#OnVousRépond : le spécialiste Daniel Meier a répondu à vos questions sur la situation au Liban

Franceinfo a soumis les questions des internautes à cet enseignant à Sciences Po Grenoble. Il revient ainsi sur l'escalade des derniers jours, avec une intensification des frappes israéliennes contre le Hezbollah.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
De la fumée s'échappe du village de Choukine (Liban) après une frappe israélienne, le 26 septembre 2024. (RABIH DAHER / AFP)

Une proposition de cessez-le-feu balayée ? Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a assuré jeudi 26 septembre que l'armée israélienne continuerait de cibler le Hezbollah "avec toute la force nécessaire" au Liban. Son bureau a semblé rejeter l'appel à un cessez-le-feu immédiat de 21 jours, évoquant "une proposition américano-française à laquelle le Premier ministre n'a même pas répondu". En parallèle jeudi, d'intenses frappes se poursuivaient sur l'est et le sud du Liban.

Pour mieux comprendre les événements des derniers jours, franceinfo a interrogé Daniel Meier, enseignant à Sciences Po Grenoble, spécialiste du Liban et auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Liban : du mythe phénicien aux périls contemporains. Le chercheur a répondu aux questions envoyées par nos lecteurs.

@aglioecipolla : Pourquoi n'est-il pas officiel qu'Israël a déclaré la guerre au Liban ? On semble parler plutôt d'"événements"... 

Daniel Meier : Cela n'est pas officiel, précisément car Israël ne veut pas dire qu'elle fait la guerre. Dire cela voudrait dire être responsable d'une entrée en guerre, ce que l'administration américaine refuse. Il y a la question de ne pas se déclarer en guerre, mais aussi la question d'être en conflit contre qui. L'intérêt, en étant en guerre contre le Hezbollah, c'est que l'Etat hébreu lutte contre un groupe qui est défini comme terroriste. Cela légitime à l'avance la violation du territoire libanais.

@fannybk : Je suis très étonnée de la non-réponse de l'armée régulière libanaise aux attaques sur le Liban, et notamment sur des sites qui ne sont pas des sites militaires du Hezbollah. J'imagine bien que la situation actuelle, économique et politique à Beyrouth n'aide pas, mais cela laisse tout de même le pouvoir et l'initiative au Hezbollah. 

Il y a un premier élément, c'est l'affaiblissement structurel de l'Etat. Il y a un pouvoir aujourd'hui démissionnaire aux commandes. En outre, il n'y a pas de président, et le président est le chef suprême de l'armée. Il y a ensuite une explication politique : le gouvernement libanais n'a pas envie d'envoyer ses troupes se faire hacher menu. L'armement de l'armée libanaise est nettement inférieur à celui que possède le Hezbollah.

"Il y aura une résistance au moment d'une invasion terrestre, pas avant."

Daniel Meier, spécialiste du Liban

aux lecteurs de franceinfo.fr

Dans le cas d'une offensive terrestre, comme en 2006, l'armée se positionnerait afin de défendre le territoire à partir d'un certain nombre de positions militaires. Néanmoins, les confrontations avec Israël ont été clairement expérimentées comme un désastre. L'armée libanaise n'a pas de capacité de dissuasion face à Israël. Ce serait une opération suicidaire, mais obligée lors d'une invasion terrestre. 

@jojojobe : Que dit l'Iran de cette escalade ? 

L'Iran est pris entre deux feux. D'un côté, il souhaite évidemment défendre son atout, le Hezbollah ; de l'autre, Téhéran a refusé la demande du Hezbollah d'intervenir. Cela veut dire que l'Iran est aussi en train de faire un calcul stratégique de son investissement militaire, et de ce que cela pourrait lui coûter.

"Une implication de l'Iran justifierait, pour Israël, une entrée en guerre contre Téhéran."

Daniel Meier, spécialiste du Liban

aux lecteurs de franceinfo.fr

L'Iran est aujourd'hui en dialogue avec les Européens, avec les Américains aussi, pour la levée du blocus. Essayer d'obtenir une levée des sanctions économiques, c'est la chose la plus importante aujourd'hui pour le pays. La société iranienne est aujourd'hui dans une situation très difficile. 

@abcagou : Ce qui se passe au Proche-Orient est intolérable pour n'importe qui. Mes questions sont les suivantes : qui finance le Hezbollah ? Qui va payer pour reconstruire Gaza ? Qui va payer pour reconstruire le Sud-Liban ? Enfin, quand les résolutions de l'ONU s'appliqueront-elles pour interdire l'occupation de la Cisjordanie ? 

Le Hezbollah est financé par deux sources. D'abord, par le Hezbollah lui-même : c'est un auto-financement par une diversification des investissements à travers le monde, dans la diaspora. Cela peut prendre la forme, par exemple, d'un impôt religieux. Et puis il y a des activités illégales, dont on ignore l'ampleur, comme celles liées à la drogue, mais aussi de petits trafics plus innocents. L'autre source de financement est l'Iran. 

Sur la reconstruction, il y a une forte chance que ce soit une facture partagée entre les pays du Golfe et occidentaux. Il y a des exemples, dans l'occupation israélienne, où l'UE a reconstruit sans envoyer la facture à Israël. Il n'y a pas de conséquence financière pour l'Etat hébreu.

"Si Israël devait assumer la reconstruction de la bande de Gaza – ce qui pourrait prendre 15 à 20 ans –, cela mettrait à genoux son économie."

Daniel Meier, spécialiste du Liban

aux lecteurs de franceinfo.fr

Quant aux résolutions de l'ONU, elles s'appliquent en principe dès qu'elles sont votées. Néanmoins, Israël considère ces textes comme nuls et non avenus. Ainsi, même si l'on peut voter une résolution, nous ne sommes pas du tout sûrs qu'elle puisse être appliquée... Il y a une absence de volonté de la communauté internationale pour les faire respecter.

Je me demande quelle sera sa volonté de faire respecter la déclaration d'hier, pour une demande d'un cessez-le-feu de 21 jours. Je pense que la communauté internationale est choquée et s'inquiète. Il y a eu 558 morts lundi, nous n'avions jamais vu une telle hécatombe en vingt-quatre heures depuis la fin de la guerre civile. Le cessez-le-feu temporaire pourrait être accepté par Israël, mais il faut voir s'il n'y aura pas une condition supplémentaire. Israël tente de séparer le dossier de la bande de Gaza de celui du Liban dans les négociations.

@Anneb76 : J'ai du mal à comprendre pourquoi on parle du Hezbollah comme d'un parti politique, quand il a une branche armée et qu'il est sur la liste des groupes terroristes de beaucoup de pays dans le monde.

Le Hezbollah est un groupe politique qui s'est constitué comme force politique légitime dans la 2e république libanaise, à partir de 1992, avec des sièges au Parlement puis des ministres au gouvernement dès 2005. Il faut dissocier les deux choses, le parti politique et sa branche armée. Certains qualifient de terroriste la branche armée du Hezbollah, ce qui différencie la branche politique de la branche armée.

@cycloecolo : Si l'armée israélienne tente de pénétrer au Liban, la Finul a-t-elle la consigne de l'en empêcher ? Et selon les déclarations de Benyamin Nétanyahou, Israël sait dans quel salon, dans quel garage, le Hezbollah stocke ses missiles… Pourquoi ne donne-t-il pas les adresses à la Finul pour qu'elle aille s'en saisir, au lieu de bombarder tout l'immeuble, faisant des victimes collatérales ?

La Force intérimaire des Nations unies au Liban n'a pas la consigne d'empêcher Israël d'entrer, elle a pour consigne de signaler la violation. La Finul fait des signalements de violations de l'espace aérien, par exemple. L'hypothèse basse est d'environ 22 000 violations, l'hypothèse haute de plus de 30 000 violations. 

Sur le sujet des saisies de missiles, plusieurs exemples ont montré que cela donnait lieu à des escarmouches. Il est également mentionné que la Finul doit en référer à l'armée libanaise pour opérer ces saisies. Or, les services de renseignement militaires sont assez largement aux mains du Hezbollah...

@Domsotber : En quoi consiste le travail réalisé par Joe Biden et Emmanuel Macron (pour obtenir un cessez-le-feu de 21 jours) ? Toutes ces palabres et réunions semblent sans effet... 

C'est la diplomatie, c'est un paralangage de la guerre. Si on ne fait pas de diplomatie, on passe tout de suite à l'envoi de missiles. Le langage des relations internationales semble ne servir à rien, mais c'est souvent faux. C'est le meilleur moyen d'éviter la guerre. C'est une façon de faire sentir les impasses et les possibilités, et de négocier précisément des sorties de crise. C'est un travail terriblement frustrant, mais un travail obligatoire.

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