Reportage Guerre au Proche-Orient : on a rencontré un membre des forces spéciales du Hezbollah, "prêt à mourir pour la cause" au Liban

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial au Liban
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un nuage de fumée se forme dans le ciel, près de Metula (Israël), après des tirs de roquettes du Hezbollah depuis le sud du Liban, le 31 décembre 2023. (HASAN FNEICH / AFP)
Franceinfo a pu rencontrer un combattant de haut rang de la milice chiite libanaise qui se bat depuis octobre dans le sud du pays contre Israël.

Au moindre bruit métallique, il se raidit sur sa chaise. Il imagine une intrusion. Croit entendre un coup de feu. C'est une cuillère qui vient de tomber par terre. Dans ce café de Beyrouth, l'homme assis en face de nous est un client à part. Sous son allure de père de famille rangé, se cache un membre des forces spéciales du Hezbollah, dont la branche armée figure sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne. Ce dimanche de janvier, cet homme, dont nous devons taire le nom, profite de ses dernières heures de "permission". Dans quelques jours, il refera son paquetage, direction le sud du Liban. Il y retrouvera d'autres hommes de la milice chiite et son "ennemi de toujours" : l'armée israélienne.

De lui, rien, absolument rien ne doit filtrer. Surtout pas sa véritable identité. Interdiction de faire référence à "cet impact de balle" à l'origine d'une cicatrice de plusieurs centimètres quelque part sur son corps. L'homme de 58 ans n'aime guère les journalistes, "surtout les Occidentaux, forcément pro-Israël". Il préfère vérifier deux fois que nous n'enregistrons pas, que nous ne filmons pas, que nous ne prenons pas de photo. Il passe son index sous son cou, à la façon d'une exécution : "Si Israël me trouve, je suis mort.

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'exprime lors d'un discours retransmis à la télévision libanaise, le 3 janvier 2024, à Beyrouth (Liban). (ANWAR AMRO / AFP)

Il a été réquisitionné d'urgence dans le Liban-Sud le 7 octobre, au lendemain de l'attaque terroriste du Hamas sur le sol israélien, qui a déclenché l'offensive de Tsahal dans la bande de Gaza. Il a commencé à servir sous les ordres du "Parti de Dieu" il y a 20 ans, juste avant la guerre de l'été 2006, déjà contre l'Etat hébreu. Aujourd'hui, dit-il, sa "philosophie" est la même : "Je prends les armes pour la défense du Liban face à notre ennemi de toujours : Israël. Les enfants de Gaza sont comme nos enfants".

Les bombardements le long de la ligne bleue, qui sépare Israël du Liban, sont désormais quotidiens. Et meurtriers : déjà 177 victimes mi-février, selon les chiffres obtenus par franceinfo auprès des autorités libanaises. Le ministère de la Santé nous précise que son bilan ne prend pas en compte les victimes causées par les raids aériens israéliens mercredi.

L'homme assis face à nous dit lui-même qu'il "frôle la mort tous les jours", et même "matin, midi et soir". Dès qu'il perçoit le bourdonnement d'un drone israélien, il se cache dans les arbres, "le meilleur camouflage du monde". Quand un missile siffle, il se met à l'abri "dans une maison", "au milieu des villageois".

En tant que tireur, il affirme que le missile antichar Cornet est sa spécialité. Pas de câbles apparents, une portée de plus de cinq kilomètres, et une ogive extrêmement meurtrière. "Je cible les gardes-frontières israéliens, mais jamais les civils", jure-t-il. En général, les premiers tirs retentissent en milieu de matinée et cela continue jusqu'à la tombée de la nuit. 

Au milieu des clients du bar, il attrape deux tasses de café pour recréer les positions militaires à la façon du jeu Risk : "Celle-ci, c'est nous. Celle-là, c'est Israël." Le sucrier sert de frontière, les cuillères de missiles. Les ustensiles montrent que dans les collines du Sud-Liban, le Hezbollah contrôle tout : l'armée et la police ne font plus partie du paysage.

Payé par le Hezbollah pour se battre

Pour se faire oublier d'Israël, les forces spéciales du Hezbollah assurent "des rotations". Six à sept jours de "mission", puis trois à quatre de jours de repos, et ainsi de suite. "Normalement, j'ai ordre de ne parler à personne de ce que j'ai vu et de ce que j'ai fait", précise notre interlocuteur, qui dit avoir fait vœu de silence. Dans la "vraie vie", il bénéficie d'une couverture : "Officiellement, je suis marchand."

En réalité, selon nos informations, le Hezbollah le rémunère entre 1 000 et 1 500 dollars par mois. Soit entre trois et quatre fois plus que le salaire moyen au Liban. Le mouvement islamique "a toujours bien payé ses hommes, confirme Didier Leroy, chercheur à l'école royale militaire de Belgique et spécialiste du Hezbollah. Des chiites, qui épousent les idées du Hezbollah, préfèrent du coup rejoindre la milice plutôt que l'armée libanaise. C'est plus avantageux financièrement". L'argent, justement, vient en grande partie du voisin iranien qui appuie politiquement et militairement le groupe islamiste. Mais "il y a aussi différents canaux plus ou moins légaux", ajoute Didier Leroy.

"Il y a l'import-export de voitures de seconde main vers l'étranger, les pierres semi-précieuses, les textiles, les stupéfiants, l'aumône, les dons personnels de la diaspora à l'étranger..."

Didier Leroy, spécialiste du Hezbollah

à franceinfo

Avec les années, "le Hezbollah a grandi militairement", analyse un soldat de la Finul, la force de maintien de la paix de l'ONU qui patrouille dans le sud du Liban pour dissuader les belligérants de tirer. ll s'est aguerri, il a acquis des armes, des compétences. Ses hommes sont plus mobiles aussi. Leur comportement peut se rapprocher par moments d'une armée régulière."

Au moins 100 000 combattants

Début janvier, le Premier ministre israélien suggérait que le Hezbollah devait "apprendre ce que le Hamas a déjà appris ces derniers mois : aucun terroriste n'est à l'abri". "Je suis prêt à mourir pour la cause", répond le tireur du Hezbollah devant son thé. "Israël n'a pas conscience des réserves d'hommes prêts à leur tour à nous rejoindre dans le Sud", assure-t-il en ajustant son pull à capuche.

Le chiffre exact est méconnu. En 2021, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, revendiquait un effectif de 100 000 hommes. "Le sentiment général est que ce chiffre est surestimé, explique Filippo Dionigi, spécialiste du Proche-Orient qui enseigne à l'université de Bristol (Royaume-Uni). Mais vu l'engagement du Hezbollah dans des conflits comme la Syrie et la confrontation actuelle avec Israël, nous pouvons être sûrs que sa capacité militaire est importante". Didier Leroy avance, lui, le chiffre de 25 000 à 30 000 combattants à temps plein. "Si on ajoute ceux à temps partiel, les réservistes, les sympathisants qui ont une kalachnikov sous leur lit, qui sont prêts à se battre du jour au lendemain, alors oui, on atteint les 75 000, voire 90 000 hommes." 

En attendant de recevoir son ordre de départ, l'homme face à nous regarde sur son téléphone les vidéos de ses "exploits passés", les armes à la main. On le voit tirer des rafales de kalachnikov caché derrière un hangar en Syrie, tirer en l'air à Beyrouth... La hiérarchie militaire du Hezbollah l'a déjà prévenu : "On m'a dit que la durée de mes missions pourrait bientôt passer à quinze jours non-stop." Quelques minutes plus tard, l'interview se termine. Avant de quitter le café, il regarde les écrans de contrôle reliés aux caméras de vidéosurveillance qui donnent sur le parking de l'établissement. Personne ne l'attend : "La voie est libre", dit-il en sortant d'un pas pressé.

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