multiplié les opérations pour sonder l'entourage du fugitif. A ce stade, sept personnes sont toujours en garde à vue : les quatre membres de sa famille placés en garde à vue, dès la nuit de l'attentat, et trois membres de son entourage proche. L'un a été placé en garde à vue jeudi matin et les deux autres après la mort de Cherif Chekaat. Dans la journée, on apprend que l'un des frères du suspect, Sami, a été interpellé en Algérie dans le cadre d'un mandat d'arrêt international.

Une revendication du groupe Etat islamique

"Il n'y a pas d'indication aujourd'hui qui nous fait penser qu'il y aurait eu des complices", déclare le ministre de l'Intérieur, dépêché sur les lieux. Et Christophe Castaner d'ajouter "Mais l'enquête se poursuit et se poursuivra jusqu'au bout pour que toute la vérité soit faite." Cherif Chekatt, notamment, était-il lié à un groupe terroriste ? Il est encore trop tôt pour le dire, même si l'organe de propagande de l'Etat islamique, Amaq, affirme que l'homme "faisait partie de [ses] soldats" et que Cherif Chekatt avait évoqué les opérations de la coalition internationale en Syrie, lors d'un échange avec le conducteur du taxi qui le menait vers le quartier de Neudorf.

La mort de Cherif Chekatt ne met pas fin à l'enquête, mais la capitale alsacienne, meurtrie, retrouve enfin son marché de Noël avec le cœur à la peine. Le ministre de l'Intérieur a prévu de "déambuler" dans les allées, vendredi matin, à 11 heures, afin de saluer les forces de l'ordre présentes. La capitale alsacienne oscille entre deuil et soulagement. "C'est une bonne nouvelle car les Strasbourgeois étaient inquiets", résume le maire de Strasbourg, Roland Ries.

Cette épée de Damoclès pesait sur la ville. Je pense que ça va faciliter le retour à une vie que je qualifierais de 'normale'.

Roland Ries

Même s'il sera "difficile de faire la fête dans ce contexte, ajoute l'adjoint Alain Fontanel, il est important de reprendre le cours de la vie et de défendre nos traditions et notre mode de vie".

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