Cet article date de plus de neuf ans.

"On refusait le bourrage de crâne" : un ancien de la lutte armée parle des jihadistes de l'Etat islamique

Il y a quarante ans, des jeunes Français se rendaient en Palestine pour y suivre des entraînements militaires. Quel regard portent-ils sur les jihadistes français qui se rendent aujourd'hui en Syrie ou en Irak ?

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Photo datant du 25 février 1972 montrant Jean-Antoine Tramoni (C), vigile aux usines Renault, s'apprêtant à abattre René-Pierre Overney (G) lors d'une manifestation à Paris. Antoine Tramoni sera tué à son tour à Limeil-Brevannes (Val-de-Marne) par cinq balles tirées à bout portant, le 23 mars 1977. (CHRISTOPHE SCHIMMEL / AFP)

C'est une stupéfaction, et comme une souffrance collective. Les monstrueuses vidéos diffusées par l’organisation Etat islamique (EI) le révèlent à visage découvert. Des jeunes Francais ont bien rejoint les rangs des jihadistes égorgeurs. Ils seraient 376 à avoir ainsi effectué ce voyage, souvent sans retour.

Il y a quarante ans, d’autres jeunes Français se sont eux aussi engagés dans une guerre au Proche-Orient. En1970, la "lutte pour la cause palestinienne" passait aussi par l’action terroriste. Au programme : détournements d’avions et attentats meurtriers. Que pensent ceux qui ont vécu ces épisodes sanglants des actuels Maxime Hauchard et autres Français qui combattent aux côtés de l'EI ?

Comment fabriquer des explosifs avec rien

"On apprenait la manipulation des armes de poing, des fusils d’assaut. On nous enseignait aussi comment fabriquer des explosifs avec rien, je veux dire avec tout ce que l’on peut trouver dans le commerce…" Celui qui parle n’est autre qu’un ancien dirigeant du groupuscule armé Napap (Noyaux armés pour l’autonomie populaire). En 1977, ce groupe d’inspiration maoïste a été soupçonné d’avoir abattu Jean-Antoine Tramoni. Cet agent de sécurité des usines Renault à Billancourt (Hauts-de-Seine) avait tué René-Pierre Overney, jeune militant de la gauche prolétarienne, lors d’une manifestation devant l'usine.

De nombreux attentats figurent également à l’actif des Napap, visant toujours des entreprises ou des symboles de l’Etat. Au début des années 1970, ils furent une dizaine de Français à se rendre à Tel Al-Zaatar, un camp de réfugiés palestiniens situé au nord-est de Beyrouth (Liban), pour y suivre une "formation militaire". Il y avait aussi des Hollandais et même des Ougandais. Une tour de Babel qui pourrait rappeler la diversité des nationalités qui se trouve au sein de l'EI. Mais les rapprochements s’arrêtent là.

"Nous avions des convictions, un certain recul"

"En fait, l’une des organisations palestiniennes souhaitait créer, en France, une organisation politique des travailleurs immigrés. Nous avions tous autour de 20 ans, deux filles faisaient également partie du voyage, détaille l’ancien des Napap. Sous couvert de construire un bout de route dans le camp, nous disparaissions l’après-midi pour notre formation aux armes. Mais nous passions une grande partie de notre temps au débat politique." Et de préciser que le "stage" durait un mois et demi et que les Français se permettaient souvent de critiquer "le bourrage de crâne, l’endoctrinement", glisse-t-il. 

"Nous n’étions pas du tout fascinés par la montée aux extrêmes, tient à affirmer notre témoin. Nous avions des convictions, un certain recul, une forme d'esprit critique quitte à débattre, parfois, sans fin. Rien à voir, selon moi, avec les jeunes jihadistes d’aujourd’hui, plongés dans le fanatisme et une sorte d’attitude contemplative à l’égard de l’ultra violence."

C’est en particulier sur ce point que l’ancien militant clandestin insiste : "En 1972, il y avait eu le massacre des Jeux olympiques de Münich et ses 11 victimes israéliennes, se souvient-il. Nous avions de fortes discussions et l’on refusait ce que l’on voit avec l’EI, à savoir la pratique de la violence pour se faire plaisir, satisfaire un ego et croire que c’est ainsi que l’on donne un sens à son action". Celui qui a aujourd’hui refait sa vie se souvient des jeunes Maghrébins qui l’avaient accompagné au Liban. "Quand ils sont revenus, aucun d’entre eux n’a basculé dans le terrorisme. Il y avait un dilemme dans leur tête entre la société consumériste à laquelle ils appartenaient et le sens du combat des Palestiniens. Et puis, surtout, à l’époque, ni eux ni personne ne faisait intervenir un facteur religieux dans l’engagement qui était le nôtre."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.