On vous explique la polémique autour d'une mobilisation propalestinienne à Sciences Po Paris

L'accès à un amphithéâtre a été interdit à une étudiante de l'Union des étudiants juifs de France lors d'une mobilisation propalestinienne. Le Premier ministre a annoncé saisir la justice.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'entrée de Sciences Po Paris, dans le 7e arrondissement, le 13 mars 2024. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

L'affaire s'est invitée en Conseil des ministres, mentionnée par Emmanuel Macron lui-même. Le président de la République a dénoncé, mercredi 13 février, des propos "inqualifiables et parfaitement intolérables" rapportés lors d'une mobilisation propalestinienne organisée la veille à Sciences Po Paris. L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a affirmé que des jeunes appartenant à l'association y ont été "pris à partie comme juifs et sionistes"

La direction de l'établissement, déjà dans la tourmente avec la démission de son directeur, renvoyé devant la justice dans un dossier de violences conjugales, ainsi que le gouvernement, ont saisi la justice pour des faits à caractère antisémite. Franceinfo vous résume cette affaire. 

Des "propos accusatoires" prononcés lors de l'occupation d'un amphithéâtre, selon l'UEJF

Mardi matin, une centaine d'étudiants ont occupé l'amphithéâtre principal de Sciences Po à Paris, dans le cadre d'une "journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine". Une étudiante membre l'Union des étudiants juifs de France a alors "été empêchée d'accéder à l'amphithéâtre" où se tenait l'action, et "des propos accusatoires ont été prononcés [à la tribune] à l'encontre" de l'association étudiante, a dénoncé Sciences Po sur X.

"Ne la laissez pas rentrer, c'est une sioniste" : tels sont les propos dénoncés par l'UEJF. 

Dans Le Parisien, l'étudiante concernée, qui témoigne anonymement, reconnaît ne pas avoir entendu elle-même les propos en question. "Quelqu'un m'a dit qu'un participant avait lancé : 'La laissez pas rentrer, c'est une sioniste !'", déclare la jeune femme de 20 ans, qui ajoute avoir entendu les organisateurs déclarer : "Attention, il y a l'UEJF dans la salle !". Elle précise avoir finalement pu accéder à l'amphithéâtre, mais n'y être restée "que quelques minutes" car "l'ambiance était trop lourde." "La personne à côté de moi s'est levée pour s'asseoir plus loin", appuie la jeune femme.

La confrontation s'est poursuivie à l'extérieur, lors d'une manifestation propalestinienne devant l'école. "Nous appelions à 'deux peuples, deux États', eux criaient 'From the River to the Sea' [slogan polémique des soutiens de la Palestine]", atteste encore l'UEJF sur X, vidéo à l'appui. 

Des étudiants qui ont participé à la mobilisation propalestinienne démentent

Sollicité par l'AFP, un membre du Comité Palestine de Sciences Po réfute que la phrase "Ne la laissez pas rentrer, c'est une sioniste" ait été prononcée. D'autres participants à l'occupation, interrogés par France Télévisions, assurent que ces propos n'ont pas été tenus. La jeune femme aurait été écartée pour d'autres raisons. "Nous savions déjà qu'elle avait filmé des personnes de la lutte palestinienne et avait diffusé ces images", affirme un étudiant. Selon lui, certains militants auraient été harcelés des suites de ces actions.

Dans un communiqué, le Comité Palestine de l'école évoque aussi des individus ayant "harcelé et intimidé par le passé d'autres étudiants quant à leurs positions politiques" et dénonce des "accusations infondées d'antisémitisme de la part de l'extrême droite".

Dans une tribune publiée sur un blog hébergé par le site Mediapart, des élèves se présentant comme des "étudiant·es juif·ves à Sciences Po" écrivent que "contrairement aux allégations, nous avons pu entrer dans l'amphithéâtre sans aucune entrave". Selon ces derniers, "à aucun moment de l'événement, nous ne nous sommes senti-e-s intimidé-e-s ou en danger du fait d'une action des organisateur-rice-s ou des autres participant-e-s à quelque titre que ce soit". 

"Il y a vraiment de l'instrumentalisation qui est malhonnête", a de son côté commenté sur BFMTV Hubert Launois, un étudiant à Sciences-Po Paris, présent, selon lui, dans l'amphithéâtre. "La jeune fille n'a pas été rejetée en raison de sa religion (...) mais parce que dans des réunions précécentes, certains étudiants pro-Israel avaient crié pendant les minutes de silence, avaient pris en photo et mis en danger des militants. On savait qu'elle avait déjà pris des photos", a-t-il assuré. 

L'affaire déborde dans la sphère politico-médiatique

La controverse étudiante a rapidement pris un tournant politique et s'est imposée dans les matinales des médias, mercredi matin. Sylvain Maillard, chef des députés Renaissance, a appelé sur Radio J, "la ministre [de l'Enseignement supérieur] à reprendre les choses en main". "L'antisémitisme est un délit en France. C'est extrêmement grave, ce qu'il s'est passé", a-t-il ajouté. Sébastien Chenu, vice-président du Rassemblement national, a quant à lui demandé à la direction de Sciences Po de "plier bagage", sur CNews/Europe1.

En Conseil des ministres, le chef de l'Etat s'est emparé du dossier. Emmanuel Macron "a rappelé avec clarté et fermeté sa position : oui, les établissements universitaires sont autonomes, mais cette autonomie ne justifie en aucun cas le moindre début de séparatisme", a rapporté la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot.

Sur X, le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s'est de son côté étonné que l'affaire, qu'il qualifie "d'incident dérisoire", prenne une telle "ampleur médiatique nationale".

La direction de l'établissement et le gouvernement saisissent la justice

Après avoir saisi la section disciplinaire "en vue de sanctionner ces agissements intolérables", la direction de Sciences Po Paris est montée d'un cran en annonçant, mercredi soir, "saisir le procureur de la République pour des faits à caractère antisémite", "sur la base d'un courrier de signalement" de l'UEJF au sujet des évènements survenus dans l'enceinte de l'amphithéâtre.

Cette décision fait suite à la visite du Premier ministre en personne. Après un échange avec le conseil d'administration, Gabriel Attal a déclaré que le gouvernement allait également effectuer un signalement au procureur de la République. Selon des participants à cette rencontre, le chef du gouvernement a fait part de sa "très grande préoccupation" et a exprimé sa "détermination" pour que "des sanctions extrêmement fermes soient prises""Une ligne rouge a été franchie", a appuyé sur franceinfo Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur. 

Un climat de tension dans l'école depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas

Dans son communiqué publié sur X, la direction de Sciences Po Paris observe que l'école est "traversée par le conflit au Proche-Orient et ses conséquences désastreuses sur les populations civiles" et "regrette un durcissement des relations entre ses communautés étudiantes et l'instauration d'un climat délétère inacceptable".

"Ce qui s'est passé mardi, c'est peut-être le point culminant de mois d'inconfort pour les étudiants juifs [depuis le début la guerre entre Israël et le Hamas]", affirme sur franceinfo Salomé, étudiante à Sciences Po Paris et militante à l'UEJF. Selon elle, lors des cours en amphithéâtre, "la rangée est plutôt vide" à côté des étudiants juifs. Et de dénoncer une "essentialisation des étudiants pour leur appartenance religieuse qui est extrêmement grave". "Les discussions se passent très difficilement, parce qu'en réalité, chacun veut apporter son point de vue, sans tellement entendre celui de l'autre", explique de son côté un autre étudiant à France Télévisions. 

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