Raid israélien en Syrie : "Les tensions dans la région évoluent de manière extrêmement inquiétante", estime un politologue franco-libanais

Un raid imputé à Israël a visé lundi la section consulaire de l'ambassade iranienne à Damas, faisant onze morts dont sept Gardiens de la révolution d'Iran, dans un contexte régional tendu en pleine guerre dans la bande de Gaza. L'éclairage de Ziad Majed, politologue et professeur des études du Moyen-Orient à l’Université amércaine de Paris.
Article rédigé par franceinfo
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Les secours interviennent sur le site des frappes israéliennes qui ont touché un bâtiment annexe de  l'ambassade iranienne à Damas, en Syrie, le 1er avril 2024 (LOUAI BESHARA / AFP)

Dans un contexte régional extrêmement tendu sur fond de guerre dans la bande de Gaza, des frappes israéliennes sur une annexe de l'ambassade iranienne à Damas, ont fait plusieurs victimes, lundi 1er avril. Le dernier bilan fait état de onze morts dont sept Gardiens de la révolution iraniens. Pour Ziad Majed, politologue franco-libanais, professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris, le message, au-delà de l'objectif militaire à proprement parler, est clairement destiné à l'Iran. Il était l’invité de franceinfo.

Franceinfo : Quelles peuvent être les conséquences de ce raid ?

Ziad Majed : Ça montre que les tensions dans la région - et non plus seulement sur la carte palestinienne - sont en train d'évoluer de manière extrêmement inquiétante. Il y a déjà une guerre à moyenne intensité entre le Hezbollah et Israël du côté de la frontière sud du Liban. Là, avec une série de frappes en Syrie, Israël montre qu'il souhaite maintenir la pression sur les alliés des Iraniens et sur les Iraniens eux-mêmes. Sachant qu'en même temps, il y a des négociations entre Iraniens et Américains à Oman. C'est un message du gouvernement de Nétanyahou qu'une guerre avec le Hezbollah, et indirectement avec l'Iran, n'est plus à exclure. Cette guerre peut, à la fois, servir à l'extrême droite israélienne pour prolonger ce moment catastrophique dans la région, et elle sert aussi à détourner l'attention du génocide en cours à Gaza, surtout après les massacres dans l'hôpital Al-Chifa et avec la pression qui monte sur Israël pour limiter les dégâts et pour limiter les crimes commis à Gaza.

Est-ce que l'Iran va riposter ou peut le faire, veut le faire ?

Pour le moment, l'Iran comme son allié le plus puissant dans la région, le Hezbollah libanais, évite de riposter sachant qu'il y a déjà en cours des combats et des accrochages du côté du Sud-Liban. Les Iraniens préfèrent pour le moment maintenir cette guerre à moyenne intensité plutôt que d'aller vers une guerre totale pour différentes raisons. Ils savent que la situation au Liban ne permet pas aujourd'hui une guerre, situation économique et politique désastreuse pour les Libanais. Ils savent que leur allié, le Hezbollah, prend en compte cette réalité libano-libanaise. Et en même temps, les Iraniens ont toujours leur priorité par rapport au dossier nucléaire. Donc ils préfèrent une solution avec les Américains permettant la levée de sanctions, régler un peu toute la question nucléaire sans aller à la confrontation générale.

Du côté israélien, par contre, il y a de plus en plus de messages inquiétants. À la fois des envoyés internationaux, américains et français - y compris le ministre des Affaires étrangères, qui s'est rendu à Beyrouth - informent le gouvernement libanais qu'il y a, du côté israélien, une volonté d'imposer par la guerre ou par les négociations, un retrait du Hezbollah de la frontière. De son côté, le Hezbollah veut que les Israéliens arrêtent la violation de l'espace aérien libanais et donc le retour à la résolution onusienne 1701. Mais en même temps, les Israéliens frappent les relais en Syrie qui permettent au Hezbollah d'être ravitaillé par l'Iran.

"On voit qu'on est dans un moment extrêmement dense, tendu, avec un potentiel de conflictualité qui monte de plus en plus. Et les Iraniens ne peuvent pas ne pas répondre."

Ziad Majed

à franceinfo

Mais je pense que leur réponse va rester très mesurée pour ne pas permettre une escalade qui sort de leur contrôle ou de leur capacité à réagir dans une situation qui n'est pas une guerre totale. Ils préfèrent toujours que ça soit une guerre limitée, sous contrôle, sans grand risque pour eux et pour le Hezbollah libanais.

Comment se positionne la Syrie ?

Pour la Syrie, aujourd'hui, le pays est fragmenté par plusieurs forces : l'Iran, la Russie, il y a une forte présence américaine, turque, il y a le Golan syrien occupé par Israël depuis 1967. Damas et Bachar Al-Assad subissent les conséquences de tout cela. L'obsession de Bachar Al-Assad c'est juste que son régime puisse survivre après tous les massacres qu'il a fait subir à sa propre population. Les Gardiens de la révolution sont un corps parallèle à l'armée iranienne qui joue un rôle surtout sur les scènes irakiennes, syriennes et au niveau du soutien au Hezbollah. Donc c'est un corps très important qui est directement lié au guide de la Révolution et de la République, Ali Khamenei. Le cibler montre une volonté de Tel-Aviv de montrer une fermeté et une agressivité vis-à-vis des Iraniens, accusés de soutenir leurs ennemis régionaux. Attaquer en Syrie, c'est une violation évidente du droit international mais malheureusement pour les Syriens tout le monde se permet aujourd'hui de régler des comptes sur leur territoire. Évidemment, pour le Moyen-Orient, c'est une tension de plus sachant que tout le monde dans la région aujourd'hui observe avec frustration, colère et impuissance le génocide en cours à Gaza.

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