Reportage A la frontière libanaise, les soldats de l'ONU font "tout pour que ça ne dégénère pas" entre Israël et le Hezbollah

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Naqoura (Liban)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un soldat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) déploie une carte du sud du Liban, le 13 janvier 2024, sur la base de Naqoura. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)
Depuis la reprise des affrontements à la frontière libano-israélienne il y a bientôt quatre mois, la force de maintien de la paix des Nations unies agit dans un contexte tendu. Exceptionnellement, les militaires ont accepté d'ouvrir leurs portes à franceinfo.

Il faut se frayer un chemin entre des pylônes grillagés, puis grimper les barreaux d'une échelle pour l'apercevoir. La frontière israélienne se dresse droit devant, à deux kilomètres à vol d'oiseau. Depuis sa tour de guet, le soldat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) observe l'horizon en silence. A l'ouest ? Rien à signaler. A l'est ? Pas plus. "Il pleut, il y a du vent… Pas un temps à envoyer des obus et à sortir les drones", lâche le militaire avant de redescendre de sa position.

Bientôt midi, samedi 13 janvier. A la base de Naqoura, à l'extrême sud-ouest du Liban, on confirme : "journée très calme". La salle de commandement n'a pour le moment enregistré "que 42 incidents". Dans cette pièce ultrasécurisée, où les photos sont interdites, remontent en temps réel chaque mouvement, chaque frappe, chaque tir de l'armée israélienne et du Hezbollah le long de la "ligne bleue" qui matérialise la séparation entre les deux pays.

Une télé diffuse des images en direct de Gaza, mais aucun des hommes en treillis n'y prête réellement attention. Micro-casque sur la tête, ils donnent et reçoivent les ordres, font le lien avec les équipes sur le terrain. "Quand ça merde quelque part, c'est ici qu'on le gère", résume le soldat, dont le bruit métallique des rangers perturbe le calme du lieu.

La frontière israélienne vue depuis la base de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), à Naqoura, le 13 janvier 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Déployée depuis l'occupation israélienne du sud du Liban en 1978, la Finul a pour mission première de veiller à l'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. Actuellement, 10 000 casques bleus stationnent dans la zone pour "contrôler la cessation des hostilités" et "assurer un accès humanitaire aux populations civiles", comme le précise le texte. Le contingent français, composé de 700 hommes, est l'un des plus fournis.

Mais depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, puis la reprise des affrontements à la frontière, la force de maintien de la paix de l'ONU agit dans un contexte "très tendu", commentent les militaires sur place. Mi-janvier, les affrontements dans le sud du Liban avaient déjà fait 147 morts et 650 blessés, selon les chiffres obtenus par franceinfo auprès du ministère de la Santé du pays. De l'autre côté de la frontière, l'armée israélienne dénombrait, elle, au moins 15 ressortissants tués, dont neuf soldats. "L'intensité des affrontements entre les deux parties augmente continuellement", reconnaît la porte-parole adjointe de la Finul, Candice Ardell. "ll y a des heures dans la journée, et parfois même des jours, où les soldats de la paix ne peuvent pas sortir de leur base".

Au fil des semaines, les visites extérieures ont été réduites, et des ministres ou des diplomates des 47 pays engagés dans la Finul voient leurs déplacements sur la base annulés ou reprogrammés. "Trop dangereux".

Des soldats visés par des jets de cailloux

Sur l'un des parkings, cinq Jeeps blanches blindées s'apprêtent à rouler sur les routes cabossées du Sud-Liban pour effectuer de nouvelles patrouilles de dissuasion. Les soldats portent des gilets pare-balles et des fusils HK 416. Leur mission lors des deux ou quatre heures de ronde : "pister" des zones d'action des combattants du Hezbollah, s'en rapprocher, mais ne pas s'interposer. "On a un rôle de dissuasion. En nous montrant, l'objectif recherché est qu'ils [les membres du Hezbollah] renoncent à tirer, et qu'en face, Israël renonce aussi. On est là pour calmer le jeu, en quelque sorte", décrit à franceinfo un autre militaire de la Finul, qui en est à sa cinquième mission au Liban. "A force, on connaît leurs habitudes. Généralement, ils tirent entre 10 et 11 heures, puis ils montent en puissance entre 11 et 14 heures, et cela continue jusqu'à la tombée de la nuit." 

Mais la zone à couvrir est immense, "aussi grande que le département de la Saône-et-Loire", compare le gradé. En moyenne, 120 km de long sur 20 km de large. Le feu y est constant. "Ça tire de partout. Depuis début octobre, au moins 16 000 obus sont tombés sur le Sud". Soudain, il se tait. Un bruit retentit au loin. "Ça va, c'est l'orage". 

La frontière israélienne vue depuis la base de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), à Naqoura, le 13 janvier 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Aux yeux des militaires de la Finul, une mission est réussie lorsqu'elle a empêché ne serait-ce qu'un tir. Cela permet d'éviter les répliques de l'autre camp, et donc d'éventuelles victimes. "Parfois, lors des patrouilles, on trouve des armes du Hebzollah, des roquettes, des canons. Mais en fait, c'est peu comparé à tout l'arsenal dont le groupe dispose."

"On fait tout pour veiller à la paix, pour que ça ne dégénère pas. Je ne dis pas que ce qu'on fait est décisif. En revanche, je sais que si on ne le faisait pas, ce serait bien pire."

Un militaire de la Finul

à franceinfo

Lors des patrouilles dans les villages du Sud-Liban, pas toujours évident de compter sur le soutien des habitants. "Certains informent le Hezbollah qu'on n'est pas loin. Et quand on arrive, tout le monde se cache…", fait remarquer le gradé, bien conscient que lui et ses camarades ne sont pas toujours les bienvenus. Ils ont parfois "droit à des incivilités, à des jets de cailloux, à des habitants qui bloquent le passage. On leur a tellement mis dans la tête qu'on espionnait pour les Israéliens qu'ils pensent qu'on leur donne les coordonnées de ce qu'on voit. Ce qui est évidemment faux".

Un obus tombé dans la base de la Finul

Ces trois derniers mois, d'autres incidents, bien plus sérieux, ont touché directement la Finul. Mi-octobre, un obus s'est écrasé par erreur dans l'enceinte du site de Naqoura. La frappe n'a fait aucun blessé, mais a laissé un trou béant d'au moins un mètre de diamètre, que franceinfo a pu constater. "Nous n'avons pas visé la Finul", s'est aussitôt défendue l'armée israélienne. Trop tard, "ce truc a marqué tout le monde ici", soupire un soldat, grand et sec, béret bleu ciel vissé sur la tête.

Une sirène se fait entendre dans la base à chaque alerte. Quand retentit la sonnerie qui correspond à une alarme de niveau 3, tous ont l'obligation de courir se mettre à l'abri dans le bunker le plus proche. "C'est encore arrivé la semaine dernière", témoigne un soldat. "Parfois, ça tombe à 300 mètres de nous, soupire un autre. Et dans ce cas, ça secoue les fenêtres." Début janvier, le complexe a été réveillé vers 21h30. Deux missiles israéliens sont tombés sur la ville frontalière de Naqoura. Bilan : quatre morts, tous combattants du Hezbollah, dont le responsable local du mouvement islamiste libanais.

Des maisons soufflées après un raid israélien sur Naqoura, au sud du Liban, dans la nuit du 3 au 4 janvier 2024.
Dégâts à Naqoura Des maisons soufflées après un raid israélien sur Naqoura, au sud du Liban, dans la nuit du 3 au 4 janvier 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Leurs photos, comme celle des autres "martyrs" du Hezbollah, n'ont pas tardé à être placardées en quatre par trois à l'entrée des villages du Sud-Liban. Sur la base de la Finul, aussi, chaque discours du chef de la milice chiite est suivi attentivement. Les soldats suivent Al Jazeera et montent le son pour écouter Hassan Nasrallah. Les déclarations à retenir sont ensuite intégrées au briefing du soir.

C'est qu'aujourd'hui, une crainte est dans toutes les têtes : "le dérapage d'un camp ou d'un autre". "Si ça arrive, alors là…", souffle ce soldat qui n'arrive pas à être optimiste pour les mois à venir. Il y a quelques jours, au téléphone, la fille d'un autre militaire de la Finul a demandé à son père ce qu'il faisait "comme travail" au Liban. "Je lui ai dit : 'Papa est là pour éviter la guerre.'".

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